La basse pour blason

S’il fallait repenser le drapeau national de façon ludique, deux armoiries y figureraient en bonne place : le football et la basse électrique. Depuis les années 1960, le pays produit en effet les meilleurs bassistes du monde.

Publié le 6 janvier 2009 Lecture : 3 minutes.

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La basse est au Cameroun ce que les batucadas sont au Brésil : l’emblème fort de son identité musicale, qui contribue depuis des décennies à donner à la scène mondiale quelques-uns de ses plus grands représentants.

Car le phénomène des « bassistes camerounais » ne date pas d’hier. Si Richard Bona, Noël Ekwabi, Étienne Mbappé ou Guy Nsangué sont les valeurs sûres d’aujourd’hui, l’école camerounaise de la guitare à quatre cordes est une vraie ruche, dans laquelle d’illustres stars du jazz, de la chanson, du reggae ou du folk ont jadis butiné avec bonheur.

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C’est du début des années 1960 que date la véritable éclosion des bassistes, époque qui voit l’instrument gagner en popularité à la faveur des (r)évolutions musicales que sont le rhythm and blues, la soul ou le funk.

Dans les nombreux clubs du Cameroun, pays ouvert sur le monde, comme au Vieux Nègre, à Yaoundé, les musiciens locaux s’inspirent de ces nouveaux styles arrivés d’Europe ou des États-Unis, qu’ils intègrent à leur répertoire. De nombreux guitaristes passent alors à la basse, en développant un jeu proche des percussions ou des instruments traditionnels comme la senza ou la kora ouest-africaine. Ils intègrent les sons de l’illustre Motown, qui envahissent alors progressivement le pays et les rythmes locaux comme l’assiko, le bikutsi et, surtout, le makossa, auxquels ils apportent une nouvelle couleur.

De ce foisonnement émergent rapidement de grandes figures nationales. Certaines s’expatrieront très vite en Europe, voire aux États-Unis, pour y faire carrière. Histoire coloniale oblige, c’est souvent la France et sa variété qui leur sert de tremplin. Surnommé « Mister Precision », Manfred Long, l’un des plus connus, accompagne Claude François en lui apportant le beat disco si caractéristique de son répertoire. C’est lui que l’on retrouve, en 1969, aux côtés du jazzman René Urtreger pour un concert mémorable à l’Olympia, au sein d’un orchestre dirigé par Jean-Claude Petit.

Jo Tongo « l’Explosif » est également le bassiste préféré du chanteur israélien Mike Brant, auprès duquel il se produit de 1970 à 1972 avant de jouer dans d’autres groupes (Soul Tramp, Tabala…) et avec Ky-Mani Marley, fils de Bob. La star jamaïcaine du reggae, mais aussi James Brown, Fred Wesley, Maceo Parker ou la pianiste Geri Allen recourront, quant à eux, aux talents de Vicky Edimo. Arrivé en France en 1972, Edimo s’illustre auprès de Sacha Distel et de Dalida, puis il est l’un des premiers bassistes camerounais à s’expatrier aux États-Unis. Ce monstre de technique au slap légendaire a, depuis, transcendé la variété au profit du jazz.

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Mais cet éclat du génie camerounais n’aurait sans doute pas eu la même intensité sans l’existence du maître qu’est Jean Dikoto Mandengue. Venu à la basse sur les recommandations de Manu Dibango, « Jeannot Karl » accompagnera lui aussi les grands hérauts de la chanson hexagonale. Il sera notamment l’autre grand bassiste de Claude François, de 1966 à 1973, avant de voguer sous la sphère afrofunk au sein d’Osibisa et du P-Funk de George ­Clinton.

La liste ne se limite pas à ces trois piliers. Bien d’autres, comme Armand Sabal-Lecco, Jannot Ebelle, Willy Nfor, Didier Likeng, André Manga, Frédéric Doumbé, Aladji Touré – autre roi du makossa – ou Hilaire Penda, ont, à leur manière, apporté ses lettres de noblesse à l’instrument joué désormais sur cinq voire six cordes.

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Les nombreuses analyses de l’émergence du Cameroun dans la « sono mondiale » – qu’elles s’appuient sur la ­géographie du pays, le poids de multiples influences extérieures, son bilinguisme, sa sociologie ou sur sa politique culturelle – n’apportent aucune explication pertinente à ce phénomène. Certaines, qui relèvent de la génétique (la disposition innée des Camerounais pour l’instrument), sont tout bonnement farfelues… L’un des facteurs les plus fréquemment évoqués réside dans la particularité de certains rythmes, comme le bikutsi, dont les caractéristiques musicales ne sont pas sans ­rappeler celles du jazz-rock. Ambassadeur incontestable de l’instrument aujourd’hui, Richard Bona perpétue cette tradition. Mais si sa virtuosité et sa dextérité en font l’un des bassistes les plus recherchés, Étienne Mbappé, fondateur du groupe Ultra­marine, et Guy Nsangué, davantage connus dans les milieux jazzistiques, tiennent également le haut du pavé. Ce n’est pas un hasard si les festivals internationaux cherchent régulièrement à les réunir sur la même scène.

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