Le Nord, le vrai

Un ranch de taille moyenne au cœur de l’Adamaoua, terre d’élevage par excellence… Avec ses voisines, le Nord et l’Extrême-Nord, la région concentre l’essentiel du cheptel bovin camerounais, qui compte quelque 6 millions de têtes.

Publié le 6 janvier 2009 Lecture : 4 minutes.

Face à la crise
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Face à la crise

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La pluie qui est tombée début décembre sur l’Adamaoua, terre d’élevage bovin par excellence, a réjoui les éleveurs. Si elle dure un peu, elle pourra faire reverdir les pâturages et réalimenter les points d’eau. Pour Hamza Ismaïla, un agro-éleveur semi-moderne installé à une quarantaine de kilomètres de Ngaoundéré, chef-lieu de la région (voir carte p. 72), c’est une aubaine inespérée en saison sèche, où l’eau et l’herbe se font rares.

Ce quadragénaire a repris le flambeau familial après avoir fait ses classes auprès de son père, puis à la Compagnie pastorale, un ranch privé aujourd’hui fermé. Il s’est spécialisé dans l’élevage d’embouche (technique consistant à nourrir le bétail avec des herbes ou des plantes et qui permet un engraissage rapide) et dispose d’un troupeau, formé de races locales et hybrides, de quelque 300 têtes. S’il a acquis un solide savoir-faire, il regrette de ne pas avoir pu suivre une formation, car « les écoles d’élevage et d’agriculture existantes sont dans le sud du pays ».

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Un agro-éleveur modèle

Les 700 hectares du domaine familial sont composés de pâturages naturels, de terres de culture et de diverses installations, dont une bergerie. Pour pallier le manque d’eau en saison sèche, Hamza a aménagé un petit barrage alimenté par une rivière, dont il a détourné partiellement le cours. Pour nourrir son troupeau hors saison des pluies, il cultive du brachiaria, une plante fourragère, et du stylosanthe, une légumineuse. Et pour ses propres besoins, du tournesol, du maïs ainsi que quelques légumes provenant de son potager. Cette année, Hamza compte produire du soja. Un moyen d’entretenir les sols et de fournir un complément alimentaire à ses bêtes. Il envisage aussi de réhabiliter des pâturages et de clore des terrains pour y faire paître le bétail. Et, à terme, de se lancer dans l’embouche de taurillons. Des projets qui exigent des moyens financiers. Or ses charges sont déjà bien lourdes.

Évidemment, entretenir un ranch a un coût – particulièrement élevé concernant l’eau – difficile à supporter pour ceux qui ne disposent pas d’un grand troupeau et de vastes ­espaces. Sans compter que l’aliment pour bétail (tourteaux de soja, de coton ou de maïs) est de plus en plus cher et que les sous-­produits du coton se sont raréfiés. À sa charge également l’entretien du bétail, dont la vaccination lui coûte quelque 6 millions de F CFA (un peu plus de 9 000 euros) par an. Hamza renouvelle son troupeau à 70 % à partir de son propre cheptel et, faute de terres suffisantes, il lui est difficile d’en augmenter l’effectif.

D’ailleurs, la question foncière devient un vrai casse-tête : « L’État nous encourage à prendre des terres en concession ou à acheter des titres fonciers, mais ce sont des coûts supplémentaires, soit 5 000 F CFA de taxe par titre », explique-t-il. Et puis il y a la fiscalité : 200 F CFA par tête de bétail et par an, et plus 1 000 F CFA de taxe par tête de bétail vendue… Pour faire face à toutes ces charges, pas moyen d’emprunter à la banque. Quant aux aides de l’État, Hamza n’en a jamais vu la couleur, bien qu’il ait créé, avec ses frères, un groupement d’initiative commune (GIC), baptisé Ngnalel (nom local du héron garde-bœuf), censé faciliter l’octroi d’aides ou de crédits.

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C’est donc sur ses fonds propres qu’il doit financer ses investissements. « J’ai trouvé des machines chinoises bon marché qui me permettront de faire du tourteau de soja. Et si les prix du tourteau de maïs ne baissent pas, je nourrirai mes bêtes avec du maïs entier. » Amer, il déplore le gâchis fait par l’État, dont les tracteurs rouillent au grand jour alors que nombre d’éleveurs labourent encore à la houe et sèment à la main. Sans parler de la construction, à Ngaoundéré, d’un grand bâtiment pour la Délégation provinciale à l’agriculture, bien que l’on soit dans une région d’élevage.

Pour subvenir aux besoins familiaux, qui sont d’environ 300 000 F CFA (458 euros) par mois, il vend en moyenne un taureau par mois. Et davantage quand il doit faire face aux fêtes, à la rentrée scolaire et aux autres dépenses ponctuelles.

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De bien petits profits

C’est au marché de bétail de Ngaoundéré, qu’il vend, cash, ses animaux. Le relais est pris ensuite par des commerçants, qui se chargent d’évacuer les bovins vers les grands marchés de consommation que sont Yaoundé ou Douala (voir encadré). Cependant, de plus en plus d’éleveurs commercialisent eux-mêmes leurs produits. Une manière de récupérer le maigre bénéfice tiré de la vente. « Un bœuf acheté entre 250 000 et 300 000 F CFA est revendu à Yaoundé avec un bénéfice ne dépassant pas 10 000 F CFA », se plaint Hamadou Ousmane, président de la section de Ngaoundéré des Éleveurs, commerçants et bouchers du Cameroun.

Comme lui et comme Hamza Ismaïla, à chaque étape de la filière les acteurs attendent de l’État la mise en place d’une politique plus incitative. Au risque de voir décliner une activité qui nourrit une partie du pays. En effet, si l’élevage transhumant, qui concerne le plus grand nombre d’éleveurs, tend à régresser faute d’espaces disponibles et en raison de la dégradation des surfaces de pâturage liée à la surcharge pastorale, l’élevage intensif connaît, lui aussi, des difficultés. « À terme, seuls pourront survivre les grands éleveurs sédentarisés. On s’achemine vers un élevage spéculatif », explique le docteur Adamou Abba, délégué provincial à l’élevage de ­l’Adamaoua.

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