Mariés comme au bled

Un nombre croissant de Français d’origine maghrébine choisissent le mariage à la mode orientale pour célébrer leur union. Une tendance qui a donné naissance à un business florissant.

Publié le 6 janvier 2009 Lecture : 4 minutes.

Elle est en robe blanche. Lui porte un frac des plus classiques. Autour d’eux résonnent pourtant des airs de raï et les youyous des femmes saluant la mariée. En arabe, Mourad, le chauffeur de salle qu’ont choisi Rhym, une jeune Française originaire d’Algérie, et Lilo, son compagnon italien qui l’épouse aujourd’hui, invite les convives à danser « comme au bled ». Sur scène, le corps des danseuses ondule avec sensualité.

Pendant ce temps, des serveurs disposent des tajines sur des tables décorées de chandeliers noir et blanc au design recherché. Au dessert, des pâtisseries orientales accompagnent la sacro-sainte pièce montée alors que, dans une tente bédouine dressée pour l’occasion, les verres de thé à la menthe détrônent les coupes de champagne traditionnellement servies en l’honneur des mariés. Minuit sonne : Mourad annonce aux convives que « la mariée va [les] transporter dans le monde des mille et une nuits ». Un rideau se lève et la laisse apparaître en caftan, portée par de jeunes hommes en djellabas…

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Spectacle folklorique

L’ambiance pourrait laisser croire que nous sommes dans l’un de ces fameux riads marrakchis où bon nombre de couples français d’origine maghrébine rêvent de se marier. Pourtant, il s’agit simplement de l’une des salles situées dans le parc floral du bois de Vincennes, à Paris. Installés en banlieue parisienne, Rhym et Lilo ont décidé d’y convoler en justes noces, dans le cadre d’un mariage oriental dont ils rêvaient depuis plus d’une année. Comme eux, de plus en plus de Français souhaitent célébrer leur union à travers un « mariage traditionnel » qui n’en a bien souvent que le nom. Dans la plupart des cas, en effet, la cérémonie relève davantage du spectacle folklorique que d’une célébration effectuée dans les règles de l’art. Les rites sont adaptés, la musique modernisée et les vêtements relookés. L’Orient convoqué est une construction imaginaire, à mi-chemin entre les souvenirs de vacances au bled et le monde rêvé de Schéhérazade. « En ce qui me concerne, il n’était pas question de faire exactement comme en Algérie. Là-bas, hommes et femmes sont séparés pendant toute la fête, la mariée s’ennuie et ne danse pas », confirme Rhym.

Les couples intéressés par les mariages orientaux sont, en majorité, originaires du Maghreb et issus de toutes les catégories sociales. Pour Omar, un jeune époux d’origine marocaine, se marier comme au pays est un moyen de « faire honneur à sa culture », de « s’inscrire dans une filiation », explique-t-il. Même si la dimension religieuse de la cérémonie se résume, la plupart du temps, à l’absence d’alcool pendant la fête. « Dans certains milieux très religieux, il m’est également arrivé de devoir dresser un rideau au centre de la salle pour qu’hommes et femmes ne se voient pas », raconte Hemza, propriétaire d’une salle de mariage en banlieue parisienne. « Mais de telles demandes restent rares », nuance-t-il.

Selon Zoubida Chergui, initiatrice du Salon du mariage oriental – dont la deuxième édition, organisée au mois d’octobre dernier à Montreuil, a attiré quelque 17 000 visiteurs –, le succès en France de ce type de cérémonie s’explique par le cocktail détonnant qu’il compose : un zeste de tradition et beaucoup de modernité. Une analyse que partagent également traiteurs, musiciens et décorateurs, qui ont donné à leurs prestations un sérieux coup de balai.

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Responsable d’un atelier de couture à Paris, la styliste algérienne Ouarda Helli a ainsi revisité le modèle de la robe kabyle traditionnelle, épurant son style et améliorant son confort pour séduire une génération qui avait jusqu’à présent « une image très conservatrice et un peu ringarde du mariage oriental ».

« Lorsqu’ils décident de se marier, les couples d’aujourd’hui sont, certes, soucieux de ne pas négliger les traditions de leurs parents, mais à une condition : qu’elles ne les contraignent pas à abandonner les références occidentales dans lesquelles ils ont grandi », analyse Dallal Mansouri, directrice de l’agence Sultane Balkis, spécialisée dans l’organisation de mariages orientaux.

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15 000 à 20 000 euros de budget

Longtemps resté un marché informel, fermé et peu professionnalisé où le bouche à oreille tenait lieu de stratégie marketing, cette activité est aujourd’hui devenue un business florissant. Il faut dire que les budgets consacrés aux cérémonies sont en constante augmentation : ils atteignent actuellement 15 000 à 20 000 euros, en moyenne. Dans la seule région Île-de-France, on recense pas moins de 600 entreprises œuvrant dans le secteur. Si sa professionnalisation s’est fait attendre, la faute en revient surtout à la tradition maghrébine, où le mariage est une fête que seule la famille est habilitée à organiser. « Pour celui de ma sœur, il y a sept ans, raconte Omar, c’est ma mère qui a tout arrangé. Pour le mien, en revanche, j’ai dépensé la somme qu’il fallait pour qu’elle reste assise et profite de la soirée. » Financièrement plus à l’aise que leurs parents, les couples de la jeune génération ne vivent plus de la même façon le jour de leur union, qu’ils célèbrent par ailleurs dans un contexte très différent : « Avant, on attendait de rentrer au bled pour se marier, raconte la mère de Hind, l’épouse d’Omar. Mais nos enfants, eux, sont français, il est donc normal qu’ils se marient ici, dans leur pays. »

Pour les plus radicaux, toutefois, le boom du mariage oriental n’est qu’« un business, avec lequel les Français veulent se faire de l’argent sur notre culture, après avoir investi l’industrie du halal », s’insurge Medhi, qui se mariera en juillet prochain à Paris dans la plus pure tradition algérienne. À l’épreuve des faits, on ne peut lui donner tout à fait tort : le mariage oriental commence en effet à séduire au-delà de sa cible initiale. Quelques Français « de souche » se sont d’ores et déjà montrés intéressés par une fête qui garantit une cérémonie « festive », « gaie » et surtout « différente de ce que l’on a l’habitude de voir ». Le charme des mille et une nuits n’a, semble-t-il, pas fini d’opérer…

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