Poutine joue gros

Contrairement à ce que les experts préconisent pour compenser la chute des cours des hydrocarbures, le Premier ministre russe refuse de dévaluer. Un pari osé qu’il pourrait payer cher si la crise sociale venait à s’aggraver.

Publié le 6 janvier 2009 Lecture : 4 minutes.

Comme en 2006, une nouvelle « guerre du gaz » s’est déclenchée entre la Russie et l’Ukraine, à l’approche du 1er janvier. Les autorités russes ont de nouveau adressé à Kiev un message l’enjoignant de « payer ses dettes jusqu’au dernier rouble » avant la fin de l’année 2008 pour les livraisons de gaz effectuées à l’automne dernier. Dans le cas contraire, la Russie fermera les vannes sans délai, a menacé Moscou. Récurrente, la crise gazière entre les deux pays survient toutefois dans un contexte particulier cette année : en raison de la crise financière, les dirigeants russes doivent faire face à une situation économique et sociale très tendue, qui les rend plus que jamais dépendants des revenus pétroliers.

Depuis septembre dernier, en effet, la chute vertigineuse des cours du brut inquiète le gouvernement russe, qui voit la principale source de revenus de son économie diminuer. La baisse du prix du baril, passé de 147 dollars cet été à moins de 40 dollars aujourd’hui, a mis un terme brutal au boom économique du pays. Ce dernier, qui enregistrait une croissance de 7 % il y a encore six mois, est désormais au bord de la récession. La Banque centrale a, en outre, déjà perdu plus du quart de ses réserves en devises en raison des efforts qu’elle a fournis en août pour tenter de limiter la désaffection vis-à-vis du rouble causée par la fuite des investisseurs après le déclenchement de la guerre en Géorgie. Avec 451 milliards de dollars, les réserves russes restent certes les troisièmes plus importantes dans le monde, mais la baisse des cours du brut limite la capacité du pays à renflouer ses caisses.

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Une Combinaison explosive

La situation est telle qu’un haut conseiller de Vladimir Poutine lui a recommandé de dévaluer le rouble pour compenser les pertes liées à la chute du prix des hydrocarbures. Mais celui-ci lui a opposé un niet définitif. « Il a répondu qu’il ne serait pas le Premier ministre de la dévaluation », affirme une source proche du Kremlin.

La politique de soutien au rouble menée par Vladimir Poutine coûte pourtant à l’État russe entre 6 et 10 milliards de dollars par semaine, si bien que si les choses continuent d’empirer, Poutine ne pourra pas désamorcer le mécontentement populaire en procédant à une hausse des dépenses sociales, comme il l’avait fait en 2003. En outre, selon les analystes, une baisse de 20 % du rouble est nécessaire pour stimuler l’économie, contenir l’augmentation du coût des importations et accroître les revenus issus des exportations de matières premières.

Mais, au cours des huit dernières années, où il a successivement occupé les postes de président puis de Premier ministre, Poutine a construit sa crédibilité sur sa capacité à sortir la Russie des difficultés financières dans lesquelles elle était engluée dans les années 1990. Le Premier ministre entend donc persister dans sa stratégie. S’il a concédé à la Banque centrale une très légère baisse de la monnaie nationale, le rouble n’a perdu cette année que 15 % par rapport au dollar et 12 % par rapport à l’euro. Pour beaucoup d’économistes, il s’agit pourtant d’une mesure insuffisante, tant la crise de confiance s’est déjà installée. Ainsi, en octobre, les Russes ont déjà retiré 6 % de leur épargne pour la convertir en dollars. Les banques, elles aussi, ont commencé à convertir leurs devises et cessé de prêter en roubles, accroissant la pression sur l’économie. « Tout le système de paiement souffre d’indigestion », affirme un banquier occidental. Dès lors, la politique monétaire qu’est en train de mener Vladimir Poutine apparaît comme l’un des choix les plus risqués de sa carrière politique…

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Si les problèmes économiques auxquels la Russie est confrontée actuellement révèlent à quel point la création de richesses sous l’ère Poutine est restée dépendante des variations des cours du pétrole, ils ont fini par ternir aussi l’image d’homme infaillible que le successeur de Boris Eltsine s’est forgée depuis son arrivée à la présidence en 2000. Dans une récente émission télévisée, celui-ci est en effet apparu très tendu et n’a pas eu le cœur à servir ses traditionnelles plaisanteries. Comme en témoignent les milliers de Russes qui sont descendus dans la rue en décembre pour manifester contre la gestion de la crise économique et financière par le gouvernement, le Premier ministre doit faire face à une agitation croissante au sein de la population. Avec près de 400 000 emplois supprimés lors du seul mois de novembre, la tension ne semble pas près de s’apaiser. Boris Dubin, analyste au centre indépendant de sondage Levada, considère que 15 % à 20 % de la population a déjà été touchée par la crise… « La dépréciation du rouble, conjuguée à une forte hausse des suppressions d’emplois, crée une combinaison explosive. »

Épidémie

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Récemment, Dmitri Medvedev a été pris à partie lors d’un discours au Kremlin. En décembre encore, à Vladivostok, des milliers de manifestants ont protesté contre le projet d’augmenter les taxes sur les importations de voitures d’occasion. Certains portaient des banderoles appelant Poutine à la démission… « C’est une épidémie, constate Olga Kryshtanovskaya, membre de l’Académie des ­sciences. Les gens commencent à sentir les faiblesses du régime. Au début, seuls les plus courageux osaient descendre dans la rue, mais d’autres pourraient les rejoindre prochainement. »

Jusqu’à présent, le Kremlin a gardé la mainmise sur la couverture médiatique de la crise économique et de l’agitation sociale qui en découle. Poutine essaie par ailleurs de calmer le mécontentement général en promettant davantage de dépenses. Les sondages continuent, certes, de le créditer d’une forte popularité. Mais on ne peut pas « exclure la possibilité que les Russes investissent la rue au printemps », soutient Boris Dubin.

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