L’envolée des chrétiens célestes

Cette Église prophétique d’origine béninoise a essaimé sur tout le continent et même au-delà. Un succès dû à sa proximité avec les traditions locales, la pratique de la divination et de la guérison. Reportage.

Publié le 5 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

La première voiture à se garer devant le temple Saint-Samuel-Hindé II, à Cotonou, est une grosse Toyota arborant sur son capot un christ aux bras levés et, en lettres blanches, l’inscription : « Alléluia  FM 96,5 MHz, La radio de l’Église du christianisme céleste ». Suivent plusieurs â¨Mercedes flambant neuves dont s’extraient un à un des dignitaires de ­l’Église, drapés dans leurs impeccables surplis – violets, chocolat, gris, jaunes, vert foncé… – indiquant leur rang hiérarchique. Ce dimanche est un jour exceptionnel pour les fidèles tout de blanc vêtus : le révérend pasteur Benoît Agbaossi honorera la paroisse de sa présence.

Pieds nus comme tout le monde, celui qui a succédé au fondateur de l’Église du christianisme céleste (ECC), Samuel Biléou Joseph Oschoffa, est accueilli en fanfare par l’orchestre. Grand et digne dans sa toge bleu roi cousue de fils d’argent, il va prendre place au fond du temple, dont les murs vert menthe sont décorés de fruits et de légumes… Le culte du dimanche est parfaitement réglé. Après un Gloria, l’entrée solennelle s’est déroulée en fonction de la position hiérarchique de chacun, par ordre croissant. À l’intérieur, les hommes, tête nue, et les femmes, portant une coiffe immaculée « pour se protéger du pouvoir de l’Esprit saint, trop fort pour elles », se sont installés de chaque côté de la travée centrale. Plus l’on est près du chœur, plus on occupe un rang élevé dans la complexe hiérarchie de l’Église. Les habits liturgiques permettent au connaisseur de distinguer les vénérables seniors allagbas, les vénérables seniors wolidjas, les wolileaders, les vénérables seniors leaders, les honorables seniors évangélistes, les vénérables seniors évangélistes, les supérieurs seniors évangélistes, etc.

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Le culte du dimanche, qui dure quatre heures, est ponctué de cantiques, de clochettes tintinnabulant, de prières et lectures tirées de l’Ancien ou du Nouveau Testament, avant une prédication.

Dons et offrandes

Au cours de la sienne, prononcée en langue locale et traduite en français, le révérend Agbaossi insiste sur l’importance des dons : « Cette cotisation est bénite, et si tu la diminues, le fardeau pèsera sur tes épaules. Quand tu te soustrais à la cotisation, tu pèches ! » Passent ensuite entre les rangs des hommes et des femmes qui, armés d’un bâton au bout duquel pend un sac de velours, recueillent les offrandes. D’autres quêtes suivront pour les « œuvres sociales de la paroisse » et la dîme… Après un dernier Notre Père, un Gloria et sept alléluias en direction des quatre points cardinaux, chacun, dans un ordre très précis, se dirige vers la sortie.

L’originalité du christianisme céleste réside dans le corps des « visionnaires », sorte de devins, qui peuvent être consultés par tous. « D’aucuns prétendent que c’est du spiritisme ou de la magie. Les plus extravagants parlent de fétichisme ou de mysticisme. Or c’est tout simplement la manifestation du Saint-Esprit au milieu de l’Église du Christ. […] Pourquoi aimeriez-vous consulter les devins, les charlatans, les médiums, lorsque Dieu se laisse consulter ? » indique la brochure de présentation de l’Église.

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C’est d’ailleurs une vision, le 29 septembre 1947, qui a révélé sa vocation au prophète Oschoffa, celle de fonder une Église. « Au cours de la prière, écrit Oschoffa, je vis devant moi une grande clarté pareille à un phare d’auto. Derrière cette grande clarté qui diminuait d’intensité, je vis, semblable à un être humain, un être resplendissant dont les yeux pointus scintillaient et dont les pieds ne se reposant pas sur le sol brillaient d’un éclat particulier. »

Devenir visionnaire, ou woli, ne se décide pas : c’est Dieu qui élit le sujet, à n’importe quel moment. Si la plupart des wolis sont des femmes, les plus élevés dans la hiérarchie et les puissants sont en général des hommes. Leurs « visions », toujours gratuites, révèlent au fidèle les causes occultes de ses infortunes et les moyens d’y remédier. Après avoir fait ses révélations, le visionnaire établit une prescription, sorte d’ordonnance portant le cachet de l’église, le nom du woli consulté et la date. Les « médicaments » prescrits vont de la prière « de combat » avec l’aide de bougies, à la flagellation avec un rameau de palmier ou une ceinture sacerdotale, en passant par les bains et breuvages réparateurs, les actions de grâce, etc. Il s’agit, comme l’explique Albert de Surgy*, « d’apprendre à démasquer [Satan] sous une multitude de déguisements, se faire informer des menaces qu’il fait peser sur la vie des gens et des façons les meilleures de les esquiver ». La vision peut aussi déboucher sur une guérison. Maladie, accident de la vie, problème de couple, problème d’emploi, globalement toute mauvaise fortune est considérée comme le résultat d’un acte malveillant. Un système de pensée finalement assez proche de celui de la religion vaudoue.

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La plupart des chrétiens célestes disent s’être convertis après avoir assisté à un miracle. Comme le supérieur senior évangéliste François Zounvéha, dont le jeune frère était malade. « Ma maman l’a conduit dans un temple et, en ma présence, il a reçu de l’aide et il a été guéri. Avec le verbe et la parole de Dieu, il est possible de vaincre les pratiques diaboliques », assure-t-il.

Cathédrale à Abidjan

La petite Église de Porto-Novo fondée par Oschoffa est devenue en un demi-siècle l’une des plus grandes réussites du continent. À en croire le trésorier de l’ECC, le colonel de douanes Marcellin Zannou, le Bénin compterait aujourd’hui plus de 2 500 paroisses, et le christianisme céleste serait la deuxième religion du pays après le catholicisme. De par ses origines africaines, le christianisme céleste est, plus que les autres religions, adapté aux mentalités et aux traditions locales. Il n’est pas rare par exemple que les fidèles entrent en transe, pratique courante dans les rites vaudous. De plus, l’ECC offre la possibilité à ses membres d’évoluer au sein de la hiérarchie, reste assez indulgente en matière de discipline, accepte la polygamie et promet des jours meilleurs, ici et dans l’au-delà. Autant d’ingrédients propices au succès. Une chose est sûre : depuis sa naissance et sans forcer sur la propagande, cette Église indépendante africaine a essaimé à travers toute l’Afrique de l’Ouest mais aussi en dehors du continent. Elle peut s’enorgueillir de quelques pratiquants célèbres, comme le président centrafricain François Bozizé. Celui-ci a participé, à hauteur de 5 millions de F CFA, tout comme le président Laurent Gbagbo, au financement de la première cathédrale céleste de Côte d’Ivoire, qui doit être construite début 2009 à Port-Bouêt. La plus grande communauté se trouve au Nigeria, et des lieux de culte ont fleuri un peu partout, de Ouaga à Lomé en passant par Bouaké. À Paris, en province, mais aussi dans la lointaine Martinique, les chrétiens célestes ont su développer leur influence, comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Ils y ont aussi exporté leurs divisions.

La mort à Lagos – où il avait fui le régime de Mathieu Kérékou – du fondateur Samuel Oschoffa a en effet entraîné une violente querelle de succession de laquelle Benoît Agbaossi s’est plutôt bien sorti. Diverses dissidences continuent de coexister, comme celle du révérend pasteur Xavier Gbedayi… La rançon du succès, sans doute.

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