L’offensive de charme des militaires

Missions d’explications et appels à la compréhension : la junte compte bien convaincre la communauté internationale. Pour éviter les sanctions et tenir le pays jusqu’aux élections.

Publié le 5 janvier 2009 Lecture : 4 minutes.

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Au coeur de la junte

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Au début, c’était un peu « seuls contre tous ». Quand ils ont pris le pouvoir, le 23 décembre au matin, les putschistes de Conakry ont d’abord tourné leurs regards vers la Guinée-Bissau. Même si cela paraît fou, ils ont vraiment cru à un remake de 1970 : un débarquement de mercenaires venus de Guinée-Bissau, à l’initiative d’opposants de Bissau et de Conakry. Ils s’en sont même ouverts aux présidents Nino Vieira et Abdoulaye Wade. Les premiers jours, les nouveaux maîtres de Conakry étaient donc sur le qui-vive et faisaient un complexe d’encerclement, comme au temps de Sékou Touré.

Mais, très vite, les putschistes ont changé de stratégie. Dès le 24 décembre, le nouvel homme fort, le capitaine Moussa Dadis Camara, a lancé une offensive de charme vers la communauté internationale. Il a promis qu’il ferait des élections libres et qu’il rentrerait ensuite dans sa caserne. Puis il a pris son téléphone et a appelé tous les chefs d’État de la sous-région. Officiellement pour les inviter aux obsèques de Lansana Conté. En réalité pour faire valider le putsch.

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Le 26 décembre, quatre chefs d’État (Guinée-Bissau, Sierra Leone, Liberia, Côte d’Ivoire) se sont rendus aux funérailles. Nino Vieira, vêtu d’un grand boubou blanc couleur de deuil, a dit qu’il n’oublierait jamais le soutien que lui a accordé le général Conté contre les Portugais. « Ce n’est pas un ami, mais un frère. Lansana Conté est une partie de moi-même », a-t-il lancé au Palais du peuple de Conakry, le visage grave. Laurent Gbagbo s’est recueilli devant la dépouille mortelle de l’homme qui lui avait livré quantité d’armes avant sa tentative de reconquête du nord de la Côte d’Ivoire en 2004 – c’était l’époque où la Guinée aidait tous les ennemis du Burkina Faso.

Vieira et Gbagbo étaient donc là pour saluer la mémoire du cher disparu, mais leur présence ne pouvait que conforter les putschistes. D’ailleurs, c’est le numéro deux de la junte, le général Mamadouba « Toto » Camara, qui les a accueillis à l’aéroport de Conakry.

Dans leur opération de séduction, les chefs de la junte ont reçu le précieux renfort de l’opposition guinéenne. Dès le lendemain du putsch, la plupart des opposants ont pris acte du coup de force. Or, parmi eux, certains ont un joli carnet d’adresses. Les anciens Premiers ministres Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo connaissent tous les hommes d’État de la sous-région. Alpha Condé, l’opposant de toujours, n’est pas en reste. Il est le fidèle ami de tous les ténors de l’Internationale socialiste, à commencer par Laurent Gbagbo.

« 2010 n’est pas une date absolue »

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Parmi les chefs d’État, la plus belle prise des putschistes est certainement Abdoulaye Wade. Le 26 décembre, le capitaine Dadis a longuement appelé le président sénégalais, qui passait les fêtes à Paris. Et Camara a fait mouche. « Quand il me parlait, je sentais qu’il avait les larmes aux yeux », a réagi Wade. « C’est un jeune pur qui veut bien faire et qui n’a pas d’ambition politique. Il me paraît tout à fait honnête. » Bien sûr, le jeune capitaine jouait sur du velours. Connaissant le goût de Me Wade pour les causes perdues (Madagascar en 2002, la Mauritanie l’an dernier), il a su flatter l’orgueil du vieil avocat. Mais là encore, il a bénéficié du renfort de l’opposition guinéenne. Confidence de Wade : « Si Alpha Condé et les autres me disent que ces militaires méritent d’être soutenus, pourquoi leur jetterais-je la pierre ? »

En fait, la chance des putschistes, c’est que leur coup de force a été anticipé. Dès 2003, le représentant spécial de l’ONU en Afrique de l’Ouest, Ahmedou Ould Abdallah, a recommandé pour la Guinée un coup d’État militaire suivi d’une transition civile afin d’aller à des élections libres. Chez les diplomates onusiens, on appelle ça « le scénario de la cassure pour repartir de zéro ». Manque de chance, le rapport confidentiel a « fuité. » D’où un joli pataquès entre Conakry et New York. Mais le document a fait son effet. Aujourd’hui, les États-Unis et l’Afrique du Sud sont les seuls à condamner fermement le coup d’État. La France, elle, se dit « vivement préoccupée », ce qui ressemble fort à un accord tacite donné à la junte. Nicolas Sarkozy demande juste des « élections libres et transparentes à bref délai », sans réclamer de date précise.

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C’est justement sur la date des élections que la junte sera vraiment jugée. Après avoir parlé de décembre 2010, le président autoproclamé s’est montré moins catégorique, le 30 décembre, lors d’une rencontre avec les représentants de la communauté internationale, à Conakry. « La date de 2010 n’est pas absolue, cela peut être six mois, huit mois, dix mois ou au-delà. Cela dépend du peuple de Guinée », a-t-il précisé. Au même moment, le numéro deux du CNDD, le général Mamadouba « Toto » Camara, nommé ministre de la Sécurité, entreprenait une mission d’explication en Afrique de l’Ouest.

De l’avis général, ce délai de 2010 est beaucoup trop long. « Deux ans, ce n’est pas acceptable », lâche un membre de la commission de l’Union africaine. « Ce capitaine Camara n’a aucune expérience. » Sous-entendu : en deux ans, la junte a tout le temps de s’entre-déchirer et de laisser le champ libre à un nouveau Lansana Conté. « Il n’y a pas de bons ou de mauvais coups d’État, ajoute ce diplomate, mais certains sont moins condamnables que d’autres. En Mauritanie, le putsch de 2005 a permis d’établir la démocratie parce que, très vite, le général Vall a indiqué qu’il ne se présenterait pas. Si les putschistes de Guinée s’inspirent de ce coup d’État, très bien ! Mais s’ils s’inspirent du second, celui de 2008, alors là, non ! »

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