Silence, on tue

Les explications confuses de Tel-Aviv pour justifier le déluge de feu qui s’est abattu sur Gaza confirment ce qui était une évidence : l’État hébreu préfère vivre par l’épée plutôt que faire les concessions nécessaires à la paix.

Publié le 5 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

La guerre d’Israël à Gaza est une pure folie politique. C’est le produit d’une société profondément perturbée, incapable de refréner son arrogance militaire et de tempérer sa constante paranoïa. Les conséquences à long terme pour Israël en seront très certainement douloureuses.

En radicalisant les Palestiniens, en exacerbant la colère du monde arabe et musulman, cette guerre sauvage détruit toute possibilité d’intégration d’Israël dans la région. Du moins dans un futur proche. Mais tel est peut-être son cynique objectif dans la mesure où ce qui est visé, ce n’est pas tant la coexistence pacifique que la domination.

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Alors que les F-16 poursuivent leur œuvre de mort, le message envoyé au monde est clair : Israël continuera de vivre par l’épée, comme il l’a fait ces soixante dernières années, plutôt que de prendre le risque de faire les concessions et compromis nécessaires à la paix. La guerre a en réalité confirmé ce qui était déjà une évidence, à savoir que l’État hébreu n’a aucun intérêt à une paix négociée. Celle-ci signifierait la cession de territoires, alors qu’Israël veut encore s’étendre. Comme le démontrent le pillage de la Cisjordanie, le développement des colonies, la démolition des maisons arabes, le mur de sécurité, les routes réservées aux colons, l’étranglement de l’économie palestinienne par plus de six cents check-points et quantité d’autres cruelles vexations.

2 000 morts en trois ans

La paix est la principale victime de cette guerre. Elle est aussi morte que les corps éparpillés dans Gaza. La solution de deux États a reçu le coup de grâce. Les timides pourparlers ­israélo-syriens ont été interrompus. Le plan de paix arabe, qui offrait la paix à Israël, ainsi que des relations normalisées avec les vingt-deux États arabes s’il revenait à ses frontières de 1967, a été enterré dans les décombres. L’un des objectifs de l’opération a sûrement été d’empêcher la nouvelle administration américaine de relancer un processus de paix moribond. Il faudra des mois pour déblayer les ruines. Et, en ce qui concerne l’administration sortante, les mensonges de Condoleezza Rice, qui rend le Hamas seul responsable de la guerre, serviront d’accablante épitaphe à la secrétaire d’État américaine la plus inefficace des Temps modernes.

Israël n’a jamais aimé les Palestiniens modérés, pour la bonne raison qu’il aurait été possible de leur accorder des concessions. Pour éviter d’avoir à négocier, l’État hébreu a toujours préféré les radicaux – et quand ceux-ci manquaient à l’appel, tout a été fait pour les créer. « Comment peut-on négocier avec quelqu’un qui veut vous tuer ? » est un refrain israélien familier. Il est possible que cette guerre ait été décidée précisément parce que le Hamas a récemment donné des signes de modération. Ses principaux porte-parole – dont Khaled Mechaal, chef de son bureau politique – ont exprimé leur volonté d’accepter un État palestinien à l’intérieur des frontières de 1967. Au grand désarroi d’Israël, ils ont entrepris de prendre leurs distances avec la charte de leur mouvement, qui date de 1987 et appelle à la destruction de l’État hébreu.

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Les roquettes Qassam ont été très embarrassantes pour Tel-Aviv, incapable de les arrêter sans avoir à conclure une trêve. Elles ont irrité une population aveugle à toute autre souffrance que la sienne. Mais, en réalité, ces roquettes n’étaient rien de plus que d’exaspérantes piqûres d’épingle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Moins de 20 Israéliens ont été tués depuis que l’État hébreu s’est retiré de Gaza, en 2005. Durant la même période, Israël, faisant montre d’un stupéfiant mépris envers les vies arabes, a liquidé plus de 2 000 Palestiniens. L’État hébreu n’a jamais accepté cette trêve avec le Hamas et a choisi de ne pas en respecter les termes. Au lieu de desserrer le blocus, comme il était censé le faire, il l’a resserré, réduisant à la misère la bande de Gaza. Puis il a interrompu la trêve de manière unilatérale, le 4 novembre, avec une intrusion armée qui a coûté la vie à plusieurs hommes du Hamas. Rétrospectivement, cette intervention apparaît comme une provocation destinée à entraîner une riposte violente et fournir un casus belli.

Stratagème électoral ?

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Le principal but de cette attaque tous azimuts est de réaffirmer la suprématie militaire d’Israël sur ses voisins – suprématie dont il jouit depuis sa création, en 1948. La guerre est un avertissement au Hezbollah libanais, à la Syrie et à l’Iran, qui pourraient, eux aussi, subir la dévastatrice punition qu’endure aujourd’hui Gaza. La dissuasion est au cœur de la doctrine sécuritaire d’Israël, qui veut avoir la liberté totale de frapper sans jamais être frappé en retour. Qui peut, pour se protéger, faire usage de la force brute et qui est totalement opposé à un équilibre régional des forces qui l’obligerait à modérer ses actions.

Au cours des dernières années, cependant, la capacité dissuasive d’Israël a été ébranlée par le Hezbollah, le Hamas et l’Iran. Le Hezbollah a tenu l’État hébreu en échec lors de la guerre du Liban en 2006 tandis que les roquettes du Hamas l’ont obligé à conclure une trêve. Plus grave encore, du point de vue israélien, les États-Unis ont résisté aux pressions l’enjoignant de faire la guerre à l’Iran, dont le programme nucléaire est volontiers dépeint comme une menace « existentielle ». Si la République islamique parvenait un jour à se doter de la bombe, Israël ne pourrait plus frapper ses voisins.

Tout au long de la trêve avec le Hamas, qui a commencé il y a six mois, le 19 juin, le ministre de la Défense, Ehoud Barak, s’est attelé à la planification de la guerre. La dernière chose qu’Israël acceptera, c’est bien que le Hamas puisse acquérir ne serait-ce qu’une infime capacité de dissuasion. C’est ce que voulait dire Barak quand il a déclaré que son objectif était de « changer totalement les règles du jeu ». Résister à Israël, de quelque manière que ce soit, ne sera plus permis. Le Hamas doit être simultanément détruit et extirpé de Gaza.

Le 10 février, dans quelques semaines, les Israéliens se rendront aux urnes. L’issue de la guerre dira si Barak, l’architecte meurtrier de l’opération contre Gaza, et le Parti travailliste pourront en tirer les bénéfices aux dépens du parti Kadima de Livni et du Likoud de Netanyahou. Il serait tentant de voir la guerre comme un cynique stratagème électoral de Livni et Barak visant à accroître leurs chances respectives de l’emporter en maintenant Netanyahou à l’écart. En fait, tous les leaders politiques israéliens, toutes tendances confondues, ont donné leur accord à cette guerre. Tous sont ivres de puissance militaire. Tous se réjouissent du nombre croissant de victimes palestiniennes. Aucun ne semble vouloir envisager les implications d’une véritable paix. Peut-être qu’aucun d’eux ne croit que les crimes d’Israël seront un jour oubliés ou pardonnés, et qu’ils n’ont, du coup, aucune autre solution que de continuer à tuer.

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