Les groupes africains, premier rempart contre la crise

Si des secteurs clés pour les économies africaines manifestent des signes d’affaiblissement, le continent peut compter sur la stratégie conquérante de ses entreprises pour résister.

Publié le 30 décembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Alors que les pays industrialisés affronteront l’an prochain la plus forte chute de croissance de ces trente dernières années et que la Chine est au bord de la rupture, l’Afrique devrait mieux résister à la récession économique. La progression du PIB africain est attendue à 4,9 % en 2009, contre 6 % en moyenne ces dernières années. Un dynamisme théoriquement préservé, qui se retrouvera dans la vitalité de certains secteurs – le marché de la téléphonie mobile progressera encore de 14 % en 2009 – et à travers la stratégie conquérante des groupes du continent dans la banque ou l’aérien. Bien sûr, des inquiétudes persistent. L’immobilier et le tourisme sont sous tension. Exsangues, les multinationales honoreront-elles les dizaines de milliards de dollars d’investissements annoncés sur le sol africain ? Et dans cette tourmente mondiale, il y a peu de chances que les pays africains, notamment producteurs de coton, se fassent entendre pour relancer les négociations de Doha à l’OMC.

Banque et Finance

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L’année des africaines

Marocaines, nigérianes ou multinationales, à l’instar d’Ecobank, de BOA Group ou encore de BGFI Bank : 2009 sera l’année des banques africaines, épargnées par la crise des subprimes. Ceux qui leur reprochaient d’être trop isolées des marchés internationaux pourraient les en féliciter aujourd’hui. Ecobank affiche un PNB en hausse de 74 % pour les neuf premiers mois de 2008. Présent dans 26 pays, le groupe, né il y a vingt ans en Afrique de l’Ouest, a signé à la mi-décembre un partenariat avec Nedbank, quatrième sud-africaine, qui lui permet d’être actif dans 6 pays d’Afrique australe à partir de janvier. Croissance à deux chiffres également pour les nigérianes, à commencer par UBA, la plus offensive à l’international. Le 10 décembre, elle a publié ses résultats 2008, marqués par un PNB en hausse de 55 %. Le groupe a également fait part de son intention de s’implanter dans 23 pays à la fin de 2009 (11 en 2008). L’Afrique subsaharienne est également la cible des deux groupes privés marocains BMCE Bank et Attijariwafa Bank. Le premier est entré au capital de BOA Group, installé dans 12 pays. Attijariwafa Bank a pris le contrôle, début décembre, des filiales du français Crédit agricole, pour arriver en force au cœur de la zone franc. Signe de sa détermination : ses filiales sénégalaises ont fermé le week-end du 20 décembre pour unifier leurs ­services.

Multinationales

Grande inquiétude sur les investissements miniers

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Fermée avant même d’être exploitée ! C’est le coup dur qui vient de frapper la mine de zinc de Perkoa (Burkina). L’exploitation, prévue pour démarrer fin 2008, devait créer 1 800 emplois et rapporter 200 millions d’euros à l’État burkinabè dès l’année 2009. La chute du prix de la tonne de zinc à 1 000 euros (4 000 euros à la fin de 2006) a fait reculer l’australien AIM Ressources. En RD Congo, la Compagnie minière du Sud-Katanga (CMSK) a mis le site de Luiswishi (cobalt et cuivre) au chômage technique depuis le 20 décembre, tandis que la trésorerie de Katanga Mining, cotée à Toronto, est à sec. La chute de la demande, l’effondrement des cours des métaux et de la capitalisation boursière des multinationales minières affecteront les projets d’investissements africains des Rio Tinto, BHP Billiton, Forrest et autre Xsrata. Rio Tinto a précisé qu’il réduirait ses investissements, de 9 à 4 milliards de dollars en 2009. Selon le cabinet canadien Metals Economics Group, les budgets d’exploration minière de 14,4 milliards de dollars en 2008 – un pic – pourraient chuter jusqu’à 60 % en 2009. Un drame pour les économies africaines. La Banque mondiale a calculé qu’un tiers de la croissance des pays émergents provient des investissements étrangers, principalement dans les mines.

Aérien

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À la reconquête du ciel

Tout un symbole. Plus de six ans après la déconfiture d’Air Afrique, une nouvelle compagnie panafricaine, Asky, prendra son envol au premier trimestre de 2009, avec plusieurs mois de retard sur le calendrier initial… Après un démarrage en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, la compagnie veut rapidement couvrir tout le continent avant de viser l’Europe, les États-Unis et l’Asie. À ses côtés, Ethiopian Airlines, qui détient 20 % des 200 millions de dollars de capital de départ. Aux manettes de ce projet 100 % privé, Ecobank, la BOAD et la BICD voudront éviter les dispendieux dérapages de son aînée. Autre événement majeur : la privatisation de Royal Air Maroc, qui devrait se concrétiser par la cession de 30 % à 40 % du capital. Air France KLM et Emirates figurent parmi les favoris. Les projets se multiplient dans le ciel africain, encombré de 60 compagnies, loin d’être toutes rentables et qui s’arrachent 4 % du marché mondial. Au Gabon, Claude Christian Bongo Ondimba met sur pied une compagnie, Allegiance Airways, avec des capitaux sud-africains.

Tourisme

Destination low cost

En plein boom depuis quatre ans, le tourisme mondial connaîtra une croissance proche de… zéro en 2009, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Bien qu’en marge des flux internationaux (5 % des destinations, 3 % des recettes), l’Afrique, qui connaissait une croissance à deux chiffres, risque d’en pâtir. Son taux de progression a d’ailleurs été divisé par deux sur les huit premiers mois de 2008. Dans ce contexte, tout au plus peut-on espérer égaler les 44,2 millions de touristes enregistrés en 2007. Les destinations long-courriers risquent d’être les plus affectées. Comme Maurice et les Seychelles, positionnées sur le haut de gamme, pour lesquelles les prévisions pour 2009 sont déjà « alarmantes », dixit hôteliers et voyagistes. À l’inverse, le redéploiement pourrait se faire vers les offres à bas coût et les destinations de proximité, plébiscitées par la classe moyenne européenne, si son pouvoir d’achat n’est pas trop laminé. Si le Maroc est jugé « cher » – mais le pays prépare un plan pour « limiter les répercussions de la conjoncture économique internationale » –, la Tunisie et l’Égypte pourraient continuer de séduire ceux que la crise ne clouera pas au sol.

Immobilier

Les promoteurs sur le gril

Qu’adviendra-t-il en 2009 de la bulle immobilière que connaissent les pays du Maghreb, Maroc en tête ? Alger, Rabat, Tunis ou même Dakar vivent depuis des années une hausse vertigineuse des loyers. Les sociétés immobilières Addoha – dont le cours de Bourse s’est effondré de 235 à 92 DA avant de remonter à 112 – et CGI ont contribué aux remous de la Bourse de Casa. Les spécialistes espèrent une « correction » du marché, gonflé par la spéculation. Mais il n’est pas sûr que les loyers baisseront en 2009, car la demande locale demeure forte, surtout dans les villes. D’autant que les riches promoteurs du Golfe ont favorisé les projets de haut standing : la Porte de la Méditerranée de Sama Dubaï en Tunisie, la Porta Moda Marrakech de l’ADIH, EIIC à Ouled Fayet en Algérie… Sauf que les promoteurs du Golfe, surtout ceux de Dubaï, sont aussi frappés par la crise. À court de liquidités, ils licencient, tels Nakheel et Meraas. L’émirati Damac Properties a stoppé ses projets en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Emaar, de son côté, qui avait annoncé investir 5 milliards de dollars en Algérie, ne mentionne même plus cet investissement dans ses projets à l’international.

Coton 

Subventions américaines en suspens et gel de la production

« Rien n’avance, et les dommages sont considérables dans les campagnes », déplore François Traoré, le président de l’Association des producteurs de coton africains (Aproca) et représentant de la profession auprès de l’OMC. Il peste contre le nouveau report d’un cycle de négociations de Doha sur la libéralisation des échanges, pour lequel l’Afrique fait le forcing. Le directeur de l’OMC, Pascal Lamy, a jeté l’éponge le 9 décembre et donné rendez-vous aux négociateurs dans le courant de 2009. La question des subventions américaines (estimées à 4,8 milliards de dollars par an, selon Oxfam) demeure en suspens. Selon l’économiste Daniel Summer, elles ont permis aux cotonculteurs américains de dégager un bénéfice de 1,4 milliard de dollars entre 2000 et 2005. Sans ce soutien, leurs pertes auraient avoisiné les 10 milliards.

Malgré un prix de revient inférieur à la concurrence, les producteurs africains – non subventionnés – ne peuvent pas lutter à l’export. Dans ce contexte difficile, la production africaine de fibre ne dépassera pas les 500 000 tonnes en 2008-2009, en recul de moitié depuis 2003. Et la chute de la demande mondiale de 12 % (24,9 millions de tonnes) prévue lors de la campagne 2008-2009 et celle de 6 % de la production (24,6 millions) ne sont guère rassurantes.

Télécoms

Maintien de la croissance à deux chiffres

« Quelle récession ? » interroge Guy Zibi. Fondateur du cabinet Africa Next Investment Research, il estime à 14 % la croissance de la clientèle du téléphone mobile en 2009, pour atteindre 400 millions d’abonnés. Le chiffre d’affaires moyen par abonné devrait en revanche continuer à baisser, sous l’effet d’une sévère concurrence. Elle sera très vive au Ghana, où Zain et Vodafone entrent en lice, comme au Kenya, où Orange veut bousculer Safaricom et ses 80 % du marché. Même pronostic en Côte d’Ivoire, qui comptera bientôt 6 opérateurs (4 à ce jour), et au Maroc, où Wana pourrait se lancer sur le marché du GSM et batailler avec Maroc Télécom et Méditel. Globalement, le chiffre d’affaires des services progressera de 15 % à 20 % par rapport à 2008 (45 milliards de dollars). Guy Zibi s’attend cependant à un ralentissement des investissements dans une trentaine de pays bien équipés. « Il faut espérer que cela ne touche pas le déploiement de l’Internet à haut débit, complète Devine Kofiloto, de Teleplan, en Norvège. Les réseaux 3G et Wimax sont indispensables pour la croissance future. »

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