Redistribution des cartes chez Sifca

Retrait programmé d’Yves Lambelin, recentrage des activités, nouvelles alliances stratégiques…Le premier groupe agro-industriel privé du pays se restructure sur fond de crise des matières premières.

Publié le 31 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

« Il faut savoir tirer sa révérence. Je vais me désengager progressivement de la gestion quotidienne de Sifca pour prendre une position de bon père de famille où je continuerai à veiller sur les activités du groupe. Mais je n’ai aucune intention de vendre mes parts ni de quitter la Côte d’Ivoire, où je compte prendre ma retraite. » À 66 ans, Yves Lambelin, l’historique et très discret directeur général du premier groupe privé ivoirien – 17 000 employés et un chiffre d’affaires (CA) de 231 milliards de F CFA en 2007 – qui exploite et transforme des matières premières (hévéa, oléagineux et sucres), tient à couper court aux rumeurs. Ce qui rassurera aussi les français, qui nourrissent la crainte de voir le groupe, descendant de la société de négoce de cacao Tardivat, passer sous influence asiatique.

Les rapports entre Lambelin et Jean-Louis Billon, le président du conseil d’administration, sont également bons. Ce qui n’empêche pas les deux hommes de se parler franchement. Et le DG de rappeler de temps à autre, à celui qui le considère comme son mentor, que ses interventions médiatiques – Billon est également président de la Chambre de commerce ivoirienne et maire indépendant de Dabakala – ne facilitent pas toujours les relations avec les autorités.

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Les deux hommes sont en tout cas d’accord sur l’essentiel : assurer l’avenir du groupe. Bertrand Vignes, actuellement directeur des plantations appartenant à Michelin, a été choisi pour épauler Lambelin en attendant, peut-être, de lui succéder. Il prendra officiellement ses fonctions comme directeur adjoint le 1er février. Dans le même temps, les principaux actionnaires du holding Sifca – la famille Billon (44,3 %), et les deux géants asiatiques Olam et Wilmar (27 %), Yves Lambelin à travers Immoriv SA (20,8 %) – ont prévu de se retrouver à Singapour dans le courant de février pour affiner le nouvel organigramme du groupe et répartir les rôles des uns et des autres.

Vente de cosmivoire à Unilever

Les partenaires étrangers devraient renforcer leur présence dans les postes de décision technique pour mieux orienter la production et la transformation. Les quadras de la société, notamment Alassane Doumbia, le fils adoptif de Lambelin, et Pierre Philippe Billon, le frère de Jean-Louis, devraient monter en puissance et s’impliquer davantage dans la gestion des activités, qui sera coordonnée par Bertrand Vignes.

Cette réorganisation arrive à une époque charnière, juste au moment où la société fait face à plusieurs challenges : la poursuite du recentrage de ses activités, qui s’est notamment traduite par la vente de Cosmivoire (savonnerie) à Unilever début décembre, la concrétisation des alliances stratégiques, la réponse à la chute récente des cours des matières premières… Pourtant, la hausse des prix entre 2005 et mi-2008 a permis à la société de renouer avec les bénéfices : 9,5 milliards de F CFA en 2005 à 29,9 en 2006 et 31,8 milliards l’an passé. Les fonds propres ont plus que doublé (168 milliards de F CFA en 2008), ce qui permet d’avoir une ambitieuse politique de développement. Le groupe a récemment acquis plusieurs plantations au Nigeria, au Liberia, au Ghana et en Côte d’Ivoire et entamé une rénovation des unités agro-industrielles, notamment de la Société africaine de plantations d’hévéa (Saph). Des investissements qui portent leurs fruits : la production de caoutchouc sec est passée de 84 000 tonnes en 2006 à 103 000 en 2008 (50 % du CA), et celle de sucre de 54 000 à 74 000 tonnes (13 % du CA). Celle des huiles devrait atteindre 250 000 tonnes en 2008 (37 % du CA). Et beaucoup plus à l’avenir.

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Sifca a signé au début de décembre un accord avec Wilmar International Ltd et Olam International Ltd, deux leaders de l’agrobusiness mondial avec lesquels il discutait depuis deux ans. Les deux singapouriens sont entrés à hauteur de 27 % dans le holding à travers Nauvu Investments, qu’ils détiennent à parts égales. L’approche, qui a reçu la bénédiction de la présidence ivoirienne, est simple : combiner les compétences de chacun pour se positionner en leader régional dans les secteurs oléagineux. Les objectifs de production sont de 300 000 tonnes en 2009 et de 400 000 en 2011. Le marché est très captif puisque les pays d’Afrique de l’Ouest accusent un déficit actuel de plus de 300 000 tonnes. D’ici à 2020, la demande devrait progresser de plus de 1 million de tonnes.

L’action Saph perd 60 % à Paris

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« Il nous reste à trouver un partenaire de premier plan dans le domaine du sucre. Après l’échec de nos pourparlers avec la Somdiaa il y a quatre ans, nous avons engagé des discussions avec Castel. Nous recevons également un opérateur chinois en janvier et nous rencontrerons prochainement des Brésiliens », indique Lambelin. Les nouvelles alliances permettent au groupe d’améliorer la compétitivité des exploitations – la productivité de Palmci va ainsi passer de 600 dollars la tonne d’huile à 300 d’ici à 2011 – et de trouver de nouveaux débouchés à l’heure où les négociations de l’Organisation mondiale du commerce et les accords de partenariat économique avec l’Europe devraient réduire les protections douanières.

Le groupe relance également sa communication après avoir fait preuve d’une grande discrétion. Ce qui n’est pas fortuit. « Nous prévoyons d’introduire le holding en Bourse d’ici à deux ans et peut-être d’autres filiales dans les “nurseries” proposées par la Bourse régionale des valeurs mobilières d’Abidjan », précise Lambelin. Sifca est déjà présent sur la place de Paris via la Société internationale de plantations d’hévéa (Siph) et sur celle d’Abidjan à travers la Saph… Le titre parisien a perdu plus de 60 % de sa valeur en trois mois en raison du retournement du marché des commodities. « Nos exportations ne seront toutefois pas trop touchées car nous avons des contrats d’approvisionnement, notamment avec Michelin, rassure Jean-Louis Billon. Mais nos marges sont considérablement réduites. Heureusement, nous avons de quoi tenir après trois bonnes années. Mais cela rend encore plus urgent le besoin d’achever notre restructuration pour abaisser nos coûts. » 

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