Koffi Olomidé : « Ce qui m’empêche de dormir »
Son virage musical, ses ambitions politiques, son amour de l’argent et sa mégalomanie… Le roi de la rumba congolaise raconte tout. Interview.
Il arrive souvent sur scène avec deux bonnes heures de retard. Il aime la sape et les jolies filles. Sur certaines pochettes, il est vraiment bling bling, genre soirée costumée à deux balles… Et pourtant, Koffi Olomidé, 52 ans, est l’un des plus grands musiciens du moment.
Des mélodies à couper le souffle (« Pomme verte »), une liberté tonale et des ruptures de rythme qui laissent par terre (« Danger de mort »)… Avec dix-huit albums, Antoine Agbepa Mumba, alias Koffi Olomidé (du nom de son grand-père maternel d’origine sierra-léonaise), est devenu bien plus qu’un maître de la rumba congolaise façon Papa Wemba. C’est un créateur de thèmes et un inventeur de sonorités de la trempe de Norman Whitfield, le compositeur des Temptations décédé en septembre dernier.
Au début, son père, l’ex-footballeur congolais Charles Agbepa, voulait qu’il fasse de bonnes études. Mais après un diplôme en sciences commerciales à Bordeaux, en France, Koffi a plongé dans la nuit kinoise. Trente ans plus tard, il y est toujours, mais élève une partie de ses neuf enfants en France, où il a une résidence.
Quatre mois après sa sortie, son dernier album en deux volumes, Koffi, est déjà disque d’or. Aujourd’hui, Koffi, l’homme à la voix de velours, le chante à Kinshasa et à Kisangani, sa ville natale. Le 27 décembre, il sera à Paris, puis à Bruxelles et aux États-Unis. Son virage acoustique ? Son surnom « Sarkozy » ? Sa nuit Obama ? Ses vues politiques ? Ses virées nocturnes avec Bemba ? Koffi se lâche pour Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Depuis un mois, vous jouez dans des petites salles avec instruments acoustiques. Pourquoi cette petite révolution ?
Koffi Olomidé : Pour ne pas toujours donner la même chose à mon public, qui me porte depuis toutes ces années. C’est ma façon de lui dire mon respect. Je veux mettre un peu plus d’émotion, avec les chanteurs qui regardent les gens dans les yeux. Je veux toucher le cœur de mon public. Je veux parler à leur âme, plus qu’à leur corps.
Koffi devient-il un crooner ?
Vous êtes peut-être le vingtième à me dire ça [rires]. En fait, c’est comme si je commençais une nouvelle carrière. Les sonorités sont neuves. Et puis, les petites salles, j’adore ça. Quand j’ai été le premier Africain à affronter Bercy, j’ai eu la frayeur de ma vie et je ne me suis pas trop mal tiré d’affaire. Mais j’ai autant de bonheur à être dans une salle très intime où rien n’échappe au public. Pour moi, la plus grande salle au monde, c’est l’Olympia. C’est le bon endroit pour distiller l’amour.
Depuis Monde arabe en 2004, vous semblez plus exigeant dans votre travail. Avez-vous renoncé à certaines facilités ?
Exactement. Je renonce à certaines pratiques faciles. J’avoue que je me suis laissé influencer par le milieu. Mais les atalakus et les crieurs, ce n’est pas vraiment moi. J’ai mis trop de bruit et trop d’ambiance dans certains de mes morceaux. Avec mon dernier album, je suis vraiment un homme heureux. Et la réaction du public démontre que je ne me suis pas trompé.
Vous avez 52 ans…
Pas du tout ! J’ai 35 ans à vie [rires]. Mettez bien ça en caractères gras !
Vous ne vous dites jamais : « Place aux jeunes » ?
Ah non ! Ce n’est pas à cet âge-là qu’on doit se dire ça. Quelle connerie ! Regardez Aznavour ou Henri Salvador… À 102 ans, oui. Mais pas avant ! Moi là, je me sens jeune, je me sens fort, le public me veut, il a besoin de moi.
Si Dieu vous prête vie, chanterez-vous encore dans trente ans ?
Oui. Si Dieu le veut et si je ne suis pas président de la république d’Afrique, je chanterai encore, oui.
Vous vous êtes surnommé « Benoît XVI » ou « Sarkozy ». N’êtes-vous pas un peu mégalo ?
Peut-être bien. Comme je ne me vois pas, c’est à vous de me dire. Oui, vraisemblablement. Mais on n’en meurt pas. Le surnom « Sarkozy », c’est parce que je trouve marrant l’homme politique. Pas ses idées, mais sa façon de faire et de parler. Et je le suis depuis longtemps. Quand j’habitais Neuilly, c’était mon maire.
Vous avez l’air fasciné par le monde politique…
Oui, c’est vrai. Regardez Obama. Pour moi, c’est le phénomène du siècle. On s’attendait à tout sauf à ça. Bon, ses idées, c’est autre chose, mais le fait qu’un Noir devienne le quarante-quatrième président des États-Unis, ce n’est pas rien. En plus, il a embauché sa rivale… C’est fabuleux !
La nuit de son élection, qu’avez-vous fait ?
J’ai suivi une partie de la nuit, et puis j’ai fait l’amour, et puis… À ma femme, hein, à mon épouse ! Après, je me suis endormi. J’étais sûr qu’il allait gagner.
Quels sont les hommes politiques qui sortent du lot dans l’histoire de votre pays ?
Dans mon esprit, il n’y en a pas. On est un jeune État indépendant, et je me demande si les colons ne sont pas partis trop vite. Quand je vais dans des pays où ils sont encore plus ou moins présents, je trouve que ça marche beaucoup mieux que chez moi. Je devrais être embarrassé de le dire, mais c’est un constat que je fais.
Vous habitez le quartier Mont Fleuri à Kinshasa. Quand vous entendez des tirs à l’arme lourde à côté de chez vous, n’avez-vous pas envie de partir ?
Si. Une fois, il y a deux ans, j’ai voulu me précipiter à l’aéroport, comme ça, en fin d’après-midi. C’était l’affaire de Bemba et Kabila, je crois. J’avais ma mallette, mon passeport, et ça craignait vraiment, quoi ! Finalement, j’ai renoncé.
Que pensez-vous du président Kabila ?
[Rires]. Qu’il a beaucoup de travail. Du pain sur la planche.
Vous le connaissez ?
Oui, je l’ai déjà rencontré. Il connaît ma musique. Je crois même savoir qu’il y a des morceaux de moi qu’il aime bien.
Il vous l’a dit ?
[Silence]. Je crois savoir [rires].
Et que pensez-vous de Jean-Pierre Bemba ?
C’est un bon mélomane. Il aime aussi les morceaux que je fais. Lui, dans le passé, bien avant qu’il ait des ambitions politiques, je l’ai rencontré et on s’est appréciés. Je dirais courtoisement et même un peu plus que ça. Vous savez, c’est un golden boy. On parlait de football et des filles. Il a eu une vie avant la politique.
Vous semblez très prudent en politique, mais, dans certaines chansons en lingala, vous dénoncez un monde de méchancetés et de bénéfices…
Oui, la plus grande peine de ma vie de Congolais, c’est de voir les shégués [les enfants de la rue, NDLR] qui n’ont rien à manger. Je me dis que les gens qui nous gouvernent passent dans les mêmes rues. Inévitablement, ils voient ces enfants. C’est le trou qu’il y a dans mon cœur. Or on ne s’occupe pas d’eux. Ils sont sacrifiés. Moi, ça m’empêche de dormir, parfois. Et dans mon dernier album, il y a une chanson qui s’appelle « Balabala ». Ça veut dire « la rue ». Pour moi, c’est la plus dense, la plus importante. Sur le CD 2, c’est le huitième morceau.
N’avez-vous pas envie de faire de la politique, parfois ?
Non, moi j’aimerais avoir l’occasion de donner mes idées, mais sans passer pour un politicien. C’est-à-dire rester ce que je suis et faire ça par amour pour mon pays. Vous savez, chez moi, quand un ministre passe en cortège, on bloque toutes les rues. Cela ne peut pas durer. Les ministres doivent être des citoyens comme les autres. Donc moi, si j’ai à faire un jour quelque chose pour servir mon pays, je ne changerai pas de costume. Pour moi, un politicien, c’est un malin.
Vous avez la réputation d’être l’homme qui arrive toujours avec trois heures de retard à ses concerts…
Non, je suis l’homme qui est toujours payé plus tard que prévu. Vous savez, quand je suis en tournée, les organisateurs viennent me chercher avec une ou deux heures de retard parce qu’ils n’ont pas réglé certaines clauses du contrat. Cela dit, mea-culpa. Deux fois sur dix, c’est de ma faute. Mais je suis un vrai professionnel qui aime et respecte son public.
On dit que vous aimez trop l’argent. La preuve : le libanga [la citation de généreux donateurs dans certains morceaux, NDLR].
Oh ! Aimer trop l’argent ? Non, c’est faux. Pas plus que tout le monde, non. Vous savez, on est dans un pays où on est sûr de rien. On ne sait pas quel jour ça va commencer à tirer. Alors autant mettre ses enfants à l’abri du besoin… Mais il y a beaucoup d’amour dans ce que je fais. Quant au libanga, c’est un peu toute l’Afrique. Chez les Ivoiriens, chez les Camerounais, chez tout le monde. Depuis Tabou Ley Rochereau, c’est un rite. Et puis, il faut nous comprendre. Nous, on n’est pas comme Sardou. On n’a pas Coca-Cola ou Air France derrière les pochettes de nos CD et on n’a pas 1 million d’euros qui tombent après.
Le prochain album, c’est quand ?
Houla ! Laissez-moi le temps de digérer celui-là. Chaque jour, je fais une phrase ou deux avec la guitare. Des mélodies comme ça. Mais il me faut le temps. Ce sera dans deux ans, mais sûrement pas en 2009. Ah oui ! Dites bonne année à tous les artistes qui font la fête pour les autres et qu’on oublie toujours. Et un grand bonjour à tous ceux qui sont seuls pendant les fêtes.
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