Coup de frein aux investissements

Plusieurs pays africains ont rejoint la liste des producteurs de pétrole, favorisés par l’envolée des prix de l’or noir. Que se passera-t-il avec un baril à moins de 50 dollars ?

Publié le 19 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Quatre ans et demi : c’est le temps qu’il aura fallu aux découvreurs du champ Baobab, situé à 1 000 m de profondeur au large de la Côte d’Ivoire, pour le mettre en production. Un délai record pour des espoirs vite déçus. En 2007, moins de deux ans après son lancement, ce champ pourtant très prometteur ne produisait plus que 22 000 barils par jour, le tiers de son potentiel, à la suite de difficultés techniques. Presque au même moment, un autre champ récemment découvert, celui de Chinguetti, en Mauritanie, était mis en service à plus de 2 600 m de profondeur. Quelques mois plus tard, la production commençait à décliner, passant de 75 000 barils par jour à moins de 20 000 aujourd’hui. Coût de l’opération : plusieurs centaines de millions de dollars perdus par le principal investisseur, l’australien Woodside, qui s’est depuis retiré du projet.

« Aucun de ces projets, réalisés en eau profonde, dans des pays parfois instables politiquement et pour des productions finalement plutôt faibles, n’aurait pu voir le jour si le prix du baril n’était pas passé de 20 dollars à 60 dollars entre le moment de la découverte des gisements et celui de leur mise en production, explique un analyste. Beaucoup d’autres projets similaires ont été lancés quand le baril a dépassé les 100 dollars. » Pour l’Afrique du pétrole, des plus petits projets aux plus grands, la flambée des cours du brut aura donc été une période faste. Tout comme les chocs pétroliers des années 1970 avaient vu les majors partir explorer la mer du Nord et l’Alaska, le boom des prix du baril des années 2000 aura vu nombre d’explorateurs s’intéresser aux ressources contenues en eau profonde au large du golfe de Guinée. Le cas de l’Angola, en passe de devenir le premier producteur africain, est éloquent : par deux fois, entre 1998 et 2000 puis entre 2000 et 2004, ses réserves prouvées ont progressé de moitié. Entre 1997 et 2004, le Nigeria a, quant à lui, vu ses réserves augmenter de 21 milliards à 36 milliards de barils. La Libye a, elle aussi, connu une augmentation très importante des découvertes pétrolières, ses réserves passant de moins de 30 milliards de barils avant 2000 à plus de 40 milliards aujourd’hui.

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Non seulement les années qui viennent de s’écouler ont vu certains pays, comme l’Angola, s’affirmer parmi les tout premiers producteurs mondiaux, mais elles ont aussi permis à plusieurs autres d’entrer dans la liste des grands producteurs d’or noir. Parmi ceux-ci, le Tchad, où les recherches pétrolières duraient depuis trente ans. Les prix élevés du baril ont fini par le rendre attractif, permettant de mobiliser les milliards de dollars nécessaires à la construction des infrastructures pour l’acheminement de la production jusqu’à la mer. La Mauritanie a également suscité un extraordinaire engouement dans l’univers de la recherche pétrolière. Le Ghana connaît aujourd’hui le même emballement, avec la découverte en 2007 du gisement de Jubilee Field au large de ses côtes et qui contiendrait à lui seul près de 3 milliards de barils ! On pourrait ajouter à cette liste d’autres pays comme l’île de São Tomé e Príncipe ou l’Ouganda.

9,5 % des rÉserves mondiales

Au bout du compte, les terres et les mers africaines qui détenaient 7 % des réserves mondiales en 1997 ont vu leurs réserves se gonfler de 4 milliards de barils chaque année pour atteindre 9,5 % du total mondial. L’équivalent d’un baril sur quatre découvert au cours de la dernière décennie l’a été en Afrique, pour l’essentiel, le long de l’immense faille océanique parcourant les côtes du golfe de Guinée, de l’Angola au sud jusqu’à la Côte d’Ivoire. Selon les analystes d’Infield Energy, le continent a été, entre 2003 et 2007, la première zone d’investissement au monde en matière de pétrole sous-marin, avec 3,5 milliards de dollars dépensés chaque année. Entre 2008 et 2012, il devrait attirer 30 % des dépenses mondiales sous-marines, soit 6 milliards de dollars chaque année.

Ce boom peut-il durer alors que le baril est retombé sous les 50 dollars ? Jusqu’à présent, les compagnies qui cherchent et extraient le pétrole ont plus que largement couvert leurs dépenses, même s’il est, depuis quelques années, beaucoup plus coûteux de trouver de nouvelles réserves. À l’exception de certains pays comme La Libye, où les coûts d’extraction descendent parfois jusqu’à 1 dollar par baril, le continent est une zone d’exploration très onéreuse. Quasiment partout dans le golfe de Guinée, les puits découverts sont situés entre 1 000 et 2 000 m de profondeur et présentent des coûts d’extraction et d’exploration bien plus élevés que dans d’autres régions, notamment la moins chère au monde, le Moyen-Orient. Dans les zones les plus difficiles d’accès, les experts estiment que le coût opérationnel moyen peut dépasser les 75 dollars par baril. À quoi s’ajoutent parfois, à terre, des problèmes de sécurité qui font aussi monter les coûts de production. C’est notamment le cas au Nigeria, où la principale zone onshore, le Delta du Niger, est la cible régulière d’attaques et d’enlèvements. À ce rythme, les comptes seront vite faits et seuls les barils les moins coûteux à extraire le seront encore, comme le rappelle Sebastian Spio-Garbrah, analyste Afrique chez Eurasia Group. « Si vous avez 5 puits offshore qui produisent à 20 dollars le baril et 5 onshore qui vous en coûtent 30 en raison des problèmes de sécurité, les puits onshore seront vite à l’arrêt. »

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Fin des surenchères

La chute des cours de l’or noir devrait également signer la fin d’une période spéculative débridée, particulièrement juteuse pour les caisses publiques. Afin d’accéder à de nouveaux puits de production, quelques majors ont en effet mis le pétrole africain aux enchères lors de « rounds » organisés par les États. À des prix vertigineux : en Angola, en 2006, le chinois Sinopec a proposé 2,2 milliards de dollars pour les blocs 17 et 18, plus de deux fois ce qu’attendaient les experts. Quinze ans plus tôt, les premiers blocs mis en concession au large du pays se vendaient quelques dizaines de millions de dollars seulement. En Libye, les dernières attributions de licences d’exploitation et de production ont été jugées largement favorables à la compagnie nationale NOC. Selon la Mission économique française sur place, les opérateurs étrangers ayant participé au round de décembre 2006 ne conserveront en moyenne que 11,7 % des profits dégagés par les puits qui viendront en production. De telles conditions seront désormais très probablement difficiles à imposer avec un baril dont le prix resterait bas.

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En Afrique, les plus touchés seront sans aucun doute les nouveaux venus sur la scène de l’or noir. « Avec un cours du pétrole élevé, plusieurs petites compagnies ont pu lever des fonds très importants pour lancer des explorations dans des pays marginaux, comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mozambique ou l’Ouganda, explique Sebastian Spio-Garbrah. Mais maintenant, ces jeunes entreprises vont avoir beaucoup de difficultés à lever les 2 à 3 milliards de dollars dont elles ont besoin pour explorer, développer et opérer ces champs pétrolifères. » Entre 2003 et 2008, Kosmos Energy, qui a découvert quelques grands champs comme le Jubilee Field au Ghana, a levé 800 millions de dollars auprès de deux investisseurs institutionnels financiers. D’autres compagnies ont quant à elles pré­féré obtenir massivement des moyens financiers sur les marchés boursiers. Mais l’avenir pourrait être bien différent. Déjà, en Bourse, certaines de ces sociétés sont malmenées : c’est le cas de Canadian Natural Resources, qui est derrière plusieurs gisements ivoiriens et qui a vu sa valeur boursière reculer des deux tiers en un an. Ou de Tullow Oil, qui cherche du pétrole dans une dizaine de pays africains, de Madagascar au Ghana en passant par l’Ouganda : la société britannique a vu son cours reculer de 25 %. Autant d’éléments qui poussent à s’interroger sur la pérennité de certains projets pétroliers : « Il n’y aura pas d’annulation de projets, mais ce n’est qu’une question de temps avant que des reports ou des renégociations soient annoncés », estime un spécialiste du secteur.

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