Les « Big Four » dominent 
le marché

PWC, Deloitte, Ernst & Young, KPMG… Les cabinets d’audit ne craignent pas la crise. Ils affichent même des objectifs de croissance supérieurs à 10 %. Notamment grâce à leurs activités sur le continent.

Publié le 8 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

«Dans l’audit, on vend du temps », explique Édouard Messou, associé PricewaterhouseCoopers (PWC) et responsable de l’Afrique. À voir les cabinets ouvrir chaque année de nouveaux bureaux, on en déduit que les affaires ne sont pas mauvaises. PWC annonce discrètement une nouvelle implantation au Maghreb pour la fin de l’année 2008. Après la RD Congo l’an dernier, Ernst & Young (EY) a annoncé en octobre la création d’une agence en Algérie. Quasiment au même moment, Deloitte inaugurait une représentation au Sénégal et KPMG annonçait la création d’antennes au Gabon et à Madagascar en 2009 ou 2010, après son arrivée en Guinée équatoriale cette année. Les grands réseaux mondiaux, surnommés les Big Four, ne sont pas les seuls à parier sur l’économie africaine puisque le français Mazars s’attaquera au marché algérien d’ici au début de l’année 2009.

À l’image de l’Europe, les grands noms de l’audit se partagent le gâteau africain. Une présence ancienne, qui remonte aux années 1970, quand les cabinets PWC et EY ont capté les activités de la Fiduciaire France Afrique, un réseau d’experts-comptables constitué dans les années 1950. KPMG a lui attendu 2002 pour bénéficier enfin d’une réelle « structure » sur le continent après avoir récupéré les bureaux d’Arthur Andersen, coulé par l’affaire Enron. Mazars fait presque jeu égal avec ce trio de tête et laisse la dernière position à Deloitte, qui ne compte que 250 cadres sur l’Afrique francophone quand le leader PWC dépasse les 700 collaborateurs. Implantés de longue date au Maroc et en Tunisie, et depuis peu en Algérie, les majors du secteur ont également établi leurs réseaux dans les principales capitales d’Afrique noire : Abidjan, Dakar, Yaoundé… Si les cabinets indépendants africains sont aussi présents un peu partout, ils n’ont pas su pour le moment s’entendre pour proposer une alternative aux réseaux internationaux. Mais les choses pourraient changer…

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Quoi qu’il en soit, pour les cabinets occidentaux, la conjoncture est plutôt bonne. Les professionnels, s’ils restent discrets sur leurs chiffres d’affaires, ne craignent pas la crise et affichent fièrement leurs objectifs de croissance. EY et PWC annoncent 10 % de croissance pour 2009, alors que Deloitte « attend bien plus », Mazars 15 %, et que KPMG table sur 20 % de croissance annuelle jusqu’en 2012. Il n’en demeure pas moins que l’Afrique représente toujours une infime partie de leur activité. À peine 2 % du chiffre d’affaires global pour Ernst & Young, soit 490 millions de dollars en 2008. Pour PriceWaterhouseCoopers, l’Afrique et le Moyen-Orient dépassent à peine les 2,5 % sur un total de 28 milliards de dollars en 2008.

La mondialisation et la ruée sur les matières premières ont relancé ces dernières années l’intérêt des Big Four pour le continent. L’arrivée d’investisseurs indiens, chinois ou brésiliens sur le marché a même décuplé les enjeux. « Depuis 2005, PWC a ouvert un bureau en Guinée équatoriale pour accompagner le développement de ses clients internationaux et a mieux structuré ses activités au Tchad, notamment dans le secteur pétrolier », confirme Édouard Messou. « Le moteur essentiel du développement de notre implantation en Afrique est la présence croissante des grands clients internationaux, en particulier dans les secteurs minier, énergétique et logistique », indique Mahamadou Sako, responsable de l’Afrique francophone chez Deloitte.

Car, mondialisation oblige, le meilleur moyen de conserver ses clients est de pouvoir suivre leurs activités, qu’elles se trouvent à Alger ou Pointe-Noire. Une contrainte bien comprise par les grands réseaux. Si une firme décide d’investir en Afrique, l’associé en charge du contrat ne manquera pas de l’adresser directement au bureau africain correspondant ou à une coordination régionale suivant les cas. Un service très apprécié par les entreprises. Encore faut-il que les compétences locales puissent répondre à toutes leurs demandes. « La taille de nos bureaux est conséquente pour le marché africain, mais ce n’est pas comparable à notre présence en France où Ernst & Young dispose de 7 000 collaborateurs », admet son directeur Afrique, François Sorel. Pour faire face à toutes les éventualités, sans pour autant être en sureffectif, le cabinet EY a adopté une double organisation, par antennes et par industries (pétrole, banque, télécoms, etc.). « Si notre hub à Bruxelles reçoit un appel d’offres pour le secteur des mines au Congo, il sera automatiquement orienté vers le responsable de ce secteur. Bien qu’il se trouve en Guinée-Conakry, c’est lui qui composera l’équipe chargée de travailler sur le dossier, en accord avec le bureau de Brazzaville », explique François Sorel. Des organisations similaires permettent aux autres réseaux de satisfaire leurs clients. Dans tous les cas, les bureaux d’Afrique noire et du Maghreb partagent historiquement des liens privilégiés avec la France, qui, pour certains, coordonne leur activité et, pour d’autres, se contente de fournir au besoin des experts ou des formateurs ad hoc.

Les groupes étrangers ne sont pas les seuls consommateurs des services offerts par les cabinets. « Depuis dix ans, la demande des entreprises locales a fortement augmenté », explique Denis Grison, coordinateur de la zone francophone chez Mazars. L’émergence de leaders économiques africains comme Ecobank ou le géant sud-africain des télécoms MTN ont ouvert de nouvelles frontières. À l’image des multinationales, ils font appel aux grands réseaux pour assurer leur commissariat aux comptes, des audits contractuels, obtenir le cas échéant des conseils juridiques et fiscaux, ou préparer une acquisition. Des services facturés de 80 à 200 euros l’heure. Si, pour Ernst & Young, ces nouveaux clients représentent déjà un revenu presque égal aux sociétés internationales, ils ne dépassent pas encore 20 % à 30 % du chiffre d’affaires de KPMG ou PWC.

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Les États et les bailleurs de fonds comptent aussi parmi les cibles prioritaires des cabinets. « Après avoir privilégié l’activité d’audit en Afrique subsaharienne, notre but est d’intensifier la part du conseil, notamment à destination des institutions publiques. Toutes nos études montrent que les besoins mais aussi les ressources sont là. Le développement de ces nouveaux produits doit nous aider à maintenir une croissance à deux chiffres », estime Édouard Messou. Dans les pays pétroliers et miniers, les gouvernements font appel à l’expertise des cabinets pour renégocier les contrats de concession et vérifier que les compagnies étrangères paient l’intégralité des recettes dues. Les réseaux sont également sollicités pour accompagner la privatisation de secteurs comme les télécoms ou encore certifier la bonne gourvernance des structures publiques. Depuis deux ou trois ans, KPMG croit aussi beaucoup au potentiel des services aux bailleurs de fonds. C’est au nom des organisations internationales, comme l’ONU ou la Banque mondiale, que les cabinets assurent la surveillance de la bonne exécution financière et programmatique des projets. « Nous engageons véritablement notre responsabilité. Notre rôle peut aller jusqu’au déblocage des fonds », explique Jean-Luc Ruelle, associé du réseau de KPMG en Côte d’Ivoire. Une solution avantageuse pour les bailleurs, qui peuvent ainsi faire des économies de personnel. Des budgets qui pourraient, à terme, pâtir de la crise financière actuelle si l’aide au développement était revue à la baisse.

Pour poursuivre leur développement, les cabinets peuvent en tout cas compter sur leurs anciens. « En Côte d’Ivoire, 20 % des experts-comptables sont passés par PWC », assure Édouard Messou. Des professionnels qui, après quatre ou cinq ans d’expérience, et pour certains un passage en France, « deviennent des références » et sont « chassés » par les grandes entreprises. Avec, à la clé, « des plus-values au niveau des salaires de l’ordre de 15 % à 20 % », avoue François Sorel. Une fois partis, ils deviennent des prescripteurs précieux pour les Big Four. Les grands réseaux occupent ainsi une place à part entière en Afrique dans la formation des meilleurs cadres financiers. KPMG y consacre d’ailleurs 5 % de son chiffre d’affaires. Un investissement qui explique en partie la rapidité avec laquelle les groupes africains adoptent les normes comptables internationales (IFRS).

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À la sempiternelle question des conflits d’intérêt, tous les cabinets répondent la main sur le cœur qu’en Afrique comme ailleurs ils veillent à préserver leur indépendance. Un audit ne s’accompagne jamais de conseils fiscaux. Pas question de travailler pour un État et une compagnie privée quand les objectifs sont contradictoires. « De la sécurité des personnes aux normes de l’audit, en passant par l’acceptation d’une mission, tout est régenté par un cadre strict », tient à rassurer Jean-Pierre Caroff, coordinateur du Maghreb pour PWC. 

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