Image de marque et bons sentiments

Investissements socialement responsables et développement durable… Entre préoccupations humanitaires et volonté de soigner leur image, les multinationales mettent en avant leurs actions de mécénat en Afrique.

Publié le 8 décembre 2008 Lecture : 10 minutes.

C’est une publicité parue dans la presse. La photographie est signée Susan Meiselas, de l’agence Magnum. Une écolière malienne se tient devant un tableau noir. Elle essaie de lire les mots tracés à la craie. Le titre qui barre la page en gros caractères orange, lui, est explicite : « Déchiffrer le monde. » « Dans les pays en développement, les jeunes filles n’ont pas accès à l’école. La Fondation Orange s’engage pour construire des écoles, offrir des bourses d’études et améliorer l’environnement sanitaire pour que les filles bénéficient d’une éducation », précise la légende en petits caractères. En bas, la signature, juste à côté du logo de la marque, plus petit mais visible de loin.

Depuis 2003, les entreprises peuvent faire de la publicité sur leurs actions de mécénat. La loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations ouvre droit à une réduction d’impôt de 60 % du don à hauteur de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes. Un véritable accélérateur, constate l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), principal club d’entreprises mécènes en France. Résultat : en 2008, 23 % des entreprises françaises de plus de 20 salariés pratiquent le mécénat (voir encadré). Au total, 2,5 milliards d’euros y sont consacrés. Deux tiers émanent des entreprises de plus de 200 salariés, mais les trois quarts des mécènes sont des PME. Et la tendance est à la hausse : les contributions des entreprises de plus de 200 salariés ont augmenté de 60 % par rapport à 2006.

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Ces contributions peuvent être gérées soit par un service de l’entreprise, soit par une fondation créée à cet effet. Celles-ci ont le vent en poupe : on dénombre aujourd’hui 290 de ces fondations, contre 120 en 2003. Et, si toutes n’ont pas attendu la loi pour se constituer, elles ont pris un nouvel essor ces dernières années. Surtout, elles ont élargi leurs champs d’action, tout en cherchant à les rendre plus cohérents.

« En 1987, une étude sur l’image de France Télécom a montré que nous avions trop insisté sur notre technicité. Il fallait nous réorienter vers des axes plus purs, dénués de tout intermédiaire. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de soutenir la musique vocale dans un premier temps », raconte Olivier Tcherniak, secrétaire général de la Fondation à sa création, de nouveau à sa tête aujourd’hui. En 2007, la Fondation France Télécom devient Fondation Orange, qui dépend de la direction de la communication de la marque, et diversifie ses activités. « Avec l’expansion de l’entreprise, il fallait trouver des axes qui concernent un plus grand nombre de pays, tout en tournant autour d’un cœur unique pour permettre la communication. » Trois domaines sont retenus : santé et lutte contre les handicaps, éducation, culture. En 2007, près de 500 projets ont été approuvés, dont 150 en Afrique, principalement axés sur l’éducation des filles et la santé. Un quart du budget total de la Fondation est consacré au continent, deuxième zone d’action après l’Europe, puisque c’est là qu’Orange développe ses activités.

« Au début, le mécénat était perçu comme une façon de corriger son image, destinée à gommer les aspects les moins favorables de l’image d’une marque. Il s’agissait de valoriser les aspects positifs de ceux qui étaient aidés par les actions de mécénat, et ainsi de bénéficier de leur propre image », poursuit Olivier Tcherniak, également président de l’Admical. « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, le mécénat est perçu comme un créateur d’image. On comprend son intérêt. Il est un élément essentiel de la communication des entreprises. Ce qui nous permet d’aller plus loin. » Et si chaque groupe entend participer à la création de son image propre, beaucoup cherchent à se positionner sur le même créneau : « L’entreprise est maintenant attendue au-delà de son objet social. Elle a un devoir de citoyenneté », conclut Olivier Tcherniak. L’entreprise citoyenne, voilà donc le credo.

Un credo à marteler subtilement auprès des consommateurs. « Qu’est-ce qui différencie profondément des opérateurs téléphoniques qui vendent la même chose ? » interroge le secrétaire général de la Fondation Orange. « Leur attitude en matière de citoyenneté et de mécénat. » Le consommateur doit trouver un sens à choisir telle marque plutôt que telle autre. Savoir que celle-ci finance des projets sociaux, ou avoir une bonne image de la marque sans savoir exactement pourquoi, peut l’y aider.

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Il s’agit également de séduire les décideurs et les populations des pays dans lesquels la marque est implantée ou envisage de le faire. « Les gouvernements locaux nous demandent aujourd’hui un appui qui n’est plus seulement financier », explique-t-on chez ENI, groupe pétrolier italien, qui inclut les actions de solidarité dans son ­programme de développement durable et n’en délègue que ­quelques-unes à sa Fondation. « On nous demande d’être partenaire du développement, de travailler avec les institutions locales sur les programmes économiques, de fournir savoir-faire et expertise. Les interventions dans les domaines de la santé ou de l’éducation doivent être analysées à travers ce prisme. »

Quand MTN arrive, par exemple, en Côte d’Ivoire en 2004, dans une période postconflit, l’entreprise constate l’ampleur des besoins sociaux, notamment sur le plan sanitaire. En 2006, la Fondation MTN-CI est créée. « Cela a été un plus pour s’installer », estime Anne-Edith Kouassigan, chef de division corporate, qui s’occupe de la Fondation MTN Côte d’Ivoire après avoir travaillé au Pnud (Programme des Nations unies pour le développement). « Maintenant, il s’agit de communiquer sur ce que nous faisons et sur les bénéfices qu’en retire le pays, pour asseoir le positionnement de MTN en tant qu’entreprise citoyenne. Le groupe souhaite que ses différentes fondations soient dynamiques et que les populations sachent que nous sommes un acteur du tissu économique. »

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Car l’opérateur n’est pas seul. Et la concurrence commerciale se traduit par une compétition non moins acharnée au niveau du mécénat. Résultat : c’est la foire d’empoigne sur les créneaux d’action communs. Certaines fondations n’hésitent pas à débarquer dans les centres d’aide sociale qu’elles veulent soutenir pour offrir des tee-shirts, des casquettes, ou même des puces téléphoniques. Il s’agit enfin de motiver les troupes. « La mobilisation des employés passe beaucoup par l’information et la communication. Et le mécénat est un très bon outil de communication interne », note Philippe Morel, auteur de Parrainage, mécénat et fondations d’entreprise (éditions Vuibert, 2007). « Or, un personnel plus motivé est bien plus productif. »

Mais comment se fabrique-t-on une image d’entreprise citoyenne ? Avec des actions qui s’inscrivent dans la durée, montées en partenariat avec les gouvernements ou les ONG, locales ou internationales. Certaines entreprises disposent d’ailleurs de listes noires d’ONG selon les pays. Les ONG internationales le leur rendent bien, qui élaborent de leur côté des listes d’entreprises à éviter.

La Fondation Orange finance de son côté des projets de Care, d’Aide et Action ou de l’Unicef. Mais également les actions des associations locales. ENI travaille avec la Fondation Congo Assistance pour la santé infantile ou avec la Fondation Sonatrach Tassili en Algérie pour promouvoir l’énergie solaire, par exemple. De son côté, Total soutient le Centre d’appui aux jeunes (CAJ) et Douleurs sans frontières en Angola, ou encore l’Association de lutte contre le Sida (ALCS) au Maroc.

« Nous avons pris acte du développement du mécénat, et nous avons besoin de diversifier nos sources de collecte », explique Jean-Jacques Bernard, responsable des partenariats avec les entreprises chez Handicap International. « Les entreprises sont devenues des bailleurs potentiels. » L’ONG travaille avec quatre fondations et une vingtaine d’entreprises. À Madagascar, un programme destiné à l’insertion sociale d’enfants handicapés et défavorisés est financé principalement par la Fondation Air France, ainsi que par une PME française qui importe des crevettes de la Grande Île. Un projet sur le diabète a également été lancé en 2006 au Mali, au Kenya et à Madagascar avec le soutien de Sanofi Aventis.

Au sein de l’ONG, un département « positionnement » effectue des recherches sur l’entreprise, en fonction de critères éthiques et d’image. Si le partenariat est validé, une convention est signée, qui précise la fréquence des rapports d’évaluation. « La fondation n’intervient pas sur les objectifs ou sur la définition du projet, cela reste notre initiative propre », précise Jean-Jacques Bernard. « Ensuite, nous observons une très grande transparence sur l’utilisation des fonds, comme avec les bailleurs publics. » Pas facile, pourtant, pour l’ONG d’attirer les entreprises. « Il y a une tendance au “small is beautiful.” Les fondations veulent des projets à taille humaine, elles ne sont pas toujours à l’aise avec les grandes ONG qui interviennent sur des actions moins concrètes, mais plus structurelles. Alors que c’est nécessaire pour ­changer les choses de façon durable, déplore Jean-Jacques Bernard. Certaines fondations le ­comprennent, mais les plus récentes moins. Quand on crée une fondation, on a la volonté de faire quelque chose de concret, de visible. » Et dans les plus brefs délais.

Certaines thématiques s’y prêtent plus que d’autres. En ce moment, constate Jean-Jacques Bernard, les projets autour de l’enfance sont très demandés. De manière générale, près de la moitié des entreprises agissent dans le secteur de la solidarité (emploi, exclusion, éducation, handicap, santé et solidarité internationale), qui capte un tiers du budget dédié au mécénat (800 millions d’euros). Les entreprises sont un peu moins nombreuses à soutenir des projets culturels, mais les montants sont plus importants.

Parmi les différentes régions du monde, l’Asie attire. En revanche, « l’Afrique motive plus ou moins selon les secteurs. La téléphonie, par exemple, s’y intéresse parce qu’elle y est très présente. » De manière générale, les entreprises mettent en place des actions dans leurs zones d’implantation. Ou dans les pays dans lesquels elles envisagent de le faire. Dans cette perspective, le mécénat financier reste le principal mode d’intervention. Toutefois, certaines entreprises développent le « mécénat en nature » et le « mécénat de compétences ». Dans le premier cas, il s’agit de dons de produits neufs par les entreprises aux associations. Et, dans le second, de la mise à disposition de compétences de salariés de l’entreprise.

Les fondations le jurent la main sur le cœur : il ne s’agit pas de privilégier des actions à forte valeur ajoutée médiatique mais sans rapport avec les besoins réels. Il s’agit de penser en priorité aux personnes aidées, sur le terrain. « On ne fait pas de la pub sur le dos des malades », prévient Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation Total, et directrice du mécénat. « On construit une ­réputation sur des actions efficaces. » La Fondation Total intervient autour de trois axes : culture et patrimoine, environnement et biodiversité, solidarité et santé. Pratiquement partout où l’entreprise est présente en Afrique.

« En matière de santé, par exemple, il y a une continuité entre l’intérêt de l’entreprise et la création d’image », poursuit Catherine Ferrant. « Prenons la lutte contre le sida. L’entreprise s’est d’abord préoccupée de ses employés malades, qu’elle avait formés. C’est une déperdition pour l’entreprise, et pour le pays. Puis, étant donné le mode de transmission du virus, l’entreprise s’est intéressée aux familles des employés. Puis aux communautés : on ne peut pas créer un îlot de prospérité dans un océan de misère, sinon on suscite la violence. L’entreprise a besoin de paix, de paix sociale. C’est pourquoi Total s’est mis à la disposition des gouvernements, en proposant d’apporter ce dont il dispose : argent, partenaires et capacité à conduire des projets. Il y a convergence d’intérêts entre le pays et l’entreprise. Tout le monde y trouve son compte. »

Plus ou moins, puisque les pétroliers, en l’occurrence, sont également responsables de dégâts environnementaux et de troubles sanitaires chez les populations vivant à proximité des infrastructures. L’action de mécénat, en matière sanitaire ou de protection environnementale, peut faire office, dans ce cas, de contrepartie bien dérisoire. D’autant plus maigre que le mécénat représente un investissement limité.

Si 85 % des fondations sont animées par une seule personne, les plus grosses disposent de véritables services dédiés. La Fondation et le mécénat chez Total font ainsi travailler quinze salariés. Leur budget : 10 millions d’euros par an. Chiffre d’affaires de l’entreprise en 2007 : 159 milliards d’euros. La Fondation Mérieux, qui travaille au renforcement des capacités pour lutter contre les maladies infectieuses dans les pays en développement, emploie une trentaine de personnes et dispose de 11,6 millions d’euros. La Fondation Orange salarie treize personnes en France, et bénéficie d’un budget global monde de 12 millions d’euros, auquel s’ajoute une dotation pour les opérations exceptionnelles. Pour un chiffre d’affaires de 53 milliards de d’euros en 2007.

Montant moyen d’un soutien de la Fondation Orange à l’étranger : autour de 10 000 euros, et parfois jusqu’à 30 000 ou 40 000 euros. « Le mécénat ne coûte que très peu par rapport à ce que cela rapporte en termes d’image et de répercussions sur le personnel », constate Olivier Tcherniak. « Il suffit de comparer avec le prix d’un spot publicitaire, ou d’un logo sur une voiture de Formule 1. Ce ne sont pas les mêmes ordres de grandeur. »

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