Duel au soleil

Quatre groupes se partagent l’essentiel du marché de l’hôtellerie sur l’île Maurice. Les deux leaders du secteur surfent sur un marché très ouvert et se livrent une concurrence sereine. Reste à savoir si les turbulences financières mondiales ne vont pas affecter leurs activités.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 7 minutes.

En 1952, un jeune groupe mauricien crée le premier hôtel-plage sur un des plus beaux sites de l’île Maurice. Situé au bord du lagon de Blue Bay, à l’emplacement de l’actuel hôtel Shandrani, le premier établissement du groupe Beachcomber Hotels ouvre ses portes le long d’une plage de plusieurs kilomètres de sable blanc, bordée d’une végétation luxuriante, de bougainvilliers et de cocotiers. C’est le début d’une aventure, et un véritable succès. Depuis, Le Chaland – son nom d’origine – a fait des petits. Aujourd’hui, Beachcomber n’est plus seul sur le marché du tourisme « les pieds dans l’eau ». Maurice compte 96 hôtels, dont une grande partie dans la catégorie du luxe. Quatre groupes 100 % mauriciens se partagent deux tiers du marché : Beachcomber, Sun Resorts Limited, Naïade Resorts et Constance Hotels.

Sun Resorts, le premier à marcher dans les pas de Beachcomber, a acheté l’établissement La Pirogue dans les années 1970. Le groupe a longtemps délégué la gestion de ses structures à Sun International puis à One & Only, spécialiste international de l’hôtellerie. Ce n’est qu’en 2007 que le divorce a été prononcé. « Un divorce à l’amiable », affirme Alexandre Espitalier-Noël, directeur marketing et des ventes pour l’Europe. « Nous avons gardé de cette collaboration un savoir-faire international indéniable. » Aujourd’hui, les deux compagnies surfent sur le même créneau, bien que la première reste incontestablement leader du marché avec 8 hôtels à Maurice, soit 1 850 chambres et près de 18 % du parc hôtelier de l’île. « Nous étions les pionniers, nous avons donc pris les plus beaux emplacements », s’enorgueillit Rémi Sabarros, directeur France de Beachcomber. Le Royal Palm, le palace du groupe, s’étend le long d’une plage de sable fin située sur la côte la plus ensoleillée de l’île Maurice. Il offre des prestations de luxe allant de la « simple » junior suite de 75 m2 à la suite royale d’une superficie de 300 m2 sur trois niveaux, avec plusieurs terrasses, piscine et hammam privés : 3 500 à 5 800 euros pour une nuit de rêve face au lagon bleu turquoise. Le Royal Palm est d’ailleurs membre du très élitiste Leading Hotels of the World, qui répertorie les établissements les plus luxueux du monde. Mais Beachcomber ne s’adresse pas uniquement à une clientèle de luxe. « Dream is a serious thing », la signature du groupe annonce la couleur. « Notre principe est d’apporter à chacun sa part de rêve. Que vous soyez seul, en famille, en lune de miel ou en voyage d’affaires, nous respectons votre rêve et notre expérience professionnelle est entièrement consacrée à le satisfaire. » Les établissements de la compagnie proposent ­effectivement différents types de produits, du quatre-étoiles au palace.

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Une diversité que l’on retrouve également chez Sun Resorts, qui possède une gamme de produits un peu plus étendue allant du trois-­étoiles au cinq-étoiles luxe. Avec quatre hôtels sur l’île et un établissement aux Maldives, 95 000 clients l’année dernière, soit 9 % des touristes de l’île et plus d’un millier de chambres (1 125 en ­comptant les Maldives), certes plus petit, mais incontournable, le groupe se place en concurrent de Beachcomber.

Le fleuron du groupe n’a rien à envier au Royal Palm. Niché sur la côte est de l’île, doté de quatre plages et de deux îles (dont une totalement privée et l’autre, l’île aux Cerfs, proposant un golf exceptionnel de dix-huit trous dessiné par Bernhard Langer) accessibles par bateau, Le Touessrok est considéré comme l’un des trois plus beaux hôtels de Maurice. Rénové en 2002, il est lui aussi membre du Leading Hotels of the World et a gagné plusieurs distinctions dont le World Best Resort Hotel en 2007 ainsi que le 2007 Indian Ocean Leading Golf Resort. Les deux autres établissements du groupe ont également été récompensés cette année : La Pirogue, quatre-étoiles considéré comme le meilleur hôtel dans la catégorie Long Haul Destination Hotel, et le Sugar Beach, cinq-étoiles classé, lui, dans les dix meilleurs de cette catégorie. Difficile donc de départager les deux rivaux.

Chaque groupe revendique une qualité hors norme avec room service 24 heures sur 24 pour les établissements les plus prestigieux. Sun Resorts a cependant développé un savoir-faire mondialement reconnu dans ce domaine : connaissance de la clientèle dans les moindres détails, ses goûts et ses attentes, personnalisation à outrance du service client. Chacun possède sa propre école d’hôtellerie et propose à ses employés des formations continues qui contribuent à l’excellence du service. Les politiques marketing sont assez identiques.

Les offres promotionnelles se valent (réductions enfants, voyages de noce, early bookings, etc.), les prestations complémentaires aussi.

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Concurrence oblige, les établissements rivalisent d’initiatives. Il faut jouer l’originalité pour se démarquer les uns des autres, et offrir toujours plus au client. Les golfs ont ainsi commencé à fleurir depuis plusieurs années. Ils comptent dix-huit trous dans les établissements les plus prestigieux. Les deux groupes n’échappent pas à la règle. Idem pour les soins, massages et autres spas, très en vogue aujourd’hui. Les hôtels ont développé de nouvelles gammes de prestations en partenariat avec des marques internationales. Les quatre plus beaux hôtels de Beachcomber (Sainte-Anne aux Seychelles, Royal Palm, Dinarobin et Paradis à Maurice) proposent ainsi un Spa by Clarins. Dans un décor chic épuré, avec pierre de lave, granite, ardoise et bambou, les « hôtes » peuvent, selon leurs envies, bénéficier de massages thaïs, de soins ayurvédiques ou de séances de reiki (méthode de relaxation). Chez Sun Resorts, pionnier en la matière, c’est Givenchy qui a prêté son savoir-faire. Pour des services assez similaires. D’ailleurs, les deux groupes drainent à peu près la même clientèle. Les Français constituent les clients privilégiés et représentent 20 % des hôtes de Sun Resorts, contre 23 % pour Beachcomber. Suivis de près par les Allemands (15 %) chez Beachcomber et par les Anglais chez Sun Resorts (18 %). Viennent ensuite les Italiens et les Sud-Africains.

« La différence se joue sur le style », estime Karl Mootoosamy, directeur de l’Office du tourisme mauricien. « Chaque groupe possède une personnalité qui lui est propre. »

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Si le pionnier de l’hôtellerie sur l’île affiche un pur style mauricien, le deuxième arrivé se déclare fier de sa culture internationale, héritée du temps où Sun Resorts était géré par One & Only, et se définit comme le must du « tropical contemporain », ce qui ne l’empêche pas de décliner plusieurs styles : glamour pour Le Touessrok, luxe naturel pour le Kanuhura, mauricien typique pour La Pirogue et un mix colonial contemporain pour le nouveau Sugar Beach. Le groupe y a d’ailleurs organisé une exposition d’artistes contemporains locaux. Chez Beachcomber, on prône une élégance plus coloniale et plus traditionnelle. Les deux styles ont leurs adeptes, car la clientèle des deux groupes (tout comme celle de l’île) n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Beachcomber affiche une progression de 15 % en 2008 par rapport à 2007, une année pourtant exceptionnelle sur toute l’île. Sun Resorts a, quant à lui, progressé de 10 % sur la même période. Et le chiffre d’affaires suit la tendance. Il est passé de 115 millions d’euros d’octobre 2006 à septembre 2007 à 153 millions d’euros cette année, pour un bénéfice après impôt de 43 millions d’euros, soit 28 %. Ce qui n’empêche pas le groupe de ressentir les effets de la crise internationale depuis le mois de mai. Les profits d’avril à juin ont baissé de 71 %. Un chiffre moins catastrophique qu’il n’y paraît puisque cette période de basse saison ne contribue que modérément au chiffre d’affaires. Mais l’avenir s’annonce plus sombre. Les réservations pour la période allant d’octobre 2008 à mars 2009 souffrent déjà d’un retard de 9 % par rapport à l’année précédente. Faut-il multiplier les promotions pour attirer le chaland ? « Cette stratégie porte rarement ses fruits, explique Rémi Sabarros. Ce n’est pas en bradant les produits qu’on fera venir des clients qui ont décidé de passer leurs vacances ailleurs. On risque en revanche de déstabiliser le marché et de contrarier ceux qui ont déjà payé leur séjour. Quant aux autres, ils pourraient être tentés d’attendre que les prix baissent encore. »

Seule concession du groupe à cette politique du tout-promotionnel, surfer sur la réouverture de l’hôtel Sainte-Anne Resort & Spa aux Seychelles (fermé à la mi-2008 pour rénovation) en proposant des packages avion-hôtel à des prix très intéressants (50 % offerts à la deuxième personne). « Nous allons cependant mener une réflexion importante en début d’année, mais elle portera plutôt sur notre politique marketing », avance prudemment Rémi Sabarros. Les investissements du groupe ne semblent pas, pour l’heure, remis en question. Des investissements de taille : 40 millions d’euros pour un deuxième hôtel aux Seychelles, 70 millions pour la ­rénovation totale du Trou aux biches, et 35 millions pour le nouveau Royal Palm, qui devrait voir le jour en avril 2010 à Marrakech (voir encadré p. 62). « Chez Sun Resorts, la consigne, c’est de résister à la crise, de préserver les acquis et de se consolider. On verra après pour le développement », indique Alexandre Espitalier-Noël, directeur marketing de Sun Resorts en Europe. Côté chiffre d’affaires, le groupe est en progression de 26 % par rapport à l’année précédente avec 87 millions d’euros (soit un profit de 28 millions d’euros), loin derrière son concurrent. Mais Sun Resorts enregistre à ce jour une baisse de 15 % sur les réservations de janvier à mars 2009 pour son entrée de gamme, Le Coco Beach, et de 7 % à 8 % sur les structures de luxe. En revanche, les produits intermédiaires semblent préservés, voire dopés par la crise, comme s’ils bénéficiaient d’un report de réservations. « La situation n’est pas mauvaise, mais il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps », avoue Alexandre Espitalier-Noël, qui redoute que certains hôteliers, notamment de nouveaux venus, cassent les prix. « Nous allons réagir. En collaboration avec le gouvernement et l’Office du tourisme, à travers des plans de communication ambitieux… La stratégie n’est pas encore arrêtée », explique le directeur marketing de Sun Resorts. Une chose est sûre, les acteurs du tourisme ont plutôt intérêt à se serrer les coudes et à travailler ensemble. Au-delà de la crise, l’activité est amenée à se développer sur l’île et tous souhaitent maintenir un accueil de qualité. Et ne voient pas toujours d’un très bon œil le développement de tour-opérateurs qui proposent, depuis peu, des packages avion-séjour à des prix défiant toute concurrence.

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