À la recherche de la confiance perdue

De Yaoundé à Libreville en passant par Douala, les chefs d’entreprise se plaignent de la pression fiscale, de la difficulté d’accéder aux crédits bancaires, des relations tendues avec l’administration…

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Les entrepreneurs camerounais ne cachent pas leur inquiétude dès qu’ils évoquent l’avenir. Climat politique peu propice à la mobilisation des financements, manque de performances de l’administration, absence de vision globale claire et ­partagée… les critiques émises par les membres du patronat ne manquent pas. Chacun évoque ses doutes et les pesanteurs qui gangrènent le « système ». Mais tous estiment que les choses peuvent changer. Même s’ils sont unanimes pour dénoncer « l’incroyable gâchis dans ­l’utilisation des ressources humaines et financières du pays. »

Cette situation est notamment illustrée par les dernières statistiques macroéconomiques : en 2008, le Cameroun verra son PIB croître de 2,8 %, contre 3,3 % un an plus tôt. Une dégradation qui va à l’encontre de la tendance générale des principaux pays de la sous-région. La Guinée équatoriale a vu son PIB augmenter de 8,7 % en 2007, et la croissance du Gabon a atteint 5,6 %. On pourra objecter que ces deux pays ont été portés par des revenus pétroliers exceptionnels. Mais que dire alors de ceux, infiniment moins doté en ressources naturelles, qui affichent pourtant une croissance bien supérieure à celle du Cameroun.

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Patron de presse, Haman Mana a lancé, il y a un an à Yaoundé, le quotidien Le Jour sur un marché très réduit. Ce qui n’empêche pas à sa publication d’employer une quarantaine de personnes, pour un chiffre d’affaires de 200 millions de F CFA. Selon lui, « il existe dans ce pays quelque chose d’évident et d’inexplicable qui bloque tout, inhibe l’initiative et conduit les gens à mieux s’entendre pour la destruction que pour la construction ».

« On ne fait rien pour encourager les gens à investir », regrette Robert Nkouamou, patron d’une imprimerie employant une vingtaine de personnes à Yaoundé, pour un chiffre d’affaires de 150 millions de F CFA. Ce que corrobore Charles Metouck, directeur général de la Société nationale de raffinage (Sonara) et président du Syndicat des industriels du Cameroun (Syndustricam) : cet immobilisme tient au manque d’outils de financement des affaires dans un environnement pesant, où la fiscalité résonne comme un « facteur aggravant » qui réduit les liquidités disponibles et incite les entrepreneurs à l’attentisme.

Pour Olivier Behle, fondateur du cabinet Behle & Associés (200 millions de F CFA de chiffre d’affaires) et président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), cette situation s’explique aisément : « L’État doit se livrer en permanence à un arbitrage difficile : il doit collecter les recettes et, simultanément, satisfaire la forte demande en infrastructures qui émane des opérateurs économiques et les besoins sociaux de la population. »

Cela conduit à une allocation de ressources qui n’est pas toujours optimale, se plaint-on parmi les adhérents du Gicam. Ainsi le budget de 2008 était-il encore largement consacré aux dépenses de fonctionnement. Les entrepreneurs se plaignent donc d’être une sorte de « vache à lait d’un système qui tourne dans le vide », explique Robert Nkouamou.

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Haman Mana, dont le quotidien est en tête des ventes dans la capitale, décrie quant à lui les ­dérives d’un « État dont la conception et l’application des lois visent à distribuer des prébendes. Il laisse prospérer des zones grises d’où naissent des entreprises qui ne mériteraient pas d’exister », explique-t-il. C’est ainsi que, dans le secteur de la presse, par exemple, « les journaux sont taxés selon le même régime fiscal que les boulangeries ».

Du coup, fustige Olivier Behle, beaucoup continueront de choisir l’informel, qui représente encore, à ce jour, quelque 70 % du secteur productif. Une situation que risque d’aggraver les effets de la libéralisation sur les échanges commerciaux, à savoir l’intensification de la concurrence, selon Charles Metouck. Ainsi, dans l’imprimerie, secteur qui concerne aussi bien Robert Nkouamou que Haman Mana, un récent renchérissement du prix du papier importé a entraîné une augmentation du prix des tabloïds, passé de 300 à 400 F CFA. L’économie camerounaise est donc particulièrement exposée à divers risques conjoncturels qui grèvent sa compétitivité. Pour le Gicam, il est impératif d’améliorer le financement des entreprises, de développer les infrastructures et l’exploitation des matières premières, de libérer les énergies humaines et d’assainir la gouvernance globale.

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Mais comment se doter de nouveaux outils de production lorsque le taux d’intérêt généralement pratiqué par les banques locales ne descend pas en deçà de 15 % ? Le Cameroun est-il voué à être toujours moins attractif que la Chine, par exemple, où l’on ne prête qu’à 6 %. « Il n’y a aucune chance que l’actuelle crise financière puisse améliorer cette situation », prévient un banquier de Douala. Olivier Behle juge ces freins au financement « anachroniques » et suggère, comme remèdes, une baisse des taux d’intérêt de la Banque centrale, et la mise en place d’un mode de financement spécifique pour les PME.

Le secrétaire exécutif du Gicam, Martin Abega, suggère pour sa part la constitution rapide de « pôles de compétitivité » en même temps que serait mise en œuvre une « vraie politique de recherche scientifique ». Mais sans doute est-ce plutôt sur ce que les économistes nomment le « facteur résiduel » que se trouve l’essentiel du débat : la question de la confiance.

Pour Haman Mana, il est possible d’espérer un « sursaut national ». Le Cameroun, insiste-t-il, ne saurait progresser dans l’actuel « climat d’adversité » qui y règne. Trop de tensions empoisonnent les relations sociales. Ce n’est pas un hasard si la Direction générale des impôts a dû organiser, le 15 octobre dernier, une journée de « friendly ­partnership » destinée à améliorer ses relations avec les milieux d’affaires. Reste à savoir si cette initiative isolée portera ses fruits.

Si la question de la stabilité politique suscite l’appréhension des patrons camerounais, elle figure en revanche parmi les arguments invoqués par la Confédération patronale gabonaise (CPG) pour encourager les investisseurs à miser sur ce pays. Le climat est, sans conteste, bon pour les affaires. Mais, pour l’année 2009, les entrepreneurs sont dans l’expectative. « Nous vivons dans une économie de rente qui dépend étroitement des cours du baril du pétrole. Si la tendance à la baisse se poursuit, l’État, qui est notre premier client, risque d’appliquer des mesures de restrictions budgétaires. Et cela affecterait fatalement nos activités », s’inquiète le promoteur d’une start-up basée à Libreville et spécialisée dans la fourniture de consommables informatiques.

Outre les aléas liés à la variation des cours auxquels sont soumis les produits d’exportation du Gabon, les entrepreneurs montrent du doigt l’environnement juridique des affaires. Certes, le cadre réglementaire est relativement attractif. « Nous avons les meilleurs textes du monde. Le problème se pose au niveau de leur application », souligne Dieudonné Bussamb, directeur d’Afric Construction, une PME opérant dans le BTP. Selon lui, les PME gabonaises, qui ne contribuent qu’à hauteur de 10 % à la formation du produit intérieur brut (PIB), pourraient être plus performantes si la réglementation était mieux respectée. En effet, lorsqu’un marché bénéficie d’un financement provenant de bailleurs de fonds multilatéraux, les majors du BTP qui raflent la plupart des appels d’offres ont obligation de sous-traiter auprès des PME locales pour au moins 10 % de la valeur du contrat. Dans la réalité, il n’en est rien. Les poids lourds des travaux publics jugent les petites entreprises gabonaises, souvent à tort, « inorganisées et incapables de prestations de qualité ». Compte tenu de l’importance des travaux d’infrastructures (stades, routes, etc.) destinées à accueillir la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en 2012, « les grands groupes devraient partager le gâteau », estime Fidèle Waura, directeur général de Triangle des constructeurs, une entreprise de BTP. La procédure de passation des marchés publics fait également l’objet de critiques de la part des petits entrepreneurs. En effet, en cas d’appel d’offres, la plupart d’entre elles sont éliminées par les conditions posées. « Ils nous demandent des cautionnements bancaires et de justifier d’un chiffre d’affaires de 500 millions de F CFA sur les trois dernières années pour répondre aux appels d’offres. Comment va-t-on parvenir à un tel volume d’activité si nous n’avons pas accès aux marchés de l’État ? » se plaint Dieudonné Bussamb. Pour sa part, Fidèle Waura se plaint du recours abusif au mode d’attribution de gré à gré des marchés publics. Une de ses entreprises, Kentra, qui exploitait un remorqueur de 360 chevaux, a fait faillite faute de marché. Au bout d’un an d’inactivité, la PME a fermé ses portes. « J’ai perdu 60 millions de F CFA dans cette affaire », conclut-il.

Les entrepreneurs attendent aussi que l’on réduise les obstacles liés au financement de l’activité des PME. « Nous manquons de fonds propres », soupire l’un d’entre eux. Les opérateurs tentent bien de solliciter les établissements de crédit. Mais les banques exigent un apport minimal de 20 % du coût de l’investissement. Lorsque le prêt est refinancé par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), ce taux peut être porté à 29 %. Les conditions de remboursement imposées par les banquiers sont également très contraignantes, les taux d’intérêts atteignant parfois 17 % à 18 %.

Grâce au guichet unique de l’Agence de promotion des investissements privés (Apip), créé en février 2000, la plupart des opérateurs économiques reconnaissent que l’administration est parvenue à raccourcir les délais de création d’une entreprise. Le traitement des dossiers, qui impliquait plusieurs administrations, atteignait couramment six mois. Pour l’obtention d’un seul document, la multiplicité des interlocuteurs compliquait les formalités administratives. Depuis la réforme du guichet unique, il s’est créé 10 020 entreprises dans la seule ville de Libreville entre 2004 et 2007, estime l’Apip. À titre de comparaison, en 1985, le pays n’en comptait que 10 555.

Enfin, comme au Cameroun, les PME structurées subissent la concurrence déloyale du secteur informel, qui demeure important au Gabon. Ces entreprises, qui ne sont pas enregistrées auprès de l’administration, exercent notamment dans le petit commerce, l’artisanat et les services aux particuliers. Leurs promoteurs sont généralement des ressortissants d’Afrique de l’Ouest. Résultat : l’Apip et les patrons de PME gabonais déplorent la trop forte présence des étrangers dans l’économie du pays. Les Gabonais ne possèdent que 5,2 % du capital des entreprises installées et seulement 15 % de ces entreprises leur appartiennent, selon l’agence. Aussi les entrepreneurs locaux souhaitent-ils un renforcement de la concertation État-privé pour parvenir à un meilleur contrôle de l’activité économique. 

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