Présidentielle :pour qui votent les patrons ?

À l’approche de la présidentielle, qui doit se tenir au premier semestre 2009, les trois principaux candidats, Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, comptent leurs alliés dans le monde économique. Si certains sont mus par des convictions personnelles fortes, d’autres font un pari sur l’avenir.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Dès son accession au pouvoir d’État, en octobre 2000, le président Gbagbo a su s’entourer de nombreux hommes d’affaires dont il compte bien utiliser les réseaux pour conserver son fauteuil. Il y a d’abord les chefs des entreprises publiques directement impliqués dans la campagne du Front populaire ivoirien (FPI) comme Marcel Gossio. Directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA) depuis novembre 2000, ce vieux compagnon de route du président est secrétaire national du FPI chargé des relations internatio­nales, de la politique de l’intégration ouest-africaine et du droit communautaire. À la tête du PAA, l’un des principaux poumons économiques de la Côte d’Ivoire (90 % des recettes douanières nationales sont prélevées au port, qui concentre aussi 70 % des unités industrielles du pays), on prétend que cet ancien banquier est, via le port d’Abidjan, le véritable financier du parti. Le président a fait revenir ce Wê de 58 ans à son poste après une suspension consécutive au scandale lié au déversement à Abidjan, en août 2006, de déchets toxiques acheminés par le cargo Probo Koala.

Charles Kader Goré est, quant à lui, directeur de campagne du candidat Gbagbo à Bédiala. Président du groupe CKG Holding, il a pris au début du mois de juin le contrôle d’Ivoire Logistique, filiale du manutentionnaire belge Sea-Invest Group, puis celui de la Société nouvelle Chocodi, l’un des leaders de la chocolaterie, racheté au groupe suisse Barry Callebaut. Quelques mois plus tôt, Kader Goré avait pris la majorité du capital de Yara West Africa, qui détient la plus importante usine d’engrais de la région. Doté d’un capital de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros), son groupe compte huit filiales et emploie 6 000 personnes dans l’agroalimentaire, la gestion immobilière ou encore la sécurité (gardiennage et transfert de fonds). Autre grande figure de la nouvelle économie ivoirienne : Raymond Gnan, maire FPI de la ville de Kouibly, près de Man, préside désormais la société Sibagec, l’un des leaders du génie civil et des BTP.

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Il y a aussi les politiques proches de la mouvance présidentielle comme les jeunes loups de l’Union des nouvelles générations (UNG), qui devait tenir sa première convention devant 5 000 délégués, le 15 novembre. Gendre du président, Stéphane Kipré est à la tête de cette nouvelle formation. À 28 ans, Kipré a connu une ascension rapide après son retour des États-Unis en 2003, un master en poche. Il monte l’année suivante la société Mécanique, métallurgie, électricité, chaudronnerie (Mecaf), qui, selon lui, finance aujourd’hui ses activités politiques. Pour leur part, les barons du FPI prétendent qu’il reçoit ses subsides directement de la présidence.

Laurent Ottro Zirignon, président du conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), est aussi considéré comme un proche du président. Son épouse, Sarata Touré, n’est autre que la directrice adjointe du cabinet du chef de l’État. Gbagbo peut encore compter sur Eugène Marie Diomandé, l’un des actionnaires de référence et président de KoZ Côte d’Ivoire, filiale du groupe libanais Comium International, qui est devenue en mai 2007 le quatrième opérateur de téléphonie mobile du pays.

Parmi ses fidèles figure aussi Victor Silué Nembelessini, PDG de la Banque nationale d’investissement (BNI), ami de Paul-Antoine Bohoun Bouabré, l’ex-grand argentier devenu ministre du Plan, et de Simone Gbagbo. Ex-Caisse autonome d’amortissement, la BNI est accusée par les bailleurs de fonds de servir de caisse noire aux régimes successifs. Sont également réputés favorables au pouvoir le businessman Victor Ekra, 67 ans, autrefois actif dans les secteurs de la papeterie et de l’agro-industrie, devenu ensuite gestionnaire des affaires de son père Mathieu, inamovible ministre d’Houphouët-Boigny ; le directeur de la Société nationale d’opérations pétrolières (Petroci), Kassoum Fadika, longtemps conseiller du président et proche de Nady Bamba, la seconde épouse de Laurent Gbagbo… Sans oublier l’architecte Pierre Fakhoury, qui, bien que « gbagbophile », parvient à maintenir d’excellentes relations avec les adversaires politiques de celui-ci.

Les leaders houphouétistes, dans l’opposition depuis 2000, ont néanmoins su conserver des appuis dans le patronat. Henri Konan Bédié, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), peut compter sur le soutien, dit-on, de l’ancien gouverneur de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, Charles Konan Banny, qui après avoir tenté de lui ravir sa place, s’est, pour l’instant, rangé sous sa bannière. Autre fidèle : Marcel Zadi Kessy, président du conseil d’administration de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) et de la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (Sodeci) depuis 1984. Zadi Kessy est également vice-président national PDCI et délégué départemental de Soubré, sa région d’origine. Jean Kacou Diagou, bien que discret sur ses activités politiques, est, pour sa part, secrétaire national des affaires économiques et financières du parti. Il assure la présidence du groupe d’assurances, NSIA ainsi que celle de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire.

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Théoriquement, Bédié devrait également être soutenu par Bernard Dossongui Koné, le PDG du Groupe Atlantique qui vient d’acquérir la majorité du capital de la Société nouvelle Air Ivoire. Dossongui, déjà présent dans la finance, l’assurance et la distribution, a occupé le poste de député PDCI de Kouto (1995-2000), une localité du nord du pays, et s’est vu confier le poste de ministre de l’Enseignement technique en 1999, sous la présidence du sphinx de Daoukro. Mais beaucoup pensent qu’il a rallié le camp Gbagbo. Il est, en effet, l’un des hommes d’affaires ivoiriens qui a le plus prospéré sous la seconde République. Mathias Ngoan, élu communal du PDCI à Cocody, est, quant à lui, un soutien sûr. Il est actuellement le patron de l’Organisation centrale des producteurs et exportateurs d’ananas et de bananes (Ocab) et de l’Association nationale des organisations professionnelles agricoles de Côte d’Ivoire (Anopaci). Deux structures qui comptent de nombreuses ramifications et s’avèrent très influentes dans le milieu paysan, toutes filières confondues.

Alassane Ouattara, autre candidat majeur à la présidentielle, peut se prévaloir du soutien d’un très important réseau de commerçants dans les milieux dioulas. Il dispose aussi de l’aide de Maurice Bandama, maire de Taabo, dans le sud-est du pays, et président du conseil d’administration de La Poste.

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Homme du Nord, Gaoussou Touré, patron de Multiservices (négoce et services financiers) et conseiller pour les matières premières du ministre de l’Agriculture Amadou Gon Coulibaly, lui est également acquis. Le patron du groupe agroalimentaire, implanté autour d’Odienné, a été de tous les combats du Rassemblement des républicains (RDR). Dans cette région, ADO peut aussi compter sur Souleymane Coty Diakité, maire d’Odienné depuis 2005, également président du conseil d’administration de l’Agence des télécommunications de Côte d’Ivoire (ATCI). Mais il doit cohabiter au sein de cette structure avec un directeur général du FPI, Kla Sylvanus.

Dans la région de Dabou, Ouattara peut s’appuyer sur l’ancien ministre Lohoues Vincent, à la tête de la société Lepaci et président du conseil d’administration du Fonds interprofessionnel de solidarité hévéa (Fish). Le directeur de campagne de Ouattara dans l’Agneby (près d’Abidjan) est Adama Bictogo, spécialiste du négoce international. Symbole d’une génération montante au sein du RDR, ce jeune cadre est aussi le secrétaire national chargé des relations avec les partis politiques. Il est également proche du ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, si bien qu’il est parfois suspecté d’espionner pour le compte du camp présidentiel. Ouattara pourra compter aussi sur Tiémoko Yadé Coulibaly maire de Sinématiali et président du conseil d’administration de la Société générale de banques en Côte d’Ivoire (SGBCI).

Une grande majorité de chefs d’entreprise affichent toutefois une certaine neutralité, craignant sans doute que l’affichage de leurs convictions politiques ne porte préjudice à leurs affaires. C’est notamment le cas des patrons des multinationales implantées à Abidjan. Ces derniers cultivent toutefois leurs relations et n’hésitent pas à faire rentrer des personnalités influentes dans leurs instances dirigeantes. L’américain Cargill, leader dans le cacao, compte René Amani, ex-ministre de la Défense, dans son conseil d’administration. Le français Bolloré a tissé des liens avec Paul-Antoine Bohoun Bouabré. D’autres sociétés françaises s’appuient sur Gilles Minard, ancien patron du bureau Veritas en Côte d’Ivoire devenu conseiller du président Gbagbo, pour promouvoir leurs intérêts.

Une majorité silencieuse ne se reconnaît pourtant pas dans les trois grands leaders actuels et verrait bien l’avènement d’un « quatrième homme » à la tête de l’État. Une sorte de chef providentiel qui viendrait du monde de l’entreprise. Le nom de Jean-Louis Billon, président de la Chambre de commerce, patron de Sifca, le premier groupe privé ivoirien, par ailleurs maire indépendant de Dabakala, est parfois cité. « Mes confrères me demandent régulièrement de me présenter, répond l’intéressé, amusé par tant de sollicitude. Je ne suis pas candidat à cette présidentielle, les trois chefs historiques ont trop de choses à régler. Quant aux prochaines échéances, il sera toujours le temps d’y penser. »

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