Risque de panne sèche

Technologiquement dépassées, lourdement endettées, les raffineries africaines sont-elles condamnées ? Et l’Afrique est-elle vouée à s’approvisionner sur le marché international ? Pas forcément. La Côte d’Ivoire, par exemple, nourrit des projets d’envergure régionale.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Le continent africain compte quelques-uns des plus grands exportateurs mondiaux de pétrole brut. Ses installations de raffinage pourraient, en principe, lui permettre largement d’être autosuffisant dans ce domaine. Mais la plupart des raffineries africaines, souvent vieilles et mal entretenues, tournent bien en deçà de leurs capacités… Quand elles fonctionnent. Selon le bureau de consultants londonien Citac, sur 31 raffineries existantes en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud), seules 18 fonctionnent. Résultat, cette région, exportatrice de brut, importe la moitié de sa consommation de produits raffinés.

Le cas du Nigeria est emblématique de cette situation apparemment paradoxale. Premier producteur de pétrole d’Afrique et onzième mondial, le Nigeria extrait près de dix fois ce qu’il consomme (2,63 millions de b/j produits pour 321 000 b/j consommés), ce qui lui permet de se classer au huitième rang mondial des exportateurs. Et pourtant, le Nigeria importe le tiers de sa consommation de produits raffinés, soit une facture chiffrée entre 6 milliards et 9 milliards de dollars par an, selon les estimations. Les quatre raffineries que compte le pays (Port Harcourt I et II, Warri et Kaduna) devraient en principe suffire largement à alimenter le marché en produits raffinés avec une capacité cumulée de 438 750 b/j. Mais moins de la moitié de cette capacité est opérationnelle (autour de 210 000 b/j) du fait des sabotages, de la mauvaise maintenance et des erreurs de gestion. Les projets de remise en état des installations traînent, contrariés par des interférences politiques. En mai 2007, l’État a cédé la raffinerie de Port Harcourt à un consortium de sociétés nigérianes encadrées par le nigérian Oando et l’indien Mittal. Finalement, la candidature du géant indien en pleine ascension n’a pas été retenue. Le consortium gagnant, Blue Star Oil Services, comprend les groupes Dangote et Transcorp, alliés à la société pétrolière chinoise Sinopec. Le groupe Dangote appartient à l’homme d’affaires Aliko Dangote. À la tête d’un empire industriel qui va de l’agroalimentaire au ciment en passant par le pétrole et le textile, il est l’une des plus grosses fortunes du continent, estimée à plus de 10 milliards de dollars. C’est aussi l’un des plus gros financeurs du People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir). Quant à Transcorp, elle est contrôlée par des proches de l’ex-chef de l’État. À la même époque, une deuxième raffinerie nationale, celle de Kaduna a également été cédée à Dangote pour 160 millions de dollars.

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Quelques jours plus tard, le 29 mai, le président Obasanjo cédait son fauteuil à son successeur, Umaru Yar’Adua, non sans avoir au préalable procédé à une augmentation de 15 % du prix de l’essence à la pompe. Cette augmentation ainsi que les conditions dans lesquelles a eu lieu la privatisation de ces deux raffineries ont déclenché un vaste mouvement de grève à l’initiative du syndicat du pétrole. En juin, le Sénat a demandé une enquête sur la cession des deux raffineries et gelé le processus dans l’attente des résultats des investigations. Huit ans après leur lancement, la privatisation des quatre grandes raffineries du pays est donc au point mort et les installations continuent à tourner et à se dégrader : celle de Port Harcourt produit au mieux 80 000 b/j pour une capacité de 215 000 b/j.

Parallèlement aux privatisations, le gouvernement nigérian encourage l’investissement privé dans le secteur. Il propose aux investisseurs potentiels des permis d’exploration dans des zones prometteuses. Pas moins de vingt licences ont déjà été approuvées pour de nouvelles raffineries. Mais, à ce jour, un seul projet semble réellement sur les rails, celui du groupe pétrolier privé nigérian Oando, qui a annoncé en août dernier le lancement d’études de faisabilité d’une raffinerie de 360 000 b/j à Lagos. À ceux qui se demandent pourquoi le secteur du raffinage attire si peu de monde au Nigeria alors qu’il y a en aval un marché de 30 millions de litres de carburant par jour, un consultant privé répond : « Raffiner au Nigeria est un véritable cauchemar ! »

La déconfiture de cette filière ne fait pas que des malheureux. Pour les pays de la sous-région, le Nigeria constitue un marché d’exportation alléchant. C’est déjà le premier client de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), qui lui vend 25 % de sa production alors que la Côte d’Ivoire n’en absorbe que 22 %. La SIR s’affirme de plus en plus comme fournisseur du marché ouest-africain. Elle vend à ses voisins immédiats : le Mali et le Burkina, mais en achemine aussi par bateau vers pratiquement tous les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale depuis le Sénégal jusqu’à la RD Congo. Ce rôle de la Côte d’Ivoire va être conforté avec la construction d’une seconde raffinerie dans la zone de Vridi, à Abidjan. Dénommée La Raffinerie de la paix, elle doublera quasiment la capacité de raffinage du pays, de 65 000 à 125 000 b/j, confirmant la Côte d’Ivoire comme deuxième plus gros raffineur d’Afrique de l’Ouest. Elle traitera du pétrole nigérian, angolais et équato-guinéen, et exportera sa production (essence, diesel, jet fuel, butane) vers les pays de la sous-région. La Petroci qui en sera propriétaire en a confié la réalisation aux sociétés américaines Energy Allied International et WCW International de Houston. Sa construction, estimée à 700 milliards de F CFA, sera achevée dans un délai de 36 à 40 mois.

Autre projet majeur en Afrique de l’Ouest, l’extension de la raffinerie de Tema au Ghana. La Tema Oil Refinery (TOR) et ses 45 000 b/j place le Ghana au quatrième rang du raffinage en Afrique de l’Ouest. Un investissement de 275 millions de dollars portera sa capacité à 100 000 b/j, soit le double de la consommation du pays, qui est actuellement de 50 000 b/j. La TOR importe son brut du Nigeria, dont les deux tiers (30 000 b/j) par le biais d’un contrat à long terme avec la Nigerian National Petroleum Company (NNPC), le solde étant acheté par appels d’offres auprès des traders implantés au Nigeria. La privatisation de la raffinerie est également à l’ordre du jour depuis plusieurs années. Mais la situation actuelle n’y est pas favorable compte tenu des pertes subies à la suite du blocage du prix à la pompe décidé par le gouvernement.

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Il n’y a pas qu’au Ghana que la flambée des cours du brut a porté un rude coup à la rentabilité des petites infrastructures déjà financièrement fragiles. Pour compenser le blocage des prix à la pompe, les États se sont engagés à payer des compensations aux raffineries. Mais ces compensations tardent à être versées, créant des problèmes de trésorerie aigus.

Au Sénégal, l’avenir de la Société africaine de raffinage (SAR) est bien sombre. Plombée par une dette de plusieurs centaines de milliards de F CFA auprès de ses fournisseurs, et incapable de récupérer les milliards que lui doit l’État, la SAR a été lâchée par deux de ses partenaires étrangers, Shell et Mobil, qui se sont retirés, obligeant l’État, via Petrosen, à porter sa part dans le capital de 10 % à 33 %, puis 65 % actuellement. « Nous avons racheté la SAR pour ne pas la fermer comme le voulaient les pétroliers », assène le ministre de l’Énergie, Samuel Sarr, dénonçant ­l’attitude de ceux qui, selon lui, attendent la mort de la SAR pour vendre au pays des produits raffinés. Le groupe français Total, autrefois majoritaire, a réduit sa participation à 35 % et se refuse à tout commentaire invoquant des négociations en cours. L’État sénégalais fait mention de négociations avec l’Iran et les Émirats arabes unis pour un hypothétique sauvetage de l’entreprise. L’augmentation de capacité, un temps évoquée, n’est plus à l’ordre du jour, alors que certains suggèrent que la SAR ferme la raffinerie et se contente d’importer des produits raffinés.

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La situation n’est pas meilleure au Cameroun, où la Sonara (Société nationale de raffinage) est dans « une situation critique », selon la direction, du fait de l’énorme dette de l’État à son égard : retard de paiement des administrations et non-versement des compensations pour cause de blocage des prix à la pompe. Proche de la faillite, la Sonara cherche 300 milliards de F CFA pour s’agrandir et améliorer sa productivité. En désaccord avec ce projet jugé insensé, Total, partenaire technique et actionnaire à 20 % de la raffinerie de Limbé, a annoncé son retrait sans autre commentaire. Quant à la Coraf (Congolaise de raffinage), à Pointe-Noire, « il faudrait des milliards de F CFA pour la remettre aux normes internationales », concédait récemment le directeur technique de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), Jérôme Mountou. Dans ce contexte, le projet de raffinerie de 20 000 b/j proposé en juin dernier au Niger par la China National Oil and Gas Exploration and Development Corporation (CNODC) dans le cadre d’un contrat d’exploration dans le nord du pays est à considérer avec beaucoup de réserve.

Dans cet état de déliquescence quasi généralisée à laquelle seule la SIR échappe, la Banque mondiale réitère avec insistance sa thèse selon laquelle l’Afrique ferait mieux d’importer ses produits pétroliers. « Les petites raffineries sont devenues un poids insupportable pour les États africains », lâche Eleodoro Mayorga-Alba, spécialiste de l’énergie à la Banque mondiale, qui dénonce l’intervention de l’État, la corruption, la vétusté des installations et les problèmes d’approvisionnement en produits pétroliers qui en découlent. Pour lui, cinq ou six grandes raffineries modernes et bien gérées suffiraient à approvisionner tout le continent en produits raffinés. Mais il faudrait pour cela investir des sommes conséquentes et donc trouver des investisseurs. L’Association des raffineurs africains (ARA), qui regroupe les dirigeants des principales sociétés africaines et plaide pour le développement du raffinage sur le continent, s’alarme face au pire des scénarios à ses yeux : celui où l’Afrique importera la quasi-totalité de ses produits raffinés du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est, des régions qui concentrent actuellement 80 % des nouveaux projets de raffinage.

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