35 millions 
de consommateurs

Céréales, oléagineux, sucre, lait : les principales filières agricoles ne parviennent pas à satisfaire les énormes besoins alimentaires du pays. Seuls des investissements agro-industriels permettront de juguler les pénuries… Et même d’exporter.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 8 minutes.

Pénurie de poudre de lait, de céréale, de viande… crise de la pomme de terre, de la tomate… Terre de tradition agricole, l’Algérie a été le grenier à blé de Rome. Mais, aujourd’hui, le pays ne parvient plus à nourrir sa population. L’agriculture et l’industrie agroalimentaire ont largement fait la preuve de leur inefficacité, plombées par les années de socialisme et par une très large spéculation basée sur les importations de denrées alimentaires qui empêche le développement d’une industrie nationale compétitive. Aujourd’hui, l’agriculture algérienne ne couvre que 30 % des besoins du pays. À titre d’exemple, celui-ci se classe toujours parmi les dix premiers importateurs mondiaux de blé. Le défi de la sécurité alimentaire est à la hauteur de l’enjeu.

Des industriels ont décidé de le relever. À commencer par le premier d’entre eux : Issad Rebrab. Le patron du premier groupe privé algérien, Cevital, a décidé de mettre les bouchées doubles. « L’agriculture peut être le plus grand secteur économique algérien, estime-t-il. Mais aujourd’hui, sur 9 millions d’hectares cultivables, seuls 6 millions sont exploités. Or la région d’El-Golea pourrait être la Floride de l’Algérie. Elle pourrait non seulement couvrir nos besoins en jus d’orange frais mais aussi ceux de l’Europe. C’est la même chose pour le vin, la pomme de terre, les olives… L’Algérie pourrait être le premier producteur mondial d’huile d’olive. »

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Mais plus question de s’en tenir aux discours. Avec une poignée d’entrepreneurs privés, le patron de Cevital lance une vaste offensive pour dynamiser l’agro-industrie. Son groupe (1,6 million de dollars de chiffre d’affaires) est prêt à ouvrir – il attend le feu vert de l’administration – une unité de trituration de graines d’oléagineux à Béjaïa. D’une capacité annuelle de 300 000 tonnes, elle couvrira 100 % des besoins du pays en huiles végétales.

Le groupe d’Issad Rebrab s’est aussi associé avec le canadien Multiplan pour créer un laboratoire in vitro destiné à la production de semences de pommes de terre. Le but ? Éviter la pénurie de tubercules qu’a connue l’Algérie en 2007. Le projet devrait être complété par la construction de centrales logistiques permettant de stocker les excédents de production de pommes de terre et de réguler ainsi le marché tout en garantissant un revenu aux agriculteurs. Une unité industrielle de transformation (frites surgelées, chips, purée) devrait contribuer à résorber les surplus de production. Et faire passer l’Algérie du statut d’importateur à celui d’exportateur. Ce qui est loin d’être le cas encore.

« Il faut que la transformation se fasse à partir des productions locales et non importées, plaide Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises algériens (FCE). On peut faire de la purée avec des pommes de terre récoltées ici. Il en est de même pour le concentré de tomates et le lait. Nous avons des usines fermées à Annaba et Constantine, alors qu’on importe du concentré de tomates de Chine, de Turquie et de Tunisie. La filière lait cru ne trouve pas de réseau de collecte efficace, les besoins pour la transformation de la viande ovine ne sont pas pris en charge… Les agriculteurs et les industriels doivent apprendre à travailler ensemble, et développer une véritable complémentarité. Il faut que les industriels fassent l’effort de rechercher des matières premières au niveau local. »

Confrontés aux retards du secteur agricole, les industriels estiment que la production, dans son état actuel, ne répond pas à leurs besoins et qu’ils restent soumis à des handicaps majeurs. Il faut, par exemple, entre quatre et cinq ans pour homologuer une variété de pomme de terre destinée à la transformation. En matière d’infrastructures de stockage frigorifique, il faudrait, selon les industriels, au moins 5 millions de mètres cubes de capacité, alors que le pays ne dispose que de 1,7 million de mètres cubes, dont 30 % sont à réhabiliter. Dans ce contexte, l’industrie agroalimentaire locale, dominée par des entrepreneurs privés, se caractérise par l’obligation de ­transformer quasi exclusivement des produits importés. C’est là son talon d’Achille. Car si cette activité constitue la première filière industrielle par sa contribution à la valeur ajoutée du pays, elle reste largement tributaire de l’évolution des cours mondiaux. Mais les industriels ne sont pas irréprochables : la guerre qu’ils se livrent dans un contexte concurrentiel très ouvert ne contribue pas toujours à clarifier le marché.

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Aujourd’hui, l’industrie agroalimentaire s’appuie sur quatre grandes activités (corps gras, transformation des céréales, sucre et lait). L’industrie des corps gras est dominée par les huiles, qui s’arrogent plus de 75 % de la production de cette activité. Toutefois, les capacités de production installées, principalement par le secteur privé, représentent près de deux fois la demande nationale et se situent autour de 440 000 tonnes par an ! Un surplus qui ne trouve pas de débouchés à l’export en raison d’un manque d’intégration de la filière, ce qui pèse sur sa compétitivité. Constat identique dans la transformation des céréales : les capacités installées atteignent le double de la demande nationale. Et une multitude d’acteurs privés se livrent une concurrence sévère après avoir fait plier les entreprises publiques, dont la production s’est effondrée ces dernières années.

Une situation tout à l’inverse du marché du sucre, dont l’offre nationale atteint 780 000 tonnes, alors que la demande, estimée à 1,2 million de tonnes par an, a connu une véritable explosion entre 2000 et 2006, augmentant de près de 400 000 tonnes sur cette période. La capacité annuelle de raffinage devrait rapidement passer à 1,6 million de tonnes, puis à 2 millions de tonnes à moyen terme, si les projets d’investissements dans le cadre de la privatisation des filiales de l’entreprise publique Enasucre se concrétisent.

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L’industrie laitière est, de son côté, plongée dans un profond marasme financier dû à une politique de prix administré (25 DA le litre). La filière pourrait connaître un développement soutenu grâce à un très vaste marché évalué à 3,5 milliards de litres de lait par an. Les Algériens consomment en effet près de deux fois plus de lait que leurs voisins marocains. Or la production nationale de lait frais ne couvre que 57 % de la demande. Et seulement 10 % de la production de lait cru sont actuellement collectés, ce qui place l’Algérie parmi les premiers importateurs mondiaux de poudre de lait. Cette forte dépendance a été le ferment d’une grave crise dans le pays l’an dernier en raison de la flambée du prix de ce produit.

Rien qu’au cours du premier semestre 2008, la facture des importations de produits alimentaires a explosé à 3,8 milliards de dollars en Algérie. Soit une hausse de 64,4 % par rapport aux six premiers mois de 2007. Les importations de céréales (1,9 milliard de dollars) ont connu une progression de 110 % sur cette même période ! Parmi les plus fortes hausses : les légumes secs (143 millions de dollars), en progression de 49 %, et le lait et les produits laitiers (740 millions de dollars) en augmentation de 48,4 %. À l’inverse, les exportations alimentaires algériennes n’ont culminé qu’à 66 millions de dollars au cours de cette période, principalement des dattes…

Le gouvernement est conscient de ces faiblesses et veut réduire sa dépendance aux importations. En tout cas, les autorités ont pris conscience de la nécessité de créer des passerelles entre le monde agricole et l’industrie agroalimentaire. Deux activités qui évoluent, paradoxalement, de manière presque totalement déconnectée. Pour le ministre de l’Agriculture, Rachid Benaïssa, « il est impératif que l’ensemble des acteurs du secteur se mobilise de la façon la plus cohérente pour que l’agriculture devienne créatrice de richesses. »

Depuis le début de la décennie, le gouvernement a remis l’agriculture au cœur de ses priorités. Et ce n’est pas fini : le secteur va bénéficier d’un plan de développement à l’horizon 2013 à travers dix programmes nationaux d’intensification des productions : céréales, légumes secs, lait, pomme de terre, huile, dattes, semences et plants, élevage et aviculture, ainsi que des programmes relatifs à l’économie de l’eau et aux pôles agricoles. Et le chef de l’État d’ajouter : « Le gouvernement doit œuvrer à améliorer l’activité agricole et l’élevage par la relance de la mécanisation des cultures, la production de fertilisants, la production locale de semences, le développement des capacités nationales de stockage et de conservation, et par la promotion de l’industrie agroalimentaire. Cela doit entraîner le développement des industries et des services d’accompagnement. »

Au total, le pays a déjà mobilisé 400 milliards de DA (4,7 millions d’euros) depuis 2000 pour la mise en œuvre du Plan national de développement agricole et rural (PNDAR). Et il a débloqué 300 milliards de DA supplémentaires entre 2005 et 2009 dans un programme complémentaire de relance de l’agriculture et du développement rural. Même si l’autosuffisance est loin d’être au rendez-vous, cette mobilisation porte déjà des fruits. Selon les dernières données fournies par l’OCDE, la part du secteur agricole dans le PIB algérien s’établit à 7,6 %. Ce qui représente une valeur de production annuelle qui avoisine les 700 milliards de DA, soit 8,2 milliards d’euros. En 2007, l’activité agricole a connu une croissance qui a atteint 5,9 %, contre 4,9 % en 2006. Son développement se situe donc légèrement au-dessus de la progression moyenne annuelle de 5,5 % enregistrée depuis cinq ans. Ce boom est notamment tiré par les filières céréalières, la viticulture et l’horticulture d’exportation, marquées par une croissance à deux chiffres grâce à l’extension des surfaces. Entre 1999 et 2006, les terres consacrées aux fruits ont doublé, passant de 518 000 à 1 million d’hectares. Quand celles dédiées au raisin de table ont grimpé de 57 000 à plus de 100 000 ha, entraînant une hausse des exportations de fruits frais.

Toutefois, sur les 48 millions d’hectares de terres agricoles que compte l’Algérie, soit environ 20 % de la superficie du pays, seulement 9 millions d’ha sont cultivables. Les petites exploitations dominent : 62 % d’entre elles possèdent une surface cultivable de moins de 5 hectares. Avec le blé et l’orge, la culture des céréales occupe à elle seule 33 % de la surface agricole utile, et se situe loin devant l’arboriculture et les fourrages (6 % chacun) ainsi que le maraîchage (3 %). Parent pauvre du développement économique pendant des décennies, le maraîchage a souffert d’une désaffection amplifiée par le terrorisme, qui a accéléré l’exode rural dans les années 1990. Mais avec cette dynamique de retour à la terre, le secteur peut cette fois véritablement décoller et devenir un moteur de l’économie. La modernisation engagée à travers les différents programmes d’investissements, publics et privés, devrait permettre un taux de croissance de l’activité de 10 % à partir de 2009 et créer 300 000 emplois d’ici là.

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