Les ambitions 
de Ynna Holding

Avec près de 18 000 collaborateurs et un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars en 2008, le groupe de Miloud Chaabi détone dans le paysage marocain. L’entreprise, qui a fait fortune dans l’immobilier, poursuit sa mue vers de nouveaux pôles de croissance.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Depuis deux ans, les projets s’accélèrent pour Ynna Holding-Groupe Chaabi. « Nous avons la boulimie des investissements », confie Omar Chaabi, vice-président exécutif et directeur communication du groupe. Présent à ses débuts dans l’immobilier et les travaux publics, Ynna Holding est aujourd’hui à la tête de quatorze sociétés, un empire familial couvrant des secteurs aussi diversifiés que le câblage, la fabrication de tubes de ciment, la céramique, la construction de matériel ferroviaire, la construction métallique, l’emballage, la pétrochimie, ou encore les énergies renouvelables, la grande distribution et l’hôtellerie. Ynna Holding, petit poucet devenu grand, a des ambitions et le fait savoir. Être leader, sinon rien, tel est le credo du groupe, qui travaille en famille. Miloud Chaabi, le père, septuagénaire, véritable légende vivante, est à la barre du groupe, fondé il y a soixante ans.

Pour le groupe Ynna, le tournant s’opère à la fin des années 1990. Il marque la diversification vers de nouveaux pôles de croissance. Le premier hypermarché Aswak Assalam ouvre à Rabat en 1998. Dix ans plus tard, le holding compte sept magasins dans tout le royaume et table sur quinze hypermarchés à l’horizon 2012. En 2007, le groupe se lance dans l’embouteillage et la distribution de l’eau de source Aïn Soltane. Dans l’hôtellerie, Ryad Mogador, implanté à Essaouira, Agadir et surtout Marrakech, avec six hôtels, projette de prochaines ouvertures à Casablanca, Benslimane, Fnideq et Tanger. Dans le tourisme, Ynna Holding regarde également du côté des Émirats arabes unis.

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Côté industrie, le dernier investissement en date est la construction de la première cimenterie du pôle Ynna Asment, d’une capacité de 2 millions de tonnes par an, dans la région de Marrakech. Les travaux, qui ont déjà démarré, devraient s’achever en 2011. Coût de l’investissement : environ 3 milliards de dirhams (272 millions d’euros).

Dans la sidérurgie, ce sont également 3 milliards de dirhams qui sont consacrés à la réalisation de deux unités de laminage, à chaud (rond à béton) et à froid (bobines d’acier), prévues pour être opérationnelles d’ici à 2010. Plus original, Ynna Bio Power s’est lancé dans la production d’énergie propre afin d’alimenter les industries du groupe. D’ici à 2010, deux parcs éoliens, d’une puissance cumulée de 70 mégawatts (MW), devraient voir le jour, pour un investissement cumulé de 1 milliard de dirhams. Le premier parc à Essaouira, dont l’entrée en production est prévue courant 2009, aura une puissance de 20 MW. Le second, à Tanger, sera productif à la fin de 2010.

En 2007, le chiffre d’affaires du groupe Chaabi a dépassé les 8 milliards de dirhams ; il devrait être supérieur à 10 milliards en 2008. Une croissance portée par les pôles de la grande distribution, de l’hôtellerie, et surtout de l’immobilier, qui constitue 30 % du chiffre d’affaires du groupe. Ynna Holding, ce sont également 18 000 collaborateurs et un programme de recrutement de 1 000 personnes par an, qui devrait porter les effectifs à 25 000 à l’horizon 2015.

Si le holding communique volontiers sur les résultats de la Snep (Société nationale d’électrolyse et de prétrochimie), cotation en Bourse oblige, il se montre en revanche guère prolixe sur ses autres filiales. Discrétion, prudence, voire méfiance : l’entreprise familiale opère doucement sa révolution culturelle. Depuis l’introduction de la filiale pétrochimique du groupe sur la place casablancaise, « il est des questions que l’on se pose aujourd’hui que l’on ne posait pas auparavant », convient Omar Chaabi, le benjamin de la famille, formé aux États-Unis.

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Une « première » réussie pour l’entreprise. L’ouverture du capital à hauteur de 33 % est destinée à financer des projets de développement. En 2007, la Snep a enregistré un chiffre d’affaires de 947 millions de DH (en hausse de 9,2 %) et 118 millions de bénéfices (+ 51 %). Ses investissements ont atteint 110 millions de dirhams, permettant notamment d’augmenter la capacité de production d’électrolyse de 30 %. Pour 2008, le groupe prévoit une croissance du chiffre d’affaires de la Snep de l’ordre de 7 % et des investissements avoisinant les 100 millions de DH.

Pour ce qui est du calendrier d’introduction en Bourse des cinq autres sociétés du groupe – Chaabi Lil Iskane, Super Cérame, Dimatit, GPC et SCIF –, il a été décalé à 2009, la Bourse de Casablanca vivant des temps difficiles. « Nous avons sous-estimé la charge de travail », indique, par ailleurs, Omar Chaabi.

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À l’international, le groupe affiche sa présence en Jordanie, aux Émirats, en Égypte, en Tunisie et en Guinée équatoriale. L’Afrique ? Elle reste un objectif, malgré quelques déboires. Par le passé, Faouzi, un autre des fils Chaabi, a dénoncé ouvertement les difficultés à travailler au Sénégal, en raison, notamment, de « lobbies politiques et religieux » rendant difficile l’accès au foncier. « Quel que soit le pays dans lequel on décide d’investir, il y a une période d’apprentissage. Cette période prend un peu plus de temps dans certains pays que dans d’autres », souligne le vice-président. L’Afrique fut indéniablement une terre de conquête pour Miloud Chaabi, à une époque – à la fin des années 1960 – où ses relations avec le pouvoir d’Hassan II n’étaient pas au beau fixe.

Atypique, Miloud Chaabi, l’est assurément. Self-made-man originaire d’Essaouira, trublion se piquant de politique… son histoire est celle d’un berger devenu milliardaire, qui collectionne aujourd’hui des toiles de Gharbaoui, précurseur de l’art abstrait au Maroc. L’histoire raconte que le jeune Miloud aurait déserté le domicile familial, craignant la colère du père, après qu’un loup se fut introduit dans la bergerie, dévorant une bête du troupeau dont il avait la garde. Quelques années plus tard, à peine âgé de 18 ans, il crée sa première entreprise de construction. À 21 ans, il se lance dans la promotion immobilière, qui fera sa fortune. Connu pour son franc-parler et sa profonde religiosité, Miloud Chaabi est un homme qui dérange. Critiquant régulièrement les privilèges et la corruption, il a dénoncé à maintes reprises la passation de marchés publics de gré à gré, tirant à boulets rouges sur son principal concurrent, le groupe Addoha, autre géant de l’immobilier marocain. Des accusations de favoritisme pour l’octroi de biens fonciers publics, dont s’est vivement défendu le management d’Addoha.

Favorable à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur de possibles malversations, mais pris à partie par ses confrères, Miloud Chaabi finira par démissionner, en juillet dernier, de son poste de président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI). « La presse nationale n’a pas été transparente avec nous », précise Omar Chaabi. L’impression d’avoir été piégé ou, en tout cas, mal compris… Toujours est-il que la communication du groupe vient d’être « restructurée ».

Pour le journaliste économique d’un quotidien arabophone, Miloud Chaabi « a eu des sorties malheureuses. Nous n’avons pas compris ses attaques contre le groupe Addoha. Et puis, il lui arrive de mélanger les affaires et la politique. » Ses engagements politiques, justement, lui ont valu aussi de nombreuses critiques. Ancien député de l’Istiqlal, aujourd’hui élu du Parti du progrès et du socialisme (PPS), l’homme aurait aussi flirté avec le Parti pour la justice et le développement (PJD). Des volte-face qui n’ont pas été du goût de tout le monde.

Trublion, Chaabi se veut aussi mécène au grand cœur. Créée en 1966, sa fondation met l’accent sur les services sociaux et particulièrement l’éducation, via l’octroi de bourses aux étudiants du supérieur et la construction de cités universitaires. En mai dernier, le patriarche a annoncé qu’il consacrerait 10 % de sa fortune personnelle à la création de l’Indiana State University of Morocco, université privée américaine, dans la région du grand Casablanca.

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