LES 500… DIX ANS APRÈS !

1999-2008… Pour la dixième année consécutive, Jeune Afrique publie le classement des 500 premières entreprises du continent. Premier constat : en l’espace d’une décennie, leur chiffre d’affaires cumulé a plus que doublé.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

«Exercice difficile que de commenter la première édition d’un palmarès. La comparaison dans le temps, précieux outil d’analyse s’il en est, ne peut être d’aucun secours. Tous les participants sont nouveaux, et leurs performances, faute d’historique, doivent être considérées avec précautions. » Sur ces lignes de notre collaborateur Assou Massou s’ouvrait, il y a tout juste dix ans, le commentaire du premier classement des 500 premières entreprises africaines réalisé par le Groupe Jeune Afrique. Une édition qui brossait le premier tableau du capitalisme africain. Depuis, ce travail réalisé chaque année par l’équipe de J.A. a été renouvelé, et ce « précieux outil d’analyse qu’est la comparaison dans le temps » nous a permis deux choses : de peaufiner les points saillants de notre première édition et de dresser, année après année, les grandes évolutions économiques et sectorielles des entreprises africaines. La 10e édition des 500 premières entreprises africaines nous permet de réaliser la première compa­raison décennale de notre classement. Et quels enseignements !

Le premier tient au poids de nos 500 : en dix ans, leur chiffre d’affaires cumulé (en dollars) a plus que doublé, augmentant chaque année en moyenne de 8,3 %. Dans le même temps, le revenu cumulé des 500 plus grands groupes des États-Unis grimpait de 6,8 % par an. Le capitalisme africain n’a donc pas été distancé, au contraire, mais le rattrapage aurait dû être plus important. Le paysage entrepreneurial du continent a-t-il réellement changé ? Il y a une décennie, le premier de notre classement (déjà, la compagnie pétrolière algérienne Sonatrach) pesait 14,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, il pèse 67,6 milliards. Le 500e pesait 76,3 millions, contre 137,8 millions aujourd’hui. Derrière Sonatrach, le top 10 du continent a beaucoup changé. Il est toujours dominé par l’Afrique du Sud, qui y classe huit entreprises hier comme aujourd’hui, mais les noms ne sont plus les mêmes. Le numéro deux de l’époque, le géant pétrolier égyptien EGPC, ne nous délivre plus ses résultats financiers, et il a cédé sa place au géant pétrolier angolais Sonangol. Sur les huit noms qui suivent, sept ont changé : deux géants, qui ont marqué et continuent de marquer le paysage économique mondial, le conglomérat minier AngloAmerican et le brasseur SAB (aujourd’hui SAB Miller) ont déménagé leurs sièges sociaux vers Londres et ont naturellement quitté notre classement. CG Smith, alors numéro quatre du continent, a été démantelé en plusieurs groupes en 2000. Seul survivant de 1998, l’assureur Sanlam, alors numéro sept, se situe aujourd’hui à la huitième place. Tous ces changements sont, fort heureusement, le signe d’un capitalisme en mouvement, capable de se remettre en question.

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L’Afrique du Sud classait 221 sociétés. Elle en place 62 de moins aujourd’hui. Au nord du continent, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie font mieux, avec 43 entreprises de plus en dix ans. Les poids lourds économiques d’Afrique de l’Ouest font à peine mieux pour certains (le Nigeria avec 29 entreprises au lieu de 22, ou le Sénégal avec 12 au lieu de 8) ou même moins bien (la Côte d’Ivoire avec 24 sociétés au lieu de 28). Les évolutions ne sont guère marquantes au centre et à l’est du continent, où Gabon et Cameroun d’un côté, Kenya de l’autre, affichent un poids à peu près stable dans le capitalisme africain. Cruelle désillusion ? Oui et non, car le monolithisme de l’analyse par pays ou par zone cache aussi, parfois, de réels mouvements à l’intérieur des économies nationales. À ce titre, le Maroc, qui a indiscutablement connu un boom entrepreneurial, pourrait décevoir : le numéro un de 1998, le Groupe ONA (34e), est toujours celui de 2008 (24e). Il représente toujours, également, les intérêts privés de la famille royale. Dans les pays pétroliers ou de raffinage pétrolier, la situation est la même : les premiers d’hier sont les premiers d’aujourd’hui. C’est le cas en Algérie, avec Sonatrach, en Côte d’Ivoire, avec la Société ivoirienne de raffinage, au Cameroun, où la Sonara, aujourd’hui deuxième, a laissé la première place à la Société nationale des hydrocarbures (SNH), au Gabon, avec Elf Gabon, rebaptisé Total Gabon, et même au Nigeria, où la NNPC, absente de nos classements en 1998 et 2008, serait première si elle était plus transparente.

Dans les pays où l’or noir ne coule pas, les mouvements ont été plus notables : au Mali, la petite Union africaine de transports et de transit a été dépassée par la Société des mines de Morila ; au Ghana, le minier Ashanti Goldfields a laissé la place à MTN Ghana ; au Kenya, le brasseur Kenyan Breweries s’est effacé derrière Safaricom ; au Sénégal, la Sonatel a doublé la Société africaine de raffinage. Partout, l’émergence spectaculaire des opérateurs de télécoms a bouleversé nos classements. Dans la plupart des pays, désormais, ces sociétés ont profité du boom du mobile sur le continent pour se hisser, partout, dans les top 5 nationaux. À de rares exceptions près (Tunisie Telecom, Telkom et d’autres sociétés publiques à l’époque), ces nouveaux leaders, filiales des groupes MTN, Orascom, Orange, Vodafone ou Zain, n’existaient pas à l’époque. Leur particularité ? Être le symbole de l’émergence d’un puissant secteur privé en Afrique. Une émergence encore limitée dans les grands domaines d’activités que sont les ressources naturelles ou les infrastructures (voir encadré), mais beaucoup plus marquée dans les domaines de l’immobilier, de la consommation et de l’industrie.

En Algérie, le groupe Cevital se classe aujourd’hui 6e alors qu’il était absent de notre classement il y a dix ans. Au Gabon, la Compagnie du Komo, géant privé aux connexions politiques connues de tous, est désormais la sixième entreprise du pays. En Tunisie, le holding Poulina frôle les 700 millions de dollars de chiffre d’affaires. Autant de groupes qui vivaient, il y a dix ans, dans l’ombre comme le font encore aujourd’hui des dizaines de holdings familiaux.

Secteur par secteur, les télécoms classaient il y a une décennie onze entreprises, totalisant un peu moins de 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 2,4 % du chiffre d’affaires total de nos 500. Aujourd’hui, 50 entreprises de télécoms pointent dans notre classement pour un chiffre d’affaires cumulé de plus de 70 milliards de dollars, près de douze fois plus qu’en 1997. Surtout, ces groupes réalisent 12,5 % du chiffre d’affaires total de nos 500, faisant des télécoms la deuxième activité en Afrique. Une création de richesse sans équivalent dans aucun autre secteur d’activités sur le continent. Les hydrocarbures ont certes fortement renforcé leur poids, aidés par la progression du prix du brut mais aussi par la mise sur pied de géants étatiques dans le secteur. Déjà leader il y a dix ans, Sonatrach a ainsi de nombreuses petites sœurs sur le continent, qui ont vu leur poids se renforcer : Sonangol en Angola et NNPC au Nigeria, notamment. Mais l’émergence de nouveaux acteurs, comme le holding privé Oando au Nigeria ou Petro-CI en Côte d’Ivoire, est aussi le signe du renforcement du secteur de l’or noir en Afrique. Autre domaine d’activité qui s’est développé, celui de la construction : le nombre d’entreprises dans ce domaine présentes dans notre classement est passé de 30 à 51. Plusieurs géants sont apparus hors Afrique du Sud, alors que ce pays dominait largement le secteur il y a une décennie : parmi eux, Orascom Construction, achetée début 2008 par Lafarge. D’autres pays, comme le Nigeria et le Maroc, ont aussi renforcé leur poids dans ce secteur, notamment pour les cimenteries. À l’inverse, certains secteurs semblent avoir reculé, notamment celui de l’agro-industrie : le nombre d’entreprises de cette catégorie est passé de 91 à 68. Dans le détail, le tableau n’est toutefois pas si sombre, avec l’émergence de grands opérateurs locaux, comme les filiales agro-industrielles du nigérian Dangote, la montée des brasseurs ou le renforcement de certains comme Altadis Maroc, numéro quatre de l’agro-industrie.

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Preuve du sous-développement du secteur minier, le poids de ce dernier a légèrement reculé dans notre classement, passant de 9,9 % du chiffre d’affaires total à 8 %. L’Afrique du Sud reste la plus puissante dans ce domaine, avec des géants dans l’or, le diamant et le platine. Derrière, l’Office chérifien des phosphates a maintenu sa position, tout comme la Comilog, exploitant le manganèse du Gabon. La Zambie, avec le cuivre, a émergé parmi les leaders, ainsi que le Mali, avec l’or. Pour le reste, si l’on excepte la vague des privatisations, la décennie qui vient de s’écouler n’a pas révolutionné l’économie. Preuve que le capitalisme africain, s’il a bénéficié de la constitution de groupes privés majeurs, a aussi connu une certaine stagnation, restant en marge du boom des pays émergents. 

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