Marchés en ordre dispersé

La capitalisation boursière en Afrique atteint 1 200 milliards de dollars. Mais les quatre principaux marchés – Johannesburg, Le Caire, Lagos et Casablanca – captent plus de 90 % des flux. Hormis l’Afrique du Sud, les places financières semblent réservées à une « caste d’initiés ».

Publié le 18 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Les marchés africains auraient-ils enfin la cote ? Ces derniers temps, les fonds d’investissement ou spéculatifs, spécialistes des marchés émergents, se tournent vers le continent. Parmi les nouveaux fonds lancés, ceux de la banque d’investissement russe Renaissance Capital, du suisse Scipion Capital, du sud-africain Pamodzi Investment ou du britannique Progressive Asset Management. Tandis que le doute s’installe sur les plus grandes places financières mondiales, malmenées par la crise de l’immobilier et des subprimes, l’Afrique bénéficie d’un regain de confiance. Les marchés actions, excepté ceux d’Afrique du Sud, sont décorrélés des autres régions du monde. Et les performances de certaines places africaines, surtout, laissent songeur. Entre juin 2007 et juin 2008, les performances des Bourses du Caire, de Casablanca, de Port-Louis, d’Abidjan ont dépassé le seuil des 20 %. Avec un record de + 56 % pour Accra ! â©La capitalisation boursière de l’ensemble de l’Afrique atteint environ 1 200 milliards de dollars. Mais seulement quatre marchés – l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria et le Maroc – se partagent plus de 90 % de la capitalisation de marché sur le continent, dont 60 % pour la seule nation Arc-en-Ciel. « Dans ces pays où l’activité boursière est bonne, le fonctionnement du marché l’est également », estime Nicolas Clavel, président de Scipion Capital, qui gère deux fonds actions et un fonds indiciel (AI 40) en Afrique.â©Sur le World Federation of Exchanges, qui regroupe les places les plus avancées dans le monde, seuls trois pays africains apparaissent : l’Afrique du Sud, l’Égypte et Maurice. Si Johannesburg tient le haut du pavé en termes de sophistication, d’efficacité, de coûts d’intervention et de liquidité, le Maroc, le Kenya, Maurice et l’Égypte sont également reconnus pour le niveau d’information et la qualité d’exécution. « Nairobi est un marché efficace, dans la mesure où il se caractérise par un turnover élevé, à l’inverse d’Abidjan, où les gens achètent des actions que l’on ne voit plus ensuite pendant cinq ans, souligne Nicolas Clavel. Au Kenya, la mentalité est différente. Il existe une communauté indienne importante qui détient une bonne part de l’industrie et investit dans la Bourse locale. » Ailleurs, le fort développement et la performance des marchés ne suffisent pas. Dans son étude « African Stock Markets Join Global Boom », Charles Amo Yartey, économiste au département Afrique du FMI, précise que les échanges se concentrent sur un nombre limité de titres, qui représentent une part considérable de la capitalisation de marché. Au Ghana, la compagnie minière Ashanti Goldfields constitue plus de la moitié de la capitalisation boursière totale. Sur la Bourse d’Abidjan, Ecobank anime l’essentiel du marché.â©Faible profondeur du marché et liquidité insuffisante sont unanimement décriées, tout comme l’utilisation de systèmes manuels pour passer les ordres ou effectuer règlements et compensations, ce qui ralentit les échanges. Au Botswana, un système de dépositaire central est en place depuis peu pour booster la liquidité. De son côté, le Nasdaq (National Association of Securities Dealers Automated Quotations) a été choisi pour développer les transactions électroniques dans les marchés boursiers kényan, tanzanien, ougandais et rwandais. La médiocrité des services de courtage est également mise en exergue. Côté institutionnel, le contrôle effectué par les autorités de régulation est jugé insuffisant. D’autant que, dans de nombreux pays, l’établissement de marchés boursiers formels a précédé la création d’instances de régulation indépendantes. Au Maroc, le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), sous la coupe du ministère des Finances, revendiquait ainsi son indépendance depuis plusieurs années. Histoire d’esquiver les potentiels conflits d’intérêt et asseoir sa crédibilité à l’international. Le feu vert est venu de son ministère de tutelle en juillet dernier seulement. Quant à la crédibilité des intervenants, pour le président de Scipion Capital, c’est au niveau du risque de contrepartie et donc du dépositaire que cela se passe : « Le plus important, c’est de savoir avec quel broker on traite. » â©Sur le continent, le contrôle des changes, en Afrique du Sud, au Maroc, en Tunisie ou dans les pays de la zone franc, limite les opportunités d’intervenir pour le compte des épargnants locaux. Quelques banques internationales seulement sont en mesure d’accompagner les investisseurs européens sur les places sud-africaines, marocaines, nigérianes ou égyptiennes. Après, c’est au niveau des fonds d’investissement, connectés aux Bourses, aux partenaires de change, aux dépositaires, que tout se joue. « Il ne suffit pas de lire un bilan, il faut connaître l’Afrique, la place des entreprises dans l’économie nationale, ainsi que la nature des risques auxquels elles sont soumises », estime Nicolas Clavel. Par rapport aux grands donneurs d’ordres, les marchés africains restent perçus comme des places « exotiques ». Casablanca, notamment, « est une place où les fondamentaux sont déconnectés des cours. Il n’y a souvent aucune rationalité, aucun lien entre l’évolution des cours et les conclusions des notes de recherche faites par les départements d’analyse. Nous sommes sur un marché très spéculatif, et l’accès à l’information est difficile. À la limite, on peut dire que Casablanca est un marché d’initiés ; une particularité propre aux Bourses les plus jeunes », estime un opérateur. Pour autant, la régulation du marché marocain devrait s’affiner dans un futur proche, sous la houlette du CDVM, dont le règlement est entré en vigueur en juin dernier (suite à sa publication au Bulletin officiel), soit quinze ans après sa création ! â©Côté sanctions, Upline Securities a essuyé les plâtres en écopant, en mars dernier, d’une amende de 10 millions de dirhams (environ 887 000 euros) et d’un retrait de sa licence de dépositaire, en lien avec l’introduction en Bourse de la société immobilière CGI ; une première au Maroc. Upline s’est vu reprocher son manquement aux obligations de respect des modalités de souscription et le non-respect des règles prudentielles par l’utilisation des soldes créditeurs de la clientèle pour faire face à la défaillance ou financer les acquisitions d’autres clients. « Nous avons pris acte de la sanction. […] Depuis, Upline a mis en œuvre toute une série de réformes structurelles en vue de renforcer la gestion des risques et des contrôles », indique Amine Belkeziz, administrateur-directeur général d’Upline Group au Maroc. Autour de la même affaire, Safabourse, Attijari Intermediation et BMCE Capital Bourse ont été rappelés à l’ordre. Pour autant, « il faut banaliser la sanction, plaide Younes Benjelloun, administrateur associé de CFG Group au Maroc. Les erreurs arrivent volontairement ou non, quels que soient les systèmes de contrôle. Et en termes de déontologie, le Maroc est en avance sur l’Égypte. Les opérateurs anglo-saxons ont adopté une approche plus souple, plus ouverte aux interprétations, contrairement au modèle francophone, qui borne les choses. » En juin, les dirigeants du Nigerian Stock Exchange, soupçonnés de manipulations de cours de matières premières, ont été entendus par le Sénat. â©Lagos reste un marché difficile à pénétrer, reconnaissent les spécialistes. « Entre les commissions et les droits de timbres, il faut régler entre 1,5 % et 2 % pour entrer sur le marché. Ce qui n’est guère incitatif. Alors qu’en Afrique du Sud le prélèvement n’excède pas 0,5 % », indique Nicolas Clavel. Quoi qu’il en soit, l’Afrique présente de réelles opportunités. En ligne de mire, le développement de services bancaires via la téléphonie mobile. Et la mise sur le marché de nouveaux produits à forte valeur ajoutée, par Maroc Télécom, Orange en Côte d’Ivoire ou Safaricom au Kenya, devrait booster les valeurs.

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