Timide intrusion
 en Afrique du Nord

Les pays d’Afrique du Nord n’intéressent que modérément les groupes bancaires du Moyen-Orient. Toutefois, le boom du BTP et des hydrocarbures pourrait susciter de nouveaux projets, notamment en Algérie et en Libye.

Publié le 18 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

National Bank of Abu Dhabi (NBAD), Qatar National Bank (QNB) et First Gulf Bank (FGB) en Libye, Banque islamique Noor en Tunisie, Al Salam Bank en Algérie, ces récentes arrivées sont-elles la preuve d’un nouvel intérêt des banques du Golfe pour l’Afrique du Nord ? Ou que la région profite de leurs liquidités ? Pas si sûr. « Les banques les plus agressives dans la région sont les banques libanai­ses, qui, pour se développer, doivent exporter leur savoir-faire et sortir de leur pays, dont l’écono­mie est aujourd’hui stabilisée, explique Albert Momdjian, directeur de Calyon DIFC à Dubaï et responsable de la banque d’investissement pour le Moyen-Orient et l’Afrique. Les banques du Golfe qui s’intéressent à l’Afri­que du Nord se heurtent à la barrière linguistique et culturelle. Pourquoi s’aventurer sur des marchés qu’elles connaissent mal alors que le business dans leur propre région est ­florissant ? » Le Maghreb reste un petit marché, où seule l’Al­gé­rie se montre encore généreuse en licences.â©« Le seul moyen de s’implanter en Tunisie, petit pays surbancarisé, c’est d’acheter une banque », affirme un banquier français installé au Maghreb. Burgan Bank, détenue à 50 % par le groupe koweïtien Kipco, vient de racheter les filiales régionales de la banque bahreïnie United Gulf Bank (UGB), dont 77 % dans Tunis International Bank au début de l’année 2008. La Banque tuniso-koweïtienne détient une part de marché négligeable. En Mauritanie, où quelques groupes familiaux dominent, Qatar National Bank a fait une demande d’agrément, maintenue malgré le coup d’État. « Mais il s’agit d’une initiative de l’émir, qui est venu en visite et qui a décidé d’investir dans le transport aérien, explique un opérateur. Et je me demande bien ce que cette banque va faire. » Quant au Maroc, « le marché bancaire est cadenassé, estime un cadre du fonds d’investissements Abu Dhabi Investment Company. Les positions sont prises, et il est très difficile de concurrencer les groupes locaux, déjà bien installés. » Le pays est perçu comme déjà surbancarisé, avec un potentiel de croissance limité.â©En tant que pays pétroliers, l’Algérie et la Libye ont des profils que les banquiers du Golfe connaissent mieux. En Algérie, on trouve notamment Arab Banking Corporation (29,7 % Kuwait Investment Authority, 29,5 % Banque centrale libyenne et 27,6 % Abu Dhabi Investment Authority) et Algeria Gulf Bank, du groupe koweïtien Kipco, qui recentre son activité autour de Burgan Bank. QNB ­envisagerait de prendre une part dans le capital de Housing Bank. Mais les banques publiques algériennes conservent plus de 85 % de parts de marché. « Avec des réformes en attente, un processus de privatisation à l’arrêt et une loi de finances complémentaire qui prévoit des montants substantiels de recapitalisation, on est revenu à une gestion administrative », commente un financier algérien. De récentes arrivées ont été constatées en Libye, qui, depuis deux ans, ouvre timidement son marché. Dernière en date, en juillet 2008, la qatarie Masraf Al Rayan a obtenu le feu vert de son gouvernement pour un bureau de représentation, suivant les traces de QNB en avril 2007. National Bank of Abu Dhabi, qui compte 77 agences aux Émirats, a reçu en juin l’autorisation d’ouvrir un bureau de représentation. « La NBAD veut devenir la première banque du monde arabe. Notre stratégie est de nous étendre dans les pays arabes, qui ont une proximité culturelle et géographique avec le Golfe : Égypte, Soudan, Libye pour commencer », affirme l’un de ses cadres. Plus concrètement, First Gulf Bank, basée à Abu Dhabi, a créé en septembre 2007 une vraie banque commerciale, en joint venture avec le Fonds de développement économique et social libyen : Gulf-Libyan Bank (200 millions de dollars de capital libéré). « L’actionnaire de FGB est Cheikh Tahnoun d’Abu Dhabi, très présent dans l’immobilier et le BTP, secteurs en pleine croissance en Libye », affirme un banquier britannique implanté à Abu Dhabi. Mais, comme en Algérie, ici, le business reste aux mains des banques libyennes. Si offensive il y a en Afrique du Nord, c’est essentiellement en Égypte, pays mieux connu par les États du Golfe, où beaucoup de cadres égyptiens viennent travailler depuis des années. « Le marché, limité aux entreprises privées est ultracompétitif. Car s’il y a 70 millions d’habitants, 10 millions seulement sont bancarisables. » Très actives, les banques du Golfe n’hésitent pas à surpayer pour conclure un accord. Abu Dhabi Islamic Bank (ADIB) a racheté 51 % de la National Development Bank en mai 2007, et envisage d’injecter plus de 1 milliard de dirhams pour la restructuration de cette filiale qui compte 3 000 employés. Présente à chaque vente, National Bank of Koweit a racheté au prix fort El Watanya Bank of Egypt en octobre 2007. Mashreq Bank, deuxième banque de Dubaï en valeur boursière, a tenté en vain le rachat de la Banque d’Alexandrie et de la Banque du Caire. Union National Bank a racheté en 2006 Alexandria Commercial and Maritime Bank pour 250 millions de livres (32 millions d’euros) avec l’intention d’augmenter son capital à 1 milliard. « Nous sommes l’une des plus grosses banques étrangères en Égypte, avec 24 agences », affirme-t-on à la NBAD. Abu Dhabi Commercial Bank est également présente. « L’Égypte est un “drôle de marché” : les banques arrivent de tous les pays, notamment du Liban, d’Europe et du Golfe ; elles sont très agressives, se volent leur personnel respectif, participent à une surenchère des salaires absolument invraisemblable », constate un banquier. Quant aux services offerts, les banques du Golfe accompagnent surtout leurs compatriotes et se concentrent sur les opérations de commerce extérieur. La lucrative finance islamique, politiquement sensible en termes d’image, a du mal à décoller au Maghreb. C’est du bout des lèvres que le Maroc a fini l’an dernier par autoriser les banques conventionnelles à commercialiser quelques produits islamiques, tarifés plus cher que les autres via un régime fiscal désavantageux. La récente Noor Islamic Bank (NIB), basée aux Émirats, a ouvert un bureau de représentation en Tunisie en juin dernier, faisant ainsi ses premiers pas à l’étranger pour se concentrer sur la banque corporate. Noor fait partie du groupe Dubai Holding, qui a racheté 35 % de Tunisie Télécom en juillet 2006. Sa filiale Sama Dubai a lancé le mégaprojet immobilier des Berges du lac, à Tunis (plus de 14 milliards de dollars), censé accueillir un demi-million de personnes dans une cinquantaine de tours. Seule banque islamique à détenir une licence en Tunisie, Beit Et-Tamweel Al-Tunisi Al-Saudi, filiale du saoudien Albaraka est réservée aux institutionnels locaux, ainsi qu’aux gros investisseurs, et inaccessible au simple citoyen. L’Algérie fait figure d’exception, avec deux banques islamiques, dont Al Baraka Algérie, qui tente de développer sa niche du crédit à la consommation. Al Salam Bank (EAU), qui a obtenu son agrément sera la deuxième banque islamique, avec un capital d’environ 100 millions de dollars et la présence dans son tour de table du promoteur immobilier Emaar. D’autres institutions islamiques investissent sans licence bancaire dans des projets touristiques et immobiliers, à l’image de la bahreïnie Gulf Finance House. Mais la réticence générale du Maghreb à la finance islamique handicape le déploiement dans la région d’un grand nombre de banques du Golfe. « Ces établissements accompagnent surtout le courant d’affaires de leur pays et ne traitent pas un volume très important d’activité. Les démarrages sont lents avec beaucoup d’effets d’annonce », affirme un diplomate basé à Alger. « Les investisseurs du Golfe ont l’œil plutôt tourné vers l’Asie et se méfient des marchés peu liquides du Maghreb, et moins stables en termes de réglementation », conclut un banquier basé à Dubaï. 

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