À la recherche 
de champions nationaux

Alors que le marché local sera ouvert à la libre concurrence à partir de 2009, les établissements tunisiens doivent accélérer leur modernisation pour faire face à l’arrivée des banques étrangères et s’internationaliser à leur tour.

Publié le 18 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Se regrouper ou perdre leur indépendance. C’est, en résumé, le défi qui attend les banques tunisiennes dans les années, voire les mois à venir. Trop petites pour sortir véritablement de leurs frontières, il leur faut changer de dimension. Et rapidement. À la fois pour faire face, sur leur territoire, à l’arrivée de concurrents étrangers qui frapperont aux portes du pays, mais aussi pour disposer de la puissance de frappe suffisante pour partir à la conquête de nouveaux marchés, principalement en Afrique. Une évolution qui s’inspire de la stratégie marocaine mise en œuvre par les groupes BMCE Bank et Attijariwafa sur le continent depuis plusieurs années. La mutation ne doit plus attendre. Surtout si la Tunisie persévère dans son ambition de devenir une place financière régionale. Car le compte à rebours a déjà commencé. Dans sa volonté de créer une zone de libre-échange avec l’Union européenne, la Tunisie a instauré la libre circulation des biens industriels depuis le 1er janvier 2008. Une première étape. Si les services, notamment bancaires, ne sont pas encore concernés, les négociations sur le sujet sont lancées. Et si elles se déroulent comme prévu, la libre concurrence des services bancaires pourrait être effective dès 2009 ou, au plus tard, en 2011, qui est, par ailleurs, la date butoir pour la mise en œuvre de la convertibilité totale du dinar.â©Les échéances sont claires. Les réformes à mener pour y parvenir aussi. Elles devront corriger ou effacer les paramètres qui alimentent ce que l’on peut appeler le « paradoxe tunisien ». Depuis une vingtaine d’années, en effet, le secteur bancaire s’y porte bien et connaît une progression de l’activité calquée sur la croissance du PIB du pays, aux alentours de 5 % par an. Les banques tunisiennes « présentent une marge de progression importante par comparaison avec celles de pays émergents similaires », considère Greg Run, du cabinet international Oliver Wyman, qui regroupe 2 500 consultants dans le monde. Une analyse confirmée par la société tunisienne Maxula Bourse dans une étude publiée à la fin du mois d’avril 2008.  Ces deux regards soulignent le dynamisme du secteur, en pleine mutation, et qui repose aujourd’hui, outre la Banque centrale, sur dix-huit banques universelles, deux banques d’investissements, deux d’affaires et huit offshore. Lancée il y a plus de dix-sept ans, la réforme du système bancaire commence à porter ses fruits. Mais, malgré tout, des interrogations demeurent quant à l’avenir. Éparpillé, le secteur doit jouer la carte de la concentration s’il ne veut pas être atomisé par ses concurrents. « Nous estimons que l’issue logique sera de s’orienter vers un processus de regroupement et de fusion, non pas pour générer des gains de rentabilité et des économies d’échelle, mais plutôt pour se doter d’un poids permettant l’accès à des marchés africains à forte croissance, à l’instar de l’expérience marocaine », insiste l’étude de Maxula Bourse. Et d’enfoncer le clou : « Le secteur bancaire tunisien se trouve être l’un des meilleurs au niveau régional, nord-africain et maghrébin. Il présente, toutefois, un certain retard : les restructurations au Maroc ont été engagées bien avant. ». Si le dynamisme des banques en Tunisie est reconnu, elles devront accélérer le mouvement des réformes pour suivre les traces de leurs consœurs marocaines en Afrique subsaharienne. Le système bancaire qu’elles constituent doit précisément éliminer les principales faiblesses qui handicapent ses fondamentaux (créances classées, provisionnement…). Bien que les indicateurs affichent des améliorations notables, ils demeurent en deçà des standards internationaux. « La qualité des créances bancaires est désormais un problème structurel. Les banques tunisiennes sont caractérisées par une inadéquation entre la nature des créances et le provisionnement effectué », lance sans détour l’étude de Maxula Bourse. Une gestion peu rassurante et efficace du risque, ce commentaire est partagé à la fois par la Banque mondiale, le FMI et l’agence de notation financière Fitch Ratings. Dans une étude publiée en avril 2008, cette dernière relève : « La gestion des risques demeure un des points faibles des banques tunisiennes, même si elles poursuivent, à l’instigation des autorités de tutelle, leurs efforts pour être en mesure d’appliquer l’accord de Bâle II à l’horizon 2010. ». Avec le FMI, Fitch Ratings considère que les banques tunisiennes ne sont pas suffisamment provisionnées. Arrivée sur le terrain en mai 2008, une délégation de la Banque mondiale parvenait au même constat. Tout en félicitant les autorités pour les efforts déployés, notamment pour l’intégration des technologies de l’information, elle les a exhortées à accélérer les réformes des banques afin d’améliorer leur positionnement sur un marché exigu et leur permettre de jouer la carte de la « régionalisation » dans quelques années. L’institution a notamment insisté sur le volume important des créances classées et la mauvaise qualité des actifs, comme étant toujours le talon d’Achille des établissements bancaires tunisiens. Et pourtant, ceux-ci multiplient les efforts pour combler cette importante lacune, unanimement relevée par les observateurs internationaux. Selon les derniers chiffres fournis par la Banque centrale (BCT), le taux de créances classées par rapport aux engagements est passé de 20,9 % en 2005 à 19,2 % en 2006 et à 17,3 % en 2007. Avec un taux de créances classées de 7 % en 2007, la Banque de Tunisie dispose de la meilleure qualité d’actifs, suivie par la Banque de l’habitat (14 %). Les privées ont également amélioré leur situation en matière de recouvrement des ­crédits non performants. Le taux d’actif accroché a nettement diminué, passant de 20 % en 2005 à 18,7 % en 2006. Pour ne pas baisser la garde, la BCT a fixé l’objectif d’un taux de seuil maximal de 15 % en 2009 et de 12 % à l’horizon 2011. En matière de provisionnement, les créances classées sont couvertes à hauteur de 50 %, un taux en amélioration de 2,5 % en deux ans. Ce ratio a connu une progression de 14,15 % entre 2003 et 2006, ce qui confirme l’ampleur et l’intérêt de la profession pour assainir et consolider son assise financière afin de se conformer aux standards internationaux. L’effort se poursuivra puisque les autorités monétaires ont fixé l’objectif de porter le taux de provisionnement à 70 % en 2009. Ces efforts, ajoutés à ceux effectués pour moderniser les systèmes d’information et étendre les réseaux d’agences, ne sont pas indolores, et pèsent, forcément, sur la rentabilité des établissements. Mais c’est le prix à payer pour poursuivre la modernisation du secteur. « Le développement de la rentabilité des banques est tributaire de leur potentiel de croissance », rappelle Maxula Bourse. Or, celui du marché tunisien est considéré comme « modeste » par le cabinet. Sa préconisation : « Dans une telle situation, le développement logique consiste en une rationalisation du nombre et de la taille des institutions bancaires à travers, notamment, des opérations de fusion. Elles doteront les banques tunisiennes de la taille et du poids nécessaires à l’accès aux marchés à fort potentiel de croissance, Libye et Afrique subsaharienne, et à pouvoir concurrencer les établissements qui comptent s’y introduire. » Est-ce la crainte d’être une proie plutôt qu’un chasseur ? En tout cas, l’annonce de futures fusions ou privatisations plombe le climat tunisien. Un certain flottement est perceptible avec un jeu de chaises musicales inhabituel à la tête des établissements depuis la mi-avril 2008. Dénonçant, à la fin du mois de mai, « le manque d’ambition et de vision stratégique » des banques tunisiennes, le rapport de la Consultation nationale sur l’emploi, qui a insisté sur l’obligation du regroupement de « certaines banques », n’a pas calmé le jeu. Jamais la pression n’a été aussi forte pour entreprendre une phase de consolidation du secteur bancaire tunisien, avec l’objectif de transformer en deux ou trois champions nationaux la vingtaine d’établissements que compte aujourd’hui le pays. 

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