Bonne gouvernance et performance des entreprises
Pr Paul-Valentin Ngobo, responsable du master recherche en sciences de gestion, faculté de droit, économie et gestion de l’université d’Angers (France). Dr Maurice Fouda, Essec de Douala (Cameroun), chercheur au Laboratoire angevin de recherche en gestion des organisations (Largo) de l’université d’Angers (France).
Existe-t-il un lien entre la bonne gouvernance des États et la performance faites par des institutions internationales de premier plan comme la Banque mondiale, le FMI, les Nations unies ou encore l’Union européenne s’accordent sur ce point : la qualité des institutions et de la gouvernance (gestion des affaires publiques et privées) est un enjeu majeur pour le développement. En d’autres termes, ces organismes militent pour la création de « bonnes » institutions et pour le bon fonctionnement de celles qui sont en place. Pour vérifier que ces conditions nécessaires à la croissance économique sont réunies, on assiste à une multiplication des bases de données qui classent les pays selon leurs qualités institutionnelles, tel l’Indice de perception de la corruption, publié chaque année par l’ONG Transparency International, ou sur leurs performances en matière de gestion des affaires publiques et de facilitation du climat des affaires, dans le cas du rapport Doing Business de la Banque mondiale. Le dernier en date, le Ibrahim Index for African Governance, traitant de l’Afrique subsaharienne et associé à un prix de 5 millions de dollars, a ajouté à l’intérêt médiatique international pour ces questions, sans prendre en compte leurs limites méthodologiques et les paradoxes observés. En dépit de l’importance croissante de ces indicateurs dans les sphères décisionnelles internationales ou régionales, peu d’études se sont penchées sur leur pertinence. Pas plus qu’a été démontré qu’une bonne gouvernance, en définissant un cadre transparent pour la conduite des affaires publiques et en favorisant des politiques axées sur le marché, la justice, l’État de droit et le respect des droits civiques, serait source de croissance économique. Cette absence d’analyses explique sans doute les interrogations de nombreux Africains, qui reprochent aux instances internationales d’imposer à l’Afrique des impératifs de bonne gouvernance sans tenir compte des spécificités historiques et culturelles des pays qui la composent. Certains dirigeants s’interrogent même sur les méthodologies employées, donc sur le contenu, voire l’objectivité, des indicateurs eux-mêmes.
Autant de remarques qui ont conduit les chercheurs que nous sommes à confronter ces classements internationaux avec les performances économiques observées sur le continent. Dans une étude conjointe*, nous nous sommes intéressés aux effets de la bonne gouvernance sur le chiffre d’affaires des entreprises africaines. Car si, comme tout le monde semble l’admettre, la bonne gouvernance est réellement importante pour la croissance économique, son influence sur les entreprises doit pouvoir être observée. Inversement, un mauvais climat institutionnel dans un pays doit affecter les entreprises qui y évoluent. Sachant évidemment que la performance d’une entreprise ne s’explique pas uniquement par la qualité de ses ressources et de ses compétences, mais aussi par les spécificités de son secteur et, surtout, du contexte concurrentiel dans lequel elle évolue. L’étude a été conduite sur trois bases de données : le classement des 500 plus grandes entreprises africaines, publié par Jeune Afrique, et deux classements des pays selon la qualité de la gouvernance, le Worldwide Governance Index (WGI) de la Banque mondiale et le classement de perception de la corruption de Transparency International. Les différentes sources ont été reliées entre elles en prenant en compte la périodicité des données.
Concernant les entreprises, nous avons utilisé la variation du chiffre d’affaires (déclaré) d’une période à une autre comme mesure de la performance. Nous avons traité les données d’entreprises publiées entre 2002 et 2005, pour 24 pays, ce qui conduit à 1 484 observations. Voici les principales conclusions de cette étude. 1. Les classements internationaux sur la gouvernance se révèlent fiables lorsqu’ils sont analysés du point de vue des entreprises africaines : les différences de performance entre les entreprises en Afrique s’expliquent aussi par des différences au niveau de la qualité institutionnelle des pays dans lesquels elles évoluent. 2. Un gouvernement peut améliorer l’économie nationale en renforçant les déterminants institutionnels de la performance des entreprises. Nous observons qu’en moyenne l’État de droit (qualité du pouvoir judiciaire), la stabilité politique, la qualité des mesures en faveur des entreprises et la responsabilité publique des gouvernants sont des facteurs qui contribuent à la croissance des entreprises. Cela se comprend aisément du point de vue des investisseurs : lorsqu’ils ont le sentiment que leur investissement sera protégé, ils sont plus enclins à placer, voire risquer, leurs ressources puisqu’il est assuré qu’une partie des bénéfices leur reviendra. 3. L’efficacité gouvernementale affecte la performance des entreprises. Mais pas toujours dans le sens souhaité par les organisations internationales : dans un pays qui perd en efficacité gouvernementale, les entreprises voient leur chiffre d’affaires augmenter. Par efficacité gouvernementale, si l’on admet que le WGI la reflète, il faut entendre la qualité du service public, la compétence des fonctionnaires et leur indépendance. Son amélioration se traduit donc par des efforts en matière de réduction de la corruption, par une dépolitisation de l’allocation des ressources et par une plus grande rigueur budgétaire. Or, lorsque l’efficacité gouvernementale baisse, on note que l’activité des entreprises du pays concerné progresse, qu’elles en « profitent ». Il y a donc lieu de s’interroger sur cet indicateur ou sur la manière de l’interpréter : existe-t-il un seuil au-delà duquel l’efficacité gouvernementale devient néfaste ? Ne faudrait-il pas pondérer les critères qui la composent ? 4. Toutes les entreprises ne réagissent pas de la même manière à des améliorations ou à des régressions institutionnelles. Ainsi, une amélioration d’un point sur l’échelle de Transparency International n’a pas les mêmes conséquences sur les entreprises du Mali ou sur celles du Cameroun. Il y a des différences entre les pays, il y a donc des différences entre les entreprises qui y interviennent. Il paraît donc inapproprié de généraliser l’importance de la « bonne » gouvernance, ses conséquences dépendant du pays et du type d’entreprise. Dès lors, toute comparaison directe, sans tenir compte de nombreux facteurs modérateurs, est peu pertinente. Toutes les entreprises ne réagissant pas de la même manière, il est important de procéder à des applications qui tiennent compte des caractéristiques des différents secteurs. Par exemple, nous avons observé que l’amélioration de l’efficacité gouvernementale a plus d’effets bénéfiques dans des secteurs concentrés ou peu concurrentiels. Mais aussi que, si l’efficacité gouvernementale baisse, les entreprises de ces mêmes secteurs en profitent. De manière générale, les entreprises actives dans des secteurs peu concurrentiels bénéficient de l’augmentation de la corruption. À l’heure où la bonne gouvernance fait l’objet de louanges et de critiques de toutes sortes, il nous paraissait important de montrer dans quelle mesure elle peut jouer un rôle dans le développement des entreprises en Afrique. Nos analyses ont permis d’observer l’existence d’un lien entre la bonne gouvernance et la performance des 500 plus grandes entreprises africaines du baromètre de Jeune Afrique. Ce lien n’est pas toujours aussi évident – et positif – que semblent le croire les institutions internationales. Si nous partageons leur postulat, que des réformes institutionnelles bien menées, ayant à l’esprit le développement de la libre entreprise, peuvent apporter croissance et développement à l’Afrique, nous ajoutons qu’elles doivent aussi prendre en compte les valeurs africaines.
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