Transcorp, une recette venue d’Asie

En favorisant l’émergence de grands conglomérats industriels et financiers, le pays le plus peuplé du continent tente de ramener à lui les investisseurs nationaux qui l’ont fui il y a dix ans.

Publié le 5 novembre 2008 Lecture : 4 minutes.

L’Afrique sera-t-elle le dragon du nouveau millénaire ? La question se pose depuis que leur fulgurant développement a amené les pays d’Asie du Sud-Est sur le devant de la scène économique internationale, il y a une trentaine d’années. Le modèle asiatique est-il transposable en Afrique ? Certains le pensent, notamment au Nigeria, qui tentent de reproduire l’exemple sud-coréen en créant de véritables chaebols, ces conglomérats industriels et commerciaux à l’image de Hyundai, Samsung, LG ou Daewoo. Le fonctionnement de ces géants repose en partie sur l’effet de masse, qui leur permet de s’endetter ou d’investir à de meilleures conditions. Au fil du temps, les chaebols ont en outre démontré une forte capacité d’adaptation industrielle et commerciale : « Ils ont su réaliser des économies d’échelle à tous les niveaux. Par exemple, les méthodes de marketing ayant fait leurs preuves dans une des filiales de Hyundai ont ensuite été adoptées par toutes les autres branches », explique Robert Wade, professeur en économie politique et du développement à la London School of Economics. Le pays le plus peuplé d’Afrique s’apprête donc à créer des champions nationaux capables de prendre place dans la compétition mondiale. Ils devront aussi satisfaire le vaste marché local : l’an dernier, les importations du Nigeria en provenance des États-Unis, d’Europe et d’Asie ont atteint 150 milliards de dollars. Ainsi est né, en novembre 2004, le premier de ces futurs mastodontes, Transnational Corporation of Nigeria, surnommé Transcorp. Véritable répertoire des grands industriels et financiers du pays, la liste des dirigeants confirme à elle seule l’objectif visé. Outre la présidente, Ndi Okereke-Onyiuke, par ailleurs directrice générale du Nigerian Stock Exchange (NSE, la Bourse de Lagos), on y retrouve les PDG ou DG de groupes aussi prestigieux que Nigerian Breweries, Dangote Group (agroalimentaire et ciment), Zenon Petroleum, Zenith Bank, First Bank, United Bank for Africa ou encore The Charterhouse Group, spécialiste du capital-risque. Ce nouvel ensemble s’est créé avec la bénédiction du président Obasanjo, dont la presse a découvert ensuite qu’il détenait des actions de Transcorp. Comme les chaebols, Transcorp a bénéficié dès le départ de l’appui des pouvoirs publics. À peine constitué, le groupe se voyait attribuer trois concessions d’exploitation : celle de la zone franche industrielle en cours d’établissement au port de Lekki, à Lagos, et celles d’une centrale électrique et d’une usine de transformation de manioc. Transcorp a également reçu l’autorisation de construire et d’exploiter une raffinerie de pétrole. Un cadeau plutôt conséquent dans un pays qui manque cruellement de carburant. En novembre 2005, Transcorp procédait à sa première acquisition et prenait le contrôle de l’hôtel Hilton d’Abuja, désormais nommé Transcorp Hilton. En juillet 2006, à la surprise générale, le groupe se portait acquéreur de 75 % du capital de Nitel, l’opérateur de télécommunications historique du Nigeria. À 750 millions de dollars, avec pour partenaire technique British Telecom, l’offre était alléchante. D’autant que la privatisation de Nitel avait déjà échoué à quatre reprises depuis 2001, les autorités ayant jugé que les montants proposés étaient insuffisants. Ainsi en 2006, elles ont repoussé une offre de l’égyptien Orascom, à 256 millions de dollars. Depuis, l’enthousiasme pour le chaebol nigérian est quelque peu retombé. Incapable de réunir les 750 millions de dollars promis, Transcorp n’a finalement acquis que 51 % de Nitel. De quoi inquiéter British Telecom, qui a préféré se retirer de l’opération… Le nouveau président nigérian, Umar Yar’Adua, a bloqué plusieurs opérations autorisées par Olusegun Obasanjo, dont la construction de la raffinerie de pétrole. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, le cours de l’action, après avoir atteint un plus haut à 9,7 nairas (0,80 dollar), a considérablement baissé depuis le début de l’année, pour chuter à 4,41 nairas en septembre 2007. Selon Datatrust Stock Trading Guide, société d’analyse boursière, Transcorp devait, de toute façon, perdre de l’argent en 2007 et 2008. Et commencer à faire des profits en 2009. Scénario classique. Nommé en mai 2007, le nouveau PDG, Tom Iseghohi, annonçait toute une série de mesures visant à remettre de l’ordre dans la maison Transcorp. Connu pour redresser les situations les plus difficiles, cet ancien de Ford, Pepsi-Cola et American Express s’est alors donné pour priorité de remettre Nitel sur les rails. L’opérateur historique du Nigeria signait ainsi un accord avec Cisco et Dimension Data, deux multinationales de télécoms, en vue d’améliorer ses capacités techniques, ainsi qu’avec Cable & Wireless pour la fourniture d’équipements. À terme, Nitel pouvait bénéficier de la remise en service du réseau national de fibres optiques et de la connexion au câble sous-marin international Sat-3, qui relie l’Afrique à l’Europe. MTel, la filiale mobile de Nitel, concluait également un accord avec Ericsson. Dans ce pays où le marché de la téléphonie fixe est encore peu développé, MTel aurait dû devenir une véritable poule aux œufs d’or. Les trois autres opérateurs se partagent un gâteau de près de 40 millions d’abonnés. Iseghohi comptait financer le redressement de Nitel et de sa filiale MTel grâce à une émission d’obligations dont il attendait 100 milliards de nairas. Il n’a obtenu que 55 milliards. Le PDG avait également des vues sur un immeuble de prestige, les anciens locaux du gouvernement de Lagos, dans le quartier huppé d’Ikoyi. La vente a été bloquée par les autorités. Iseghohi, qui semblait disposer des atouts nécessaires pour emporter son pari, a finalement décidé, le 25 octobre, de mettre fin aux activités de Nitel et de MTel, dans l’attente de nouveaux partenaires financiers. À sa nomination, il a révélé que deux importants groupes américains souhaitaient acheter Transcorp ou fusionner avec elle. Le chaebol nigérian a refusé. Espérons qu’il n’aura pas à le regretter.

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