Le caoutchouc rebondit

En 1999, Sifca abandonne le cacao et rachète la Société internationale de plantations d’hévéas. En cinq ans, alors que les cours du caoutchouc s’envolent, son chiffre d’affaires et ses bénéfices explosent.

Publié le 5 novembre 2008 Lecture : 7 minutes.

« Rétrospectivement, je peux affirmer que c’est la plus belle histoire boursière que nous ayons connue ces dernières années. » Pour ce professionnel des marchés financiers, comme pour beaucoup d’autres, la Société internationale de plantations d’hévéas (SIPH) est une authentique success story. Après avoir longtemps sommeillé autour des 5 euros, après être tombé à 2,5 euros au premier semestre 2003, le cours de l’action SIPH à la Bourse de Paris s’est envolé. Depuis, la croissance ne s’est pas démentie. Valorisée à 485 euros, l’action SIPH cote aujourd’hui cent fois sa valeur moyenne des années 1990. Et ce n’est sans doute pas fini, à en croire le conseil en Bourse Charles-Louis Planade, analyste chez Arkeon Finance, qui estime que l’action pourrait grimper jusqu’à 600 euros : « Le caoutchouc est, comme beaucoup d’autres matières premières, soumis à la demande croissante des économies émergentes. La production, concentrée dans les zones équatoriales asiatiques, ne pourra bientôt plus assouvir la demande si les terres chaudes d’Afrique ne lui viennent pas en aide.â¨La SIPH profite fortement de ce contexte », explique-t-il pour justifier son optimisme, soulignant au passage le dynamisme et la forte rentabilité du groupe. Il est vrai que le taux de croissance annuel moyen sur la période 2004-2006 s’élève à 43 % et que la marge opérationnelle courante a atteint 30 % en 2006. La SIPH « surfe » donc sur l’envolée des cours du caoutchouc, à l’instar des sociétés pétrolières dont les profits suivent la courbe du prix du brent. D’ailleurs, le décollage de l’action SIPH suit assez fidèlement celui des cours du caoutchouc à partir de 2002. Si aujourd’hui l’horizon de la SIPH est plutôt bien dégagé, il n’en a pas toujours été ainsi. Son histoire est même assez tumultueuse. Cette ex-filiale d’Indosuez a longtemps eu pour mission de gérer les plantations d’hévéas du groupe dans l’ex-Indochine française. En 1995, Suez cède la SIPH à l’homme d’affaires ivoirien François Bakou, via sa holding Octide. Ce jeune golden boy ivoirien, plus trader qu’industriel, est alors l’homme qui monte à Abidjan. Et pour cause : dans la capitale ivoirienne, nul n’ignore que cet entrepreneur ambitieux, qui emporte les privatisations les plus juteuses du secteur agro-industriel, fait partie de l’écurie du président Henri Konan Bédié. Le successeur d’Houphouët le soutient et le protège discrètement mais efficacement, au point que Bakou passe pour servir de ­prête-nom au chef de l’État, dont il est soupçonné de gérer les affaires personnelles. À peine installé dans son fauteuil de patron de la SIPH, il regarde déjà plus loin et plus haut. En 1999, il s’en déleste au bénéfice de la Sifca, qui reste aujourd’hui encore son actionnaire majoritaire, et de sa filiale ivoirienne, la Société africaine des plantations d’hévéas (SAPH). La Sifca vit alors ses dernières heures de gloire dans le cacao après avoir été le principal « quotataire politique » de la Caisse de stabilisation et de soutien des prix agricoles (Caistab), ce qui lui assurait de disposer chaque année d’une large part de la production ivoirienne de cacao. Les 200 000 tonnes de fèves que lui attribuait chaque année la Caistab en ont fait, durant les années 1970 à 1990, le premier exportateur mondial privé de cacao. Fondée en 1964 par le négociant français Henri Tardivat, « Sifca a été progressivement grignotée de l’intérieur par des capitaux ivoiriens, au terme d’un jeu complexe d’actionnariat croisé et de manœuvres politiques. En 1992, elle passe ainsi entièrement sous contrôle local, avec Bédié (qui n’est pas encore président) et quelques ténors politiques comme principaux actionnaires », écrivait en 2003 Bruno Losch, économiste au Cirad dans Critique internationale, revue universitaire éditée par l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po). Alors qu’en 1999 Sifca était devenu l’un des groupes agro-industriels les plus puissants d’Afrique, il est soudain contraint de se défaire de ses intérêts dans le cacao au profit du puissant groupe de négoce américain ADM, qui guettait cette proie fort désirable. « Tant que Bédié, en tant qu’actionnaire, et la Caistab servaient de caution sur les marchés internationaux, tout allait bien. Mais avec la disparition de la Caisse et, surtout, avec le coup d’État [NDLR : perpétré par le général Robert Gueï] de décembre 1999, Sifca perd ses appuis structurels », analyse Bruno Losch. La chute est dure : de 510 milliards de F CFA en 1999, son chiffre d’affaires se trouve ramené à 110 milliards en 2002. La SIPH offre alors à Sifca l’occasion de rebondir en se positionnant sur le marché de l’hévéa. À l’époque, pourtant, celui-ci n’est pas aussi brillant qu’aujourd’hui. Mais les bonnes nouvelles ne tardent pas à arriver. En 2002, le cours du caoutchouc commence à décoller. Plus rien ne semble pouvoir l’arrêter, influencé par la très forte demande chinoise et l’augmentation des prix des produits synthétiques, dont le prix est quasiment indexé sur celui du pétrole. En quatre ans et demi, le prix du kilo de caoutchouc est multiplié par cinq. De 50 cents au début de 2002, il culmine à 2,35 dollars en juillet 2006. Si, depuis, il s’est stabilisé, tout indique qu’il restera élevé pendant pas mal d’années encore. Entre-temps, la SIPH a ouvert son capital. À un fonds d’investissement, d’abord, qui lui procure de l’argent frais : en 2005, l’AIG-AIFH (African Infrastructure Fund Holding), qui rassemble des investisseurs institutionnels mais aussi la Proparco (filiale de l’Agence française de développement), prend 25 % du capital. En mai 2007, AIG se retire en mettant ses actions sur le marché. Parallèlement, Sifca, qui cherche toujours à faire épauler ses sociétés par de grands groupes internationaux, s’est alliée, en septembre 2006, avec le fabricant de pneumatiques français Michelin. En échange de quatre plantations au Nigeria – regroupées au sein de la société Michelin Development Co. (MDC) –, Michelin entre à hauteur de 20 % dans le capital de la SIPH aux côtés de Sifca (55 %) et du public via la Bourse de Paris (25 %). « Michelin était déjà pour nous un important client avec lequel nous travaillions depuis longtemps. Nous lui vendons pratiquement la moitié de notre production, explique Olivier de Saint Seine, directeur général adjoint de la SIPH. Pour Michelin, conserver des plantations au Nigeria n’avait pas grand intérêt. Pour nous, cette alliance nous a permis d’acquérir de nouvelles plantations et de profiter de l’expertise technique du fabricant. Michelin est un client exigeant, qui connaît bien le caoutchouc et qui fait des recherches poussées sur tous les aspects de la culture, de la saignée et de l’usinage. Il nous aide à faire évoluer le process », précise Olivier de Saint Seine. Face aux perspectives très favorables du marché mondial, l’Afrique a une importante carte à jouer dans cette filière (voir encadré). Et la SIPH, qui produit le quart du caoutchouc africain, se trouve évidemment en première ligne pour participer à cette expansion. Elle a déjà commencé à le faire. Outre les 11 000 ha cédés par Michelin au Nigeria, elle a racheté en 2007, pour 20 millions d’euros, la société ivoirienne Saibe (Société agricole et industrielle de Bettie) et ses 2 800 ha d’hévéas. Auparavant, en 1997, la SIPH avait acquis 12 600 ha au Ghana en prenant 60 % de la Ghana Rubber Estate Ltd. (Grel). « Aujourd’hui, nous recherchons des terrains libres, dans des zones pas trop reculées. Ce n’est pas toujours facile, car beaucoup sont déjà occupés par des planteurs de café, de cacao ou autres. Il faut une superficie minimale de 4 000 ha pour justifier une nouvelle usine. Et puis, créer une plantation de toutes pièces n’est pas chose facile, et demande d’immobiliser des capitaux sur une longue durée puisqu’il faut plus de dix ans avant de faire les premières saignées sur un arbre », tempère Olivier de Saint Seine. La prudence devrait donc conduire à acquérir, en priorité, des plantations existantes. La SIPH suit depuis le début la privatisation de la CDC (Cameroon Development Corporation) et de ses 38 000 hectares de plantations. Mais depuis que le processus a été lancé, en 2001, les choses n’ont guère avancé… Quant au Liberia, deuxième producteur africain de latex après la Côte d’Ivoire, « nous nous y intéressons et nous y avons entrepris des démarches. Mais cela demande du temps… », commente Olivier de Saint Seine. Troisième option pour grandir : les plantations villageoises. « Cela fait longtemps qu’en Côte d’Ivoire nous achetons aux paysans et, aujourd’hui, nous assistons à une véritable explosion des cultures villageoises. Au Ghana, où il n’y avait pas de tradition de culture de l’hévéa, nous avons lancé un vaste programme avec des financements de l’Agence française de développement qui doit permettre de créer 1 000 hectares supplémentaires par an », précise-t-on à la SIPH. Les agriculteurs cultivent l’hévéa en plus de leurs cultures traditionnelles : vivrières et palmier à huile. La récolte du latex a lieu toute l’année et le prix d’achat est fixé chaque mois en fonction du cours mondial. Il est passé de 150 F CFA le kilo en 2000 à 220 F CFA en 2004 et à 350 F CFA en 2006. Tant qu’il restera aussi rémunérateur, les agriculteurs continueront à étendre leurs plantations et la SIPH à voir croître sa production. 

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