Self-made man sahélien

Ce natif de Mopti a bâti l’un des premiers groupes privés du Mali. Sa dernière proie, l’huilerie Huicoma acquise lors de sa privatisation, s’avère difficile à digérer. Un cap à franchir pour l’entrepreneur.

Publié le 5 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Aliou Tomota n’a qu’une vingtaine d’années lorsqu’il remporte ses premiers contrats. Ramettes de papier, cahiers, stylos… La Librairie Papeterie du Soudan (LPS), créée en 1976, vend presque tout à l’État, son unique client, à une époque où le général Moussa Traoré dirige encore le Mali d’une main de fer. Trente ans après, avec plus de 58 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006 (38 milliards de F CFA), le groupe Tomota s’est imposé comme l’un des tout premiers opérateurs privés maliens, et compte environ 2 500 salariés. La présence de ses dix filiales dans les secteurs clefs de l’économie a fait de son PDG un acteur incontournable du capitalisme malien. Pourtant, rien ne prédestinait à une telle réussite ce Bozo, natif de la région de Mopti, qui débuta sa carrière après de courtes études en gestion et en comptabilité. Rien, sauf, peut-être, son culot et son envie de réussir. Dans les années 1980, ce jeune homme pressé surfe sur les besoins croissants du pays et crée Graphique Industrie, qui deviendra la filiale la plus importante du groupe, et ce jusqu’en 2005 (450 salariés). Des tickets de PMU aux cartes grises, en passant par les calendriers ou les emballages de médicaments, l’imprimerie truste tous les gros marchés grâce à l’entregent de son patron et aux équipements ultramodernes qu’elle importe, bien avant ses concurrents. L’année 1991, date de la transition démocratique malienne, marque le premier grand tournant, et voit Aliou Tomota racheter à l’État les Éditions-Imprimeries du Mali (Edim). Il devient alors fournisseur quasi exclusif du ministère de l’Éducation nationale, qui lui commande des dizaines de milliers de cahiers et de livres scolaires. À partir de la fin des années 1990, le groupe se diversifie dans le BTP (EGCC-BAT), le commerce (Socogem), le transport de marchandises (Tata Transport) et les services bureautiques (SCD). En 2004, Tomota réussit sa première implantation à l’étranger en créant Graphique Industrie Niger. L’entreprise génère déjà d’importants revenus et Aliou Tomota est à l’affût d’opportunités d’investissements. C’est alors qu’il réalise son plus gros coup : en 2005, à l’issue d’une privatisation à rebondissements, il rachète 84 % du capital de l’Huilerie cotonnière du Mali (Huicoma) pour 9 milliards de F CFA. Première entité industrielle du pays avec 800 employés, cette ancienne filiale de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) possède trois unités de production au Mali et produit à l’époque plus de 40 000 tonnes d’huile raffinée de coton, 15 000 tonnes de savon et plus 230 000 tonnes d’aliments pour bétail. En 2005, son chiffre d’affaires atteint 18 milliards de F CFA. Bien que criblée de dettes, Huicoma suscite bien des convoitises. Le français Dagris (actionnaire de la CMDT) et la Société Ndiaye frères (SNF) sont aussi sur les rangs. À l’issue de l’appel d’offres, Dagris est largement distancé, avec une offre à 6 milliards de F CFA, alors que celle de SNF n’est supérieure à celle de Tomota que de 20 millions de F CFA. À la surprise générale, SNF, propriétaire d’un réseau de stations-service et fabricant d’aliments pour bétail (Femab), s’avère incapable de débourser la première tranche des 9 milliards de F CFA promis. Il est alors débouté au profit de Tomota. Le match est joué. Mais il ne s’agit là que du premier tour. En fait, l’objectif inavoué du repreneur est de se préparer pour la privatisation du géant CMDT, prévue en 2008. Et de construire un véritable groupe ­agro-industriel intégré. En effet, selon le schéma retenu, la CMDT doit être divisée en plusieurs entités régionales. En rachetant l’une d’elles, Tomota envisage de s’assurer des débouchés grâce à Huicoma, tout en sécurisant l’approvisionnement de cette dernière. Un an après le rachat de Huicoma, le groupe se lance dans une diversification inattendue : l’hôtellerie. En juin 2006, à Bamako, Aliou Tomota signe avec Philippe Colleu, alors directeur Afrique du groupe français Accor, une convention pour la construction et la gestion d’un hôtel Ibis à Bamako, dans le nouveau quartier de l’ACI 2000. Implanté sur un terrain de 7 000 m2 appartenant au groupe malien, cet établissement de 124 chambres nécessite un investissement total de 4 milliards de F CFA, financé à 60 % par le groupe malien et à 40 % par Accor, avec la création de 80 emplois directs à la clef. Mais, alors que l’ouverture était programmée pour la fin 2007, les travaux n’ont toujours pas démarré. Enjeu : l’attribution du marché de la construction. Tomota fait le forcing pour que sa filiale spécialisée dans le bâtiment soit le principal maître d’œuvre du projet, alors qu’Accor comptait bien s’appuyer sur ses partenaires habituels. Après d’âpres négociations, la visite à Bamako d’une équipe du groupe hôtelier, en novembre 2007, aurait permis de régler le différend. « Contrairement à des rumeurs évoquant l’arrêt pur et simple du projet, les travaux devraient démarrer au plus tard en janvier 2008 », confirme un proche du dossier. Confronté à ce qui ne serait qu’un simple contretemps, le groupe souhaite rester fidèle au principe qui a fait son succès jusqu’ici : l’intégration des différentes filiales, qui travaillent les unes avec les autres, ce qui permet d’optimiser les flux de cash-flow. Par ailleurs, l’entrepreneur, qui fait preuve d’un réel sens de l’opportunité, a su s’appuyer sur des partenaires financiers tels que la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale en charge du secteur privé, ou encore sur l’Agence française de développement (AFD), qui lui ont apporté leur concours pour son développement. Pourtant, début 2006, plus de 6 milliards de F CFA partent en fumée après un incendie dans un entrepôt d’Edim, suivi, quelques semaines plus tard, d’un second sinistre au marché de N’Golonina, qui détruit un stock de matériel de bureau. Simple court-circuit ou acte criminel ? Quoi qu’il en soit, ces événements interviennent alors que le groupe est confronté au difficile redressement de Huicoma (lire l’encadré) et à la grogne des salariés, bousculés dans leurs habitudes et mécontents du plan social qui leur est proposé. Déficitaire à cause du manque de matière première, handicapé par les mouvements sociaux à répétition alors que d’importants investissements ont été réalisés, Huicoma contribue négativement aux résultats du groupe, qui présente en 2006 une perte cumulée de 780 millions de F CFA. Deux ans après, le semi-échec de la reprise de Huicoma a quelque peu terni l’image du groupe. Cet épisode illustre les difficultés d’une entreprise habituée à vivre des marchés publics à se muer en un véritable groupe multisectoriel et industriel. L’heure est à la consolidation. Aliou Tomota cherche désormais à s’entourer de managers capables de l’aider à finaliser le redressement de Huicoma et de renforcer les nouvelles entités du groupe pour le développer ensuite dans d’autres pays de la sous-région. Au passage, il n’hésite pas à élargir son périmètre, comme l’atteste sa prise de participation dans la société Assistance aéroportuaire du Mali (ASAM), privatisée début 2007, ou encore le lancement du projet de développement de la filière karité de Huicoma, avec la création de plusieurs gammes de produits cosmétiques destinés à l’export vers la France et au marché domestique. Autrement dit, 2008 sera une année charnière, l’année où il faudra impérativement mettre de l’huile dans les rouages du groupe. Et peut-être en faire une belle mécanique industrielle. 

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