Le miracle peut-il durer ?
L’incontestable réussite de la filiale de France Télécom en Afrique de l’Ouest est-elle menacée ? Le manque de perspectives de croissance externe et la montée de la concurrence pourraient fragiliser sa progression.
Dix ans après sa privatisation, la société sénégalaise de télécommunications Sonatel vit sur un petit nuage : doublement du nombre d’abonnés, passés de 1,05 million en 2005 à 2,1 millions un an plus tard, rentabilité record, succès à l’étranger… Après l’avoir frôlé en 2007, c’est en 2008 que, logiquement, la Sonatel devrait franchir le seuil du milliard de dollars de revenus. Le groupe sénégalais est devenu depuis plusieurs années une véritable « machine à cash », avec des niveaux de rentabilité à faire pâlir d’envie les groupes internationaux : un résultat opérationnel de près de 45 % du chiffre d’affaires et un résultat net qui atteint 30 % des ventes. À l’échelle mondiale, c’est un cas sans doute unique, dans un secteur où le résultat net représente généralement moins de 20 % du chiffre d’affaires. À l’échelle africaine, un continent particulièrement rentable pour les sociétés de téléphonie, le constat reste le même : dans un monde émergent où les bénéfices affluent, la Sonatel continue à dépasser ses concurrents. Seul Maroc Télécom parvient à afficher des performances financières proches de celles de la société sénégalaise. Selon les statistiques du cabinet de recherche Exotix, MTN et Orascom Télécom affichaient en 2006 une marge opérationnelle inférieure de 14 points de pourcentage à celle de la Sonatel. Safaricom, le géant kenyan, se plaçait 7,5 points derrière l’opérateur sénégalais. Bijou financier, Sonatel est adulée par le seul marché financier où le groupe est coté : la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), basée à Abidjan. Après y avoir, comme beaucoup d’autres valeurs, un peu végété, elle y fait désormais la pluie et le beau temps, représentant, avec 3,3 milliards de dollars de capitalisation, près de la moitié de la capitalisation totale du marché de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine). Depuis 2004, son cours s’y est envolé, multiplié par cinq en moins de trois ans… Comment expliquer un tel envol ? Le premier constat est sans surprise : la croissance de la Sonatel est essentiellement portée par la progression de l’activité mobile. Au cours du premier semestre 2007, la part de la téléphonie mobile dans les revenus du groupe s’est élevée à 62 %, contre 53 % un an plus tôt. Surtout, sur la même période, elle a représenté plus des trois quarts du résultat d’exploitation ! Second constat : la Sonatel, qui affiche une part de marché de 76 % au Sénégal, tire également sa croissance de son développement international. Les implantations au Mali (ex-Ikatel) ont été rentabilisées en un an à peine. Au premier semestre 2007, Orange Mali a crû plus vite que la partie sénégalaise et a apporté au groupe plus d’un quart de ses revenus. Sa part de marché dans le pays frôle aujourd’hui le seuil de 70 %. L’obtention de licences en Guinée et en Guinée-Bissau, qui implique des investissements d’une cinquantaine de millions d’euros en tout, devrait permettre au groupe de dégager de nouvelles sources de revenus dès l’année prochaine. « Sonatel espère répéter en Guinée ce que le groupe a fait au Mali, où les frais fixes ont été couverts en une seule année d’activité », souligne Julien Veron, analyste chez Investec. Pour Marc Rennard, président de Sonatel et directeur exécutif international Afrique, Moyen-Orient et Asie chez Orange-France Télécom, le succès de la société sénégalaise s’explique par trois raisons : « La qualité du management et sa stabilité dans le temps ainsi que l’implication du personnel ; la bonne entente entre l’État et France Télécom, qui a permis à Sonatel d’avoir accès à l’ensemble des innovations du groupe France Télécom ; enfin, un environnement économique favorable. » Reste une question incontournable lorsqu’une société affiche de tels résultats financiers : le client ne paie-t-il pas trop cher ? Sur ce sujet, les points de vue s’opposent. Christopher Hartland-Peel, analyste chez Exotix, botte en touche : « Je ne crois pas que ce soit le manque de concurrence qui rende Sonatel aussi rentable. La société a une bonne maîtrise des coûts et a régulièrement réduit les tarifs des télécommunications depuis plusieurs années. » De fait, la société fait des efforts : en 2006, les frais de mise en service en prépayé (98,6 % de la clientèle Sonatel) ont baissé de 64 %, tandis que la société réduisait d’un tiers, en moyenne, les tarifs des appels vers les fixes. Au final, ses prix semblent en ligne avec ce qui se fait dans d’autres pays subsahariens et sont même inférieurs à ceux affichés par une autre société du groupe France Télécom, Orange Côte d’Ivoire. Il n’empêche : face aux critiques, la Sonatel réplique en mettant en avant sa contribution à l’économie nationale. En 2006, selon le groupe, ce dernier aurait contribué à hauteur de 11 % à la croissance du PIB sénégalais et apporté à l’État 11,8 % de ses recettes fiscales. Sonatel n’a nullement ménagé ses efforts en matière d’investissements dans les réseaux, dans le matériel ou les systèmes d’information. Ceux-ci se montent en 2006 à 170 millions d’euros. « Depuis deux ans, nous investissons chaque année l’équivalent du résultat net de l’année précédente », explique Marc Rennard. Comme la plupart des opérateurs, la Sonatel s’est également engagée depuis quelques années dans des œuvres culturelles et sociales, via sa fondation créée en 2002, afin de soigner son image et de faire taire ceux qui, parfois, dénoncent l’ampleur des marges réalisées par les opérateurs. Ainsi, en 2005, la société a financé l’achat d’un IRM pour l’hôpital de Dakar et de plusieurs scanners pour d’autres villes du Sénégal. En 2006, elle a aidé à la création à Dakar d’un oratorio, le Requiem noir, avec 150 choristes sénégalais et un ensemble vocal français, dans le cadre du centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor. Orange Mali est quant à lui partenaire du célèbre Festival au désert d’Essakane, qui rassemble en janvier les musiques de tous les peuples touaregs, près de Tombouctou. Plus largement, le groupe s’implique dans des actions de lutte contre l’illettrisme ou contre la déficience visuelle. La success story de la Sonatel semble donc exemplaire. Mais l’avenir sera-t-il aussi radieux ? La plus proche menace paraît être la montée de la concurrence sur un marché bientôt saturé : « Le groupe semble sur la défensive au Sénégal, explique un gérant. Au rythme actuel, le taux de pénétration devrait atteindre 60 % dès 2010, ce qui pourrait être son maximum vu le niveau de développement du pays. Sonatel en pâtira d’autant plus que, d’ici là, la concurrence va se faire plus rude, avec la mise en activité de la troisième licence. » Marc Rennard réplique : « On nous expliquait, il y a trois ans, qu’un taux de pénétration de 40 % n’était pas atteignable. Pourtant, nous l’avons atteint aujourd’hui. Certes, quand on évoque un taux de 70 %, j’ai aujourd’hui la même réaction de prudence. Mais j’espère me tromper. » Pour Devine Kofiloto, analyste principal au cabinet londonien Informa Telecoms et Media, Sonatel semble bien résister : « Depuis l’entrée de Sentel-Tigo sur le marché sénégalais, la Sonatel s’est plutôt bien comportée. À la fin de 2006, elle détenait une part de marché de 70 %. En septembre 2007, elle atteignait 71 %.» En attendant, Sudatel a obtenu en septembre la troisième licence de téléphonie mobile du pays. Opérationnel en mars 2008, ce nouvel acteur devrait être concurrentiel un an plus tard… La Sonatel doit donc chercher de nouvelles sources de croissance dans les développements à l’international. Mais la Guinée ou la Guinée-Bissau restant de petits marchés, cela sera-t-il suffisant ? De plus, comme nous l’a confirmé France Télécom, la Sonatel n’a pas vocation à étendre sa présence au-delà des pays limitrophes… Déjà, l’exceptionnelle santé de la Sonatel a marqué un net ralentissement au premier semestre 2007. « La qualité des résultats n’est pas là, explique Julien Veron. Le dynamisme du chiffre d’affaires est bon, mais la Sonatel multiplie les coûts qui affectent sa rentabilité. » Si le groupe affiche un résultat d’exploitation en hausse, c’est avant tout grâce à un tour de passe-passe : une reprise de provision équivalant à près de 10 % du chiffre d’affaires, autorisée par l’État. Sans cette reprise, l’analyste d’Investec estime que le résultat d’exploitation du groupe ne progresserait en réalité que de 3 % seulement. Dernier trouble possible : le durcissement des relations avec l’État qui, jusqu’à présent, ont été, selon Marc Rennard, favorisées par une bonne entente. Seulement, au premier semestre 2007, l’Agence de régulation a mis à l’amende la Sonatel pour des coupures répétées sur le réseau sénégalais. Verdict : 3,2 milliards de F CFA à payer. La Sonatel conteste le montant davantage que les faits. Jusqu’à se fâcher avec l’État ? Non, répond la société : « L’État est à la fois client, actionnaire et régulateur. C’est une caractéristique ambiguë, mais qui n’est pas propre au Sénégal. On la retrouve ailleurs, notamment en Europe », explique Marc Rennard. L’État, ces derniers temps, fait l’objet de rumeurs récurrentes, affirmant un prochain désengagement de la Sonatel. Une opération de cession des 20 % qu’il détient lui rapporterait sans doute autour de 600 millions de dollars ! La Banque mondiale lui a publiquement déconseillé l’opération, jugeant qu’il était préférable de continuer à percevoir chaque année des dividendes. Pour autant, la rentabilité restera-t-elle plus de deux ou trois ans aux niveaux actuels ? C’est de la réponse à cette question que dépendra le choix final du gouvernement. Une réponse qui, aujourd’hui, n’a rien d’évidente.
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