Le pétrolier jette l’éponge

Dix-huit mois après l’entrée en production du champ de Chinguetti, l’opérateur australien se débarrasse de ses actifs mauritaniens. Et tourne définitivement la page de l’aventure africaine.

Publié le 4 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Un petit tour et puis s’en va. Dix ans après avoir débarqué sur les côtes africaines pour mettre la main sur les gisements pétroliers de Mauritanie, la compagnie australienne Woodside a annoncé, en août dernier, sa volonté de quitter le continent. Une décision rapidement suivie d’effets, puisqu’un mois plus tard, Don Voelte, PDG de la société, convoquait une nouvelle fois la presse pour confirmer la vente des actifs mauritaniens détenus par Woodside à l’opérateur malaisien Petronas, propriétaire, depuis novembre dernier, des champs d’hydrocarbures détenus par l’opérateur australien dans le pays, pour un montant d’environ 300 millions d’euros. « L’idée était dans les tuyaux depuis plusieurs mois, mais tout s’est décidé très vite », constate Craig Campbell, spécialiste du secteur pétrolier chez Merrill-Lynch, qui a été surpris tant par la rapidité de la décision que par le montant de la transaction. « On est loin du milliard de dollars espéré par l’opérateur au début des négociations, reprend l’analyste depuis son bureau de Sydney. Comme si Woodside était pressé de tourner la page », dix-huit mois seulement après l’entrée en production du gisement de Chinguetti. Le retrait précipité de l’opérateur étonne encore en Australie. À commencer par Max de Vie40tri, patron de la compagnie Baraka Petroleum et principal artisan de l’arrivée de la major australienne sur le sol africain. « Même si le prix de vente correspond aux chiffres estimés par le cabinet Moody, Woodside vient de se débarrasser à bas prix d’une véritable mine d’or », continue de croire le « découvreur » du pétrole mauritanien. De Vietri a bien essayé ces derniers mois de remporter la mise, mais sans succès. « Petronas n’aura pas à le regretter », jure aujourd’hui cet Australien de 54 ans, qui se dit « déçu et frustré » par la façon dont Woodside vient de refermer une parenthèse africaine qu’il avait largement contribué à ouvrir dix ans plus tôt, alors que le pétrole mauritanien restait encore à découvrir. Plusieurs compagnies pétrolières internationales s’étaient bien intéressées au pays dans les années 1970 mais, faute d’indices suffisants, elles avaient depuis longtemps plié bagages, emportant leurs relevés sismiques sous le bras. Arrivé en Mauritanie en 1994 pour y chercher de l’or, Max de Vietri flaire pourtant un bon coup. Après être tombé par hasard sur les archives du ministère mauritanien des Mines, il s’emballe, convaincu que les compagnies n’ont pas foré assez profond. Il compile alors les données récoltées par les différents opérateurs, redessine la carte du bassin mauritanien et, après avoir dépensé plusieurs milliers de dollars, il identifie huit permis potentiels le long de la côte. La chasse aux investisseurs peut commencer. Profitant de ses contacts en Australie, de Vie­tri se met alors en relation avec Woodside. La compagnie travaille encore exclusivement¨sur son pays d’origine, mais commence à afficher des ambitions internationales dans la foulée des bénéfices colossaux qu’elle dégage sur ses gisements gaziers. « Je savais que la direction cherchait à investir à l’étranger et que la compagnie disposait de la surface financière suffisante pour démarrer un tel projet », se souvient-il aujourd’hui. De Vietri sait alors se montrer persuasif, et finit par convaincre Woodside de tenter l’aventure. Munie d’un permis de prospection sur cinq blocs offshore, d’une superficie totale de 39 200 km2, la compagnie débute en 1998 les opérations d’exploration qui, trois ans plus tard, feront jaillir les premières gouttes de brut des entrailles de Chinguetti. Il faudra encore attendre cinq ans pour que le gisement entre officiellement en production, en février 2006. Entre-temps, Woodside a dépensé près de 500 millions d’euros, permettant à la Mauritanie de devenir le dixième pays producteur d’or noir en Afrique. À titre de comparaison, en 2006, Chinguetti lui a rapporté 200 millions d’euros de revenus nets. Avec le démarrage de Chinguetti commencent pourtant les ennuis pour la compagnie. Le nouveau régime mauritanien, issu du coup d’État d’août 2005, ne tarde pas à remettre en cause les accords passés avec le gouvernement précédent. Le président Ely Ould Mohamed Vall entend surtout voir résilier les quatre avenants ajoutés par l’opérateur au contrat de production qui, en réduisant la part des revenus pétroliers perçus par le pays ainsi que les taxes versées par la compagnie, amputeraient les recettes de l’État « d’une bonne centaine de millions d’euros par an ». Accusée ouvertement de « hold-up » par le pouvoir mauritanien, Woodside fait d’abord la sourde oreille, avant de céder, quelques mois plus tard, devant l’ampleur du scandale. Une crise « très mal gérée par la direction », selon Brian Pashen, avocat d’affaires spécialisé en Australie dans les contrats africains, qui, en plus de décrédibiliser la compagnie dans le pays, l’a également obligée à débourser plus de 60 millions d’euros supplémentaires pour arriver à un compromis. Parallèlement à ces déboires politiques, Woodside a dû faire face à d’importants problèmes techniques qui empêchent encore aujourd’hui Chinguetti de produire à plein volume. Prévu initialement pour extraire 75 000 barils/jour, le permis a péniblement atteint les 70 000 barils quotidiens en mars 2006, avant de voir sa production plonger, pour tomber aujourd’hui à moins d’un cinquième des volumes escomptés. « Tout le monde a été trop vite dans cette histoire et l’environnement géologique n’a pas été suffisamment étudié », estime aujourd’hui un proche du dossier, qui accuse notamment le gouvernement mauritanien de l’époque d’avoir exercé « une pression terrible pour que Woodside accélère la mise en production ». Mal préparée à un contexte africain qu’elle ne maîtrisait pas, la compagnie australienne s’est enlisée en accumulant les maladresses. « Les dirigeants de Woodside ont refusé de prendre en compte les spécificités africaines, estimant que c’était à l’Afrique de s’adapter à Woodside », s’agace encore Max de Vietri, qui estime que l’arrivée de Don Voelte à la tête de la compagnie, en 2004, n’a rien arrangé : « C’est un financier qui a pour seul objectif d’augmenter les dividendes distribués chaque année aux actionnaires. » D’où la volte-face de ces derniers mois, qui a replacé le gaz australien au centre des préoccupations de la compagnie, et s’est soldée par l’abandon définitif de la stratégie d’ouverture lancée dans les années 1990 par l’ancienne direction. « L’heure n’est plus à la prise de risque dans les pays exotiques », résume Barry Wyatt, analyste des matières premières à la Bourse de Sydney. Débarrassée de son joyau mauritanien, la compagnie cherche encore preneur pour les différents permis d’exploration qu’elle possède en Libye, en Sierra Leone, au Liberia ou au Kenya, et qui pourraient, selon la rumeur, faire l’objet d’une vente groupée sur le marché londonien. Une fois ces possessions écoulées, Woodside pourra alors définitivement oublier son échec africain.

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