À QUI APPARTIENNENT 
LES ENTREPRISES 
D’AFRIQUE ?

Grandes familles, holdings privées, multinationales, États, fonds d’investissement, petits porteurs… Les actionnaires des principales sociétés actives sur le continent passés au crible.

Publié le 18 septembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Y a-t-il question plus compliquée et plus gênante que celle de la propriété des sociétés ? À travers le monde, aborder ce sujet aboutit bien souvent à se retrouver face à un mur du silence quasiment infranchissable. Les raisons de cette volonté de dissimulation sont multiples : stratégiques, lorsqu’un chef d’entreprise préfère cacher à la concurrence l’état de ses possessions ; fiscales, lorsque celui-ci cherche à éviter les foudres des agents de l’État ; ou simplement privées, lorsqu’un patron ne souhaite pas que tout le monde connaisse l’étendue de sa richesse. L’Afrique n’échappe pas à cela, bien au contraire. Pour autant, Jeune Afrique s’est attaché cette année à tenter de dessiner le paysage des propriétaires des 500 premières entreprises africaines, s’appuyant pour l’occasion sur les déclarations que certaines d’entre elles nous ont fait parvenir, mais aussi sur d’autres sources, comme les déclarations auprès des autorités boursières pour les sociétés cotées, les rapports annuels de celles qui en publient et différentes coupures de presse. LES ÉTATS DE MOINS EN MOINS PRÉSENTSâ©Si l’on en croit le classement des 500 entreprises africaines et la typologie de leur actionnariat, l’Afrique est bel et bien plongée dans l’économie libérale. Moins d’un quart de nos 500 appartient directement ou indirectement à un État africain. Sans surprise, plusieurs d’entre eux gardent néanmoins la haute main sur les sociétés opérant dans le secteur de l’énergie. C’est le cas de notre numéro un, la Sonatrach, toujours propriété de l’État algérien, mais aussi de la compagnie électrique sud-africaine Eskom, de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), de la Sonangol (Angola) ou de la Ghana Oil Company. Le secteur public garde parfois également le contrôle d’un autre secteur stratégique : celui des transports. Le géant Transnet est ainsi détenu par le gouvernement sud-­africain, et un certain nombre de transporteurs aériens, comme Royal Air Maroc ou Tunisair, demeurent dans l’escarcelle gouvernementale. Dans d’autres secteurs, tout aussi stratégiques mais nécessitant des compétences technologiques particulières, les États partagent le capital avec des groupes privés, souvent des multi­nationales, tout en leur laissant le soin de piloter la gestion. C’est le cas, par exemple, de la société diamantifère Namdeb, détenue à parts égales par De Beers et l’État namibien, ou encore de la Sonatel, codétenue par Orange et l’État sénégalais. DES MULTINATIONALES CONQUÉRANTESâ©Est-ce à la faveur des diverses privatisations qu’a connues le continent ou parce qu’elles ont trouvé en Afrique de formidables gisements de croissance ? Toujours est-il que les multinationales sont très nombreuses à opérer sur le continent. Elles y possèdent quelques-uns des plus beaux fleurons : Mittal Steel South Africa, détenu par le groupe indo-européen ArcelorMitall, la Samir (Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage), détenue par le groupe Corral Petroleum, Total Nigeria, Total Gabon… Le groupe France Télécom (rebaptisé Orange) possède également de très belles entreprises, comme la Sonatel, Orange Côte d’Ivoire ou Mobinil, détenu conjointement avec Orascom Telecom. Ce dernier groupe est désormais entré dans la catégorie des multi­nationales africaines, dont l’impact sur le continent semble grandir année après année. Orascom Telecom détient ou codétient la deuxième entreprise tunisienne et la première entreprise algérienne hors hydrocarbures. Le sud-africain MTN a, quant à lui, marqué de son empreinte les secteurs économiques de nombreux pays africains. Enfin, l’Afrique a également fait naître bon nombre de multinationales qui l’ont quittée depuis, principalement des sud-africaines : parmi elles, Anglo American, devenue britannique, possède les monstres miniers africains De Beers, Anglo Platinum et AngloGold Ashanti.LES INSTITUTIONNELS INCONTOURNABLESâ©En raison du développement des Bourses africaines, les investisseurs institutionnels ont acquis en quelques années un poids de plus en plus important dans le capital des grandes entreprises africaines. C’est évidemment surtout en Afrique du Sud, où existe la plus grosse des places financières du continent, qu’ils ont grandi le plus vite. Parmi eux, les gestionnaires de fonds d’investissement sont désormais incontournables, et on retrouve leurs traces dans plusieurs entreprises sud-africaines : le gérant Allan Gray est ainsi le premier actionnaire du groupe de casinos et de loisirs Sun International, tandis que Barloworld, Sappi ou Steinhoff International sont majoritairement détenus par des fonds d’investissement. Une autre catégorie d’institutionnels connaît également un développement fulgurant : les fonds de pension ou les sociétés publiques d’investissement. Ainsi, en Afrique du Sud, la Public Investment Corporation, le fonds de pension gouvernemental, est présente au capital d’une dizaine de très grandes sociétés, possédant environ 15 % de Telkom, de MTN Group ou de Rembrandt Group, mais aussi entre 5 % et 10 % de Pick’n Pay, Truworths, Group Five, Afgri… Enfin, une dernière catégorie d’investisseurs institutionnels s’impose progressivement, celle liée au Black Economic Empowerment (BEE), politique de discrimination positive destinée à renforcer la présence de dirigeants et de cadres noirs dans les entreprises sud-africaines. Dinatla, qui compte notamment parmi ses investisseurs la holding Shanduka de Cyril Ramaphosa, est désormais l’actionnaire principal de Bidvest Group, un géant de 11,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Thebe Investment Corporation, qui regroupe les intérêts du Batho Batho Trust (créé par Nelson Mandela), alliée à Absa et Sanlam, est désormais le premier partenaire capitalistique de CMH Group.DANS LA TRADITION FAMILIALE. Il existe bien quelques grandes fortunes africaines dont les noms sont déjà très connus. Celle des Sawiris en premier lieu, de loin les premiers privés égyptiens. La famille contrôle directement 60 % d’Orascom Construction. Elle possède également 97 % de la holding Weather Investments, actionnaire à 50,5 % d’Orascom Telecom, qui détient elle-même Orascom Telecom Algeria, ainsi que, en partenariat avec d’autres opérateurs, Tunisiana ou Mobinil. À l’autre bout du continent, la présence de l’autre grande fortune privée africaine, celle du clan Oppenheimer, se fait de moins en moins sentir dans notre classement. La famille sud-africaine fondatrice du groupe Anglo American, dont le siège social est en Europe depuis la dernière décennie, s’est largement désengagée de ce conglomérat, qui détient quelques géants africains comme AngloGold Ashanti, Anglo Platinum ou De Beers. Plus spécifiquement, si chaque pays compte de puissants actionnaires familiaux privés, fournir un relevé précis de leur patrimoine entrepreneurial reste extrêmement complexe : nombre d’entre eux ne publient aucune donnée sur leurs investissements, et il arrive parfois qu’ils ne consolident toujours pas leurs avoirs. Au Maroc, la famille Akhannouch possède, via sa holding Akwa, quelques fleurons de l’économie marocaine, dont Afriquia Gaz et ses 320 millions de dollars de chiffre d’affaires. En Tunisie, les trois frères Mabrouk détiennent un groupe qui pèse environ 500 millions d’euros, l’un de ses principaux actifs étant la SNMVT- Monoprix. Au Nigeria, c’est le nom d’Alhaji Aliko Dangote, propriétaire d’un groupe qui pèse sans doute plusieurs milliards de dollars, qui se démarque. Au Burkina, l’homme d’affaires d’origine libanaise Michel Fadoul est actionnaire direct d’une multitude de sociétés, représentant sans doute plus d’une centaine de millions de dollars chacune. LE POUVOIR POLITIQUE À LA MARGE.Du pouvoir politique aux affaires, il n’y a qu’un pas, que plusieurs grands dirigeants africains ont franchi, quelle qu’en soit la raison : volonté patrimoniale ou désir d’insuffler une dynamique positive à l’économie nationale. Le Palais royal marocain est ainsi actionnaire d’un grand nombre d’entreprises marocaines classées parmi les 500. Il l’est via une structure pyramidale relativement complexe qui lui permet de contrôler un grand nombre de sociétés sans y être, au final, réellement majoritaire. La holding qui gère ses intérêts est Siger (anagramme de regis, roi en latin), qui contrôle indirectement la holding d’investissement SNI, propriétaire de la moitié du capital de Lafarge Maroc et partenaire avec ArcelorMittal du groupe de sidérurgie Sonasid. Siger et SNI détiennent 38 % de l’ONA, le géant marocain qui représente plus de 20 % de la capitalisation boursière marocaine et contrôle bon nombre d’entreprises de notre classement. Au Gabon, la holding industrielle et financière Compagnie du Komo gère l’ensemble des sociétés du groupe Sogafric, celui-ci étant en partie détenu par quelques-uns des plus hauts dirigeants gabonais et leurs familles.â©â©DES PETITS PORTEURS PLUS NOMBREUXâ©Ce sont eux les derniers venus sur la scène des actionnaires, apparus à la faveur des introductions en Bourse. Logiquement, c’est en Afrique du Sud qu’ils sont les plus présents, directement ou via des fonds d’investissement. Mais ils prennent également pied plus au nord. Plus de 100 000 petits porteurs marocains se partagent ainsi quelques pour-cent du capital de Maroc Télécom, dont l’actionnaire majoritaire est le groupe français Vivendi. Depuis fin 2005, les particuliers égyptiens peuvent également acheter quelques titres parmi les 20 % du capital de Telecom Egypt disponibles en Bourse. En Tunisie, la compagnie aérienne Tunisair a également ouvert son capital. Les particuliers nigérians ont, quant à eux, accès à plusieurs poids lourds nationaux, comme le géant pétrolier Oando, dont près de 280 000 particuliers étaient actionnaires fin 2006, Flour Mills of Nigeria ou Nigerian Breweries. Dans le reste de l’Afrique subsaharienne, les grandes entreprises sont encore peu nombreuses à partager leur croissance avec le grand public : parmi ces exceptions figurent des entreprises kényanes, dont Kenya Power et, peut-être bientôt, Safaricom, ou la sénégalaise Sonatel, star de la Bourse d’Abidjan, Filtisac du groupe IPS West Africa, la SIPH (Sifca) ou Saga-SDV de Bolloré. Une maigre liste pour d’éventuels souscripteurs africains. 

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