Destins croisés au Cameroun
Alors que Commercial Bank-Cameroun a été placé sous administration provisoire, Afriland poursuit son ambitieuse politique panafricaine. Histoire de deux groupes portés par des entrepreneurs influents, mais dont les trajectoires ont radicalement divergé.
Au Cameroun, il y a des filiales de banques françaises, de groupes panafricains ou internationaux. Et puis il y a aussi, entre tous ces acteurs, Afriland First Bank et Commercial Bank-Cameroun (CBC), les deux seuls groupes bancaires à capitaux majoritairement camerounais. Enfin… il serait plus juste de dire « il y avait ». En novembre 2009, en effet, CBC était placé sous administration provisoire, ce qui dépossédait de fait son actionnaire principal, le groupe Fotso, de ses droits. Pour Victor Fotso et Yves-Michel, son fils, ce fut un coup de massue supplémentaire. Pour beaucoup d’observateurs, la suite logique d’erreurs en matière de gestion.
Sur le papier, les deux groupes bancaires camerounais avaient plus d’un élément de ressemblance : leurs statuts d’établissements à capitaux camerounais, tout d’abord, mais aussi deux grands entrepreneurs aux commandes, Paul Kammogne Fokam pour Afriland et Victor Fotso pour CBC. Très vite, les deux banques se sont également lancées dans la conquête du marché sous-régional. Modeste microbanque à ses débuts, Afriland s’installe dès 1994 en Guinée équatoriale, avant de prendre pied, quelques années plus tard, successivement au Congo, à São Tomé e Príncipe, en RD Congo, puis, en 2010, en Zambie. Suivant les pas de sa devancière camerounaise, CBC inaugure ses premiers guichets bancaires en Centrafrique dès 1999, s’installe l’année suivante au Tchad et en 2005 à São Tomé e Príncipe.
Difficultés sur difficultés
Mais la comparaison s’arrête là. Par la suite, en effet, tout semble avoir fait diverger les deux banques camerounaises. L’exemple de la Guinée équatoriale est à ce titre tout à fait révélateur : alors que Paul Fokam y bâtit avec habileté ce qui devient rapidement la première banque du pays, CCEI Bank, respectant les demandes de ses actionnaires minoritaires équato-guinéens et ne rencontrant que peu d’embûches dans son développement, Yves-Michel Fotso, lui, affronte difficultés sur difficultés. Malgré l’agrément de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac) pour ouvrir en 2003 Commercial Bank Guinée équatoriale (CBGE), et en dépit des investissements déjà réalisés, Malabo refuse au groupe l’autorisation de démarrer ses activités. La longue bataille juridique qui s’ensuit devant la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) se termine en mai 2009 par la condamnation de la Guinée équatoriale à payer près de 70 millions d’euros de dommages et intérêts au groupe bancaire. Une victoire en trompe-l’œil car, entre-temps, Commercial Bank-Cameroun a commencé sa descente aux enfers… Il faut dire que CBC n’a peut-être pas accordé assez d’importance à son modèle de gouvernance. Chez le patron d’Afriland, au contraire, c’est une question centrale. « Pour éviter les conflits d’intérêt avec ses autres activités entrepreneuriales, Paul Fokam prend soin de confier la gestion des différentes entreprises qu’il contrôle à des managers de haut niveau », explique l’un de ses plus anciens partenaires. Parmi eux, Alamine Ousmane Mey, le patron d’Afriland au Cameroun, ou Joseph Tindjou, en Guinée équatoriale. Plus récemment, Albert Nigri a été nommé à la tête d’un nouveau holding, baptisé Afriland First Group (AFG) et créé en Suisse en 2008. L’objectif est clair : alors que les différentes banques n’étaient liées jusqu’à présent que par un actionnaire commun, Paul Fokam, celui-ci a décidé de regrouper toutes ses participations au sein d’un holding afin de consolider le groupe, le renforcer financièrement et accélérer son expansion géographique. L’institution de développement néerlandaise FMO, soutien historique du groupe, le suit dans cette aventure et convertit ses participations dans les banques camerounaise et équato-guinéenne en part dans le nouveau holding.
Des fonds propres quasiment nuls
Yves-Michel Fotso semble quant à lui avoir fait preuve de beaucoup moins de rigueur dans sa gestion. Derrière la mise sous administration provisoire de CBC se cache une forte dégradation de l’état financier de la banque, en raison notamment d’une politique de crédits hasardeuse. Établis officiellement à 18 millions d’euros en mai 2008, les fonds propres de CBC seraient en effet quasiment nuls après prise en compte des crédits en souffrance. L’autorité de surveillance a ainsi jugé que la gestion de la banque se déroulait en marge des normes communautaires. Tout comme d’ailleurs celle de la Société financière africaine (SFA, établissement financier au cœur du dispositif bancaire de Fotso), également placée sous administration provisoire avant que la Cobac ne lui retire son agrément en juin 2009. Les pertes cumulées au 31 décembre 2009 étaient en effet évaluées à 8,6 millions d’euros.
Comble de malchance, ceux qui auraient pu sauver le groupe l’ont laissé tomber. La Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale) et la Banque européenne d’investissement (BEI) ont en effet renoncé définitivement, début 2009, à un investissement de 10 millions d’euros dans le groupe Commercial Bank. L’opération avait pourtant été bruyamment annoncée un an et demi plus tôt. Mais entre-temps les deux bailleurs de fonds n’ont pas obtenu les garanties suffisantes. « Ils ont refusé de prendre le risque à cause des problèmes de gouvernance et les soucis judiciaires du principal négociateur », estime un journaliste de Yaoundé.
Le fait qu’à partir d’avril 2008 le passeport d’Yves-Michel Fotso lui ait été retiré par les enquêteurs chargés de l’affaire du détournement de l’argent public destiné à l’achat d’un avion présidentiel (du temps où le président de CBC était aussi administrateur directeur général de la compagnie aérienne à capitaux publics Cameroon Airlines) a sans doute pesé lourd. Mais les multiples casquettes d’Yves-Michel Fotso, administrateur directeur général de plusieurs entreprises du groupe Fotso – dont la Compagnie internationale de services, la distillerie Fermencam, l’Imprimerie du Tchad… –, n’y sont certainement pas pour rien. Dans la décision en date du 2 novembre 2009, portant mise sous administration provisoire de la banque, la Cobac estimait en effet que des crédits ont été « octroyés essentiellement à des entités qui font partie du groupe Fotso, principal actionnaire de CBC, ou à des bénéficiaires considérés comme sensibles, voire douteux ». Pas de quoi décider à investir la fine fleur des bailleurs de fonds internationaux.
Afriland, en revanche, les séduit désormais beaucoup plus. Le groupe engrange les profits. En 2009, ils se seraient élevés à une vingtaine de millions d’euros, dont un quart environ amené par Afriland Cameroun. Déjà actionnaire, le FMO envisageait, à la mi-2010, d’investir 19,2 millions d’euros dans AFG, dont 6 millions en fonds propres et le reste sous forme de prêt. Plusieurs autres institutions de renom, dont le norvégien Norfund ou l’allemand DEG, regarderaient aussi le dossier.
« Interférences politiques »
Le groupe, qui souhaite ardemment conserver son indépendance capitalistique et rechigne à faire entrer dans son capital une banque étrangère, a néanmoins un fort besoin de fonds propres pour assurer son développement. Il a en effet créé une banque au Liberia et réfléchit à une implantation prochaine au Zimbabwe. Avec un modèle stratégique constant : celui d’une banque d’entrepreneurs, capable de soutenir les entreprises, les PME du secteur formel et les petits commerces informels, ainsi que les ménages désireux d’acquérir des produits financiers.
Du côté du groupe Fotso, si l’on dénonce, par la voix d’Alex Mimbang, responsable de la communication, des « interférences politiques » dans le dossier CBC, on reconnaît aussi les errements du passé, tout en regrettant que la mise sous administration provisoire soit intervenue alors qu’un plan de restructuration était en préparation. Désormais, c’est l’administrateur provisoire de la banque, Martin Luther Njanga Njoh, qui travaille à proposer à la Cobac un plan de restructuration susceptible de rééquilibrer les comptes de l’entreprise. Ce qui revient à trouver environ 60 millions d’euros d’argent frais. Une somme que seul un investisseur de premier plan, pourquoi pas une banque étrangère, semble capable d’apporter. Le Cameroun ne comptera plus alors qu’un seul grand groupe bancaire à capitaux majoritairement camerounais.
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