L’impasse Mugabe

Publié le 30 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Alors que nous bouclions l’édition 2008 de L’État de l’Afrique, l’issue de la présidentielle zimbabwéenne n’était pas encore connue. Toutefois, on pouvait d’ores et déjà affirmer que les élections générales qui se sont déroulées le 29 mars 2008 feront date. En effet, après vingt-huit années de pouvoir sans partage, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF) a perdu sa majorité à la Chambre des députés avec 97 sièges sur 210, contre 109 au Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Pour parer à toute tentative de manipulation des résultats, le MDC a revendiqué dans la foulée la victoire de son candidat à la présidentielle, Morgan Tsvangirai, contre Mugabe, qui dirige le pays depuis l’indépendance, en 1980. Tsvangirai aurait obtenu 50,3 % des voix, contre 42,9 % à son challengeur. Si ce score a été ressenti comme une véritable humiliation par le chef de l’État sortant, il autorisait cependant la tenue d’un second tour à la présidentielle, le vainqueur devant recueillir plus de 51 % des voix pour être élu.

Quelques mois avant les élections, l’opposition dénonçait déjà des achats de voix, des pressions et du chantage, notamment auprès des « nouveaux fermiers », qui pourraient perdre leur terre s’ils venaient à « mal voter ». Le pouvoir, qui use de la violence pour mater les protestataires depuis des années, a mis en garde la population contre toute agitation. En mars 2007, plusieurs membres de l’opposition, dont le leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), Morgan Tsvangirai, ont été violemment battus lors d’une interpellation par la police. Plusieurs victimes ont dû aller se faire soigner en Afrique du Sud. Les protestations internationales n’ont eu aucun écho à Harare.

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En revanche, Mugabe a annoncé, fin 2007, un assouplissement des lois sur la presse. Comme lors de la dernière présidentielle, le chef de l’État, dans un souci de légitimer son élection, va ouvrir le pays à la presse occidentale, interdite de séjour le reste du temps.

Fin stratège politique, Mugabe a la chance d’avoir face à lui une opposition faible, divisée et maladroite. Parvenu à une unité fragile après une scission en 2005, le MDC veut faire « front uni », au moins pour la période électorale. Le parti de Tsvangirai a menacé en début d’année de ne pas participer au scrutin en précisant que ce boycottage ne serait pas seulement suivi par les partis politiques mais par toute la population si les élections générales n’étaient pas libres et transparentes.

Les efforts discrets du président sud-africain Thabo Mbeki, mandaté par la Communauté de développement de l’Afrique australe pour résoudre la crise politique, n’ont pas donné de grands résultats. Mugabe a réussi de son côté un « coup diplomatique » à l’occasion du sommet Europe-Afrique qui s’est tenu en décembre 2007 à Lisbonne. L’absence du Premier ministre britannique a été pour lui une victoire. Gordon Brown avait prévenu qu’il ne participerait pas au sommet si Robert Mugabe était présent. Après des mois de négociations et de débats, c’est le président zimbabwéen qui a donc assisté à la rencontre. Les mises en garde qui ont pu lui être faites à cette occasion n’ont que peu ébranlé Robert Mugabe. Celui-ci a toujours soutenu que les difficultés que connaît son pays étaient dues à des ennemis extérieurs, des « néocolonialistes » qui travaillent à saper les succès enregistrés par le Zimbabwe. Jamais le chef de l’État n’a reconnu avoir la moindre responsabilité dans la crise économique que traverse son pays depuis maintenant huit ans.

Le secteur agricole ne parvient toujours pas à se relever de la réforme agraire débutée en 2000 et qui a abouti au démantèlement d’une agriculture commerciale prospère – et source de devises –, remplacée par une agriculture de subsistance. De nombreuses propriétés saisies sont abandonnées ou mal exploitées. Le gouvernement affirme qu’après avoir terminé le volet de la redistribution des terres, il va s’atteler à former et soutenir les « nouveaux fermiers ». Mais les prix des semences et des intrants sont devenus inabordables, les infrastructures, en particulier les conduites d’eau et les équipements d’arrosage, sont souvent hors d’usage, et les nouveaux propriétaires n’ont aucun moyen d’emprunter auprès des banques comme le faisaient les fermiers blancs.

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Source importante de devises, la production de tabac s’est effondrée, atteignant en 2007 à peine le tiers de ce qu’elle était en 2000. La baisse de la qualité entraînant en outre une diminution du prix, le tabac n’a rapporté que 118 millions de dollars en 2007, contre 400 millions en 2000.

Le maïs, principale source de l’alimentation des Zimbabwéens, est aussi en fort déclin, avec un déficit pour 2007-2008 d’environ un million de tonnes, soit la moitié des besoins. Avant la crise, lorsque les conditions climatiques étaient favorables, le Zimbabwe pouvait produire plus de 2,5 millions de tonnes de maïs et exporter une partie de sa récolte. Désormais, le pays a besoin de s’approvisionner chez ses voisins et dépend aussi largement de l’aide internationale.

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Faute de devises, le gouvernement a de plus en plus de mal à honorer ses factures énergétiques, à acheter des intrants ou à assurer la maintenance de ses infrastructures. Des cas de choléra sont apparus à Harare à la fin de 2007, et les coupures d’eau et d’électricité s’y multiplient.

L’année écoulée restera probablement dans les mémoires comme celle des records d’inflation et des longues files d’attente devant des magasins aux étals souvent vides. L’augmentation des prix a atteint en fin d’année plus de 8 000 %, selon les chiffres officiels. Toutes les tentatives pour juguler cette folle course des prix ont été vaines.

Le gouvernement a essayé d’imposer un blocage des prix des produits de base… qui ont alors disparu des magasins. Certaines industries ont même été contraintes à la fermeture à la suite de cette mesure. Le gouverneur de la Banque centrale, Gideon Gono, a reconnu que cette décision avait été une erreur : « Il ne sert à rien d’avoir des produits pas chers si on ne les trouve plus nulle part. »

Le pays a également dû faire face à une pénurie de monnaie. Les billets, des chèques au porteur imprimés sur du papier classique depuis que l’État n’a plus les moyens d’acheter des coupures traditionnelles, ont peu à peu disparu de la circulation. Les banques ont limité les retraits, suscitant de nouvelles files d’attente devant les guichets. À la fin de 2007, Gideon Gono a annoncé un nouveau changement de monnaie, après celui intervenu dix ans plus tôt, lorsque l’institut d’émission avait enlevé deux zéros au dollar zimbabwéen. L’annonce a provoqué un mouvement de panique qui a encore allongé les queues devant les établissements financiers. Face à l’affolement général, le gouverneur de la Banque centrale a dû reporter sa décision. Finalement, de nouveaux billets allant jusqu’à 10 millions de dollars zimbabwéens (22 euros) ont été mis en circulation le 16 janvier 2008. Et, pour faciliter les transactions, la limite de retrait d’argent liquide a été portée de 50 millions à 500 millions de dollars zimbabwéens par individu et par jour. Malgré ces mesures, la valeur de la monnaie fluctue quotidiennement et le change ne se fait plus qu’au marché noir, permettant à certains dirigeants qui ont accès à des devises de profiter du différentiel de plus en plus important entre les taux de change officiel et parallèle.

Parmi les décisions politiques contre-productives figure aussi la loi sur « l’indigénisation », qui s’apparente à une nationalisation. Officiellement, le gouvernement veut accroître la participation des opérateurs zimbabwéens dans les entreprises étrangères. Jusqu’ici, quasiment aucune transaction n’a pu se faire, l’État n’ayant pas les moyens d’acquérir des parts de capital. Il est vrai que le secteur minier reste l’un des derniers fournisseurs de devises (50 % des revenus d’exportation). Il est également le seul à séduire encore des investisseurs étrangers, notamment les Chinois, qui, à la fin de 2007, ont acheté 92 % de Zimasco, le producteur national de ferrochrome (acier). Toutefois, la chute de la production minière est inquiétante.

L’espérance de vie des Zimbabwéens n’est plus que de 35 ans et le système de santé s’effondre. Il en va de même pour le système scolaire. À l’instar des professionnels du corps médical, nombre d’enseignants ont d’ailleurs quitté le pays, et seules quelques écoles privées aidées par des parents fortunés continuent à assurer un service correct.

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