Une année sous tension

Publié le 28 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

L’atmosphère politique s’est fortement dégradée en Afrique du Sud en 2007. En cause, la bataille entre le camp de Thabo Mbeki, le chef de l’État, et celui de Jacob Zuma, le nouveau président de l’African National Congress (ANC). Désormais, le pays se retrouve avec deux centres de pouvoir qui visent la présidentielle de 2009.

Effectuant son second mandat à la tête de l’État, Thabo Mbeki ne pourra se représenter en 2009. Il espérait pouvoir au moins choisir son successeur, et avait dit souhaiter être remplacé par une femme. Il ne pouvait influer sur la nomination du futur candidat de l’ANC qu’à condition de conserver le poste stratégique de président du parti, poste qu’il a perdu lors du congrès de Polokwane, en décembre 2007, au profit de Jacob Zuma.

la suite après cette publicité

L’élection de Zuma à la tête du parti s’est faite dans une ambiance que n’avait jamais connue l’ANC. Les partisans du « zoulou boy » ont chanté et dansé pendant trois jours, allant jusqu’à huer les proches de Mbeki lorsque leurs visages apparaissaient sur les écrans géants. Alors qu’il était donné pour politiquement mort, « JZ », comme l’appellent ses partisans, a fait un retour triomphal et a remporté la course avec une belle avance.

Une des raisons de l’échec de Thabo Mbeki réside dans son style de gouvernement, froid, distant, voire élitiste. Il était perçu comme de plus en plus éloigné des préoccupations des Sud-Africains, et incapable de combler le fossé croissant entre les grandes fortunes, des Noirs comme des Blancs, et la masse des plus pauvres. Face à lui, Jacob Zuma fait figure de « gauchiste ». Celui-ci a obtenu le soutien du Parti communiste, de la ligue des jeunes de l’ANC ainsi que de la puissante fédération syndicale, la Cosatu. Plus charismatique, il a su capter les mécontents et s’assurer un nouveau départ politique malgré ses déboires judiciaires.

L’année 2008 ne sera cependant pas facile. Dix jours à peine après sa nomination à la tête de l’ANC, Jacob Zuma était à nouveau inculpé pour corruption, fraude, racket et évasion fiscale. Son procès devrait s’ouvrir en août. L’ANC a néanmoins décidé, début janvier, de le désigner officiellement comme le candidat du parti pour la présidentielle. Le nouveau comité exécutif national, entièrement composé de fidèles, estime, comme l’ont toujours clamé ses partisans, que « JZ » est victime d’un complot politique et le considère comme « innocent tant qu’il n’est pas reconnu coupable ».

Jacob Zuma est notamment accusé d’avoir reçu un pot-de-vin de la société française Thales (anciennement Thomson-CSF), alors qu’il était vice-président, en échange de sa « protection » en cas d’enquête relative au contrat d’armement passé avec l’État sud-africain à la fin des années 1990. Depuis près de dix ans, plusieurs commissions d’enquête sur ce contrat se sont succédé, aucune n’ayant pu aboutir faute de volonté politique.

la suite après cette publicité

L’ANC a annoncé début janvier la création d’un comité sur le sujet, tout en précisant que les résultats resteraient confidentiels. Il est fort probable, comme l’affirme l’ancien député de l’ANC, Andrew Feinstein, dans son livre After the Party, que plusieurs autres dignitaires du parti, et l’ANC lui-même, aient bénéficié de « ristournes » sur ces contrats, dont le montant total s’élève à plus de 40 milliards de dollars.

L’élection de Jacob Zuma à la tête de l’ANC a été accueillie avec une grande prudence par les analystes économiques. S’il n’est pas reconnu coupable par la justice, il sera candidat à la présidence en 2009. Il devra alors donner quelques gages aux syndicats et au Parti communiste. Une manière de prendre le contre-pied de l’équipe Mbeki, critiquée pour avoir privilégié le développement d’une nouvelle élite d’hommes d’affaires noirs, à travers le Black Economic Empowerment (BEE), et d’avoir, en revanche, négligé les plus pauvres.

la suite après cette publicité

Ces dernières années s’est développée une nouvelle classe sociale, surnommée les « Black Diamonds » (diamants noirs). Gagnant plus de 6 000 rands par mois (environ 600 euros), ils représentent 10 % de la communauté noire… et 43 % de son pouvoir d’achat. Pendant que les Black Diamonds prospèrent, la majorité des Sud-Africains peinent à survivre. Dans un rapport publié à la fin de 2007 et immédiatement contesté par le gouvernement, l’Institut sud-africain des relations entre les races faisait état du doublement en dix ans du nombre de personnes vivant en dessous du seuil d’extrême pauvreté : de 1,9 million à 4,2 millions, soit de 4,5 % à 8,8 % de la population. De son côté, le gouvernement avance que le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté – avec moins de 3 000 rands par an – a diminué, passant de 52,1 % en 1999 à 47 % en 2004, et à 43,2 % cette année. Le chômage ne connaît en tout cas pas de recul, avec une estimation officielle à 27,5 %. Un chiffre largement sous-évalué pour les syndicats, qui placent le taux de chômage au-dessus de 40 %.

Quant à la classe moyenne, si elle s’est incontestablement développée, elle se retrouve surendettée. L’augmentation régulière des taux d’intérêt a fortement pénalisé le pouvoir d’achat de ces ménages, tandis que l’inflation n’a pas pour autant ralenti. Les prix à la consommation ont ainsi progressé de presque 7 % en 2007. L’augmentation la plus nette, en dehors des produits pétroliers, a été celle de l’alimentation, avec plus de 14 %. Le lait a ainsi augmenté de 26 %, la farine de maïs de 21 %, le poulet de 24 % et l’huile alimentaire de 32 %.

Le ministre des Finances, Trevor Manuel, estime que la mauvaise conjoncture internationale risque de peser sur la croissance sud-africaine. Le pays table sur une croissance de 4,5 % en 2008, 4,8 % en 2009 et 5,3 % en 2010. Des prévisions en deçà des 6 % nécessaires pour atteindre l’objectif que s’était fixé le gouvernement de diminuer la pauvreté par deux d’ici à 2014.

L’Afrique du Sud affiche en revanche un budget en excédent de 0,6 % pour 2007, comme en 2006, alors qu’elle n’avait pas connu d’excédent depuis 1981. Pour le ministre des Finances, il est important de maintenir cet excédent afin d’amortir les chocs de l’économie internationale. Dans son budget à mi-parcours, Trevor Manuel a annoncé une augmentation des revenus de 8,5 milliards de rands, soit un solde budgétaire positif de plus de 10 milliards de rands.

Le gouvernement se félicite des progrès effectués en matière d’habitat, avec la construction de 2 millions de logements depuis 1995 et l’électrification de 3 millions de foyers. Il a aussi mis en place un système de bourses pour les frais de scolarité. Plus de 12 millions de Sud-Africains bénéficient, sous une forme ou une autre, d’une allocation sociale.

Les autorités ont également promis de mettre l’accent sur la création d’emploi et l’éducation. À la rentrée 2008, pourtant, de nombreuses classes manquaient d’enseignants et les établissements annonçaient devoir recourir à des recrutements d’étrangers, le plus souvent des Zimbabwéens. Le pays connaît encore un taux important d’échec scolaire, ainsi que de nombreux abandons de scolarité par les jeunes filles, dont plus de 30 % tombent enceintes avant l’âge de 19 ans. L’activité sexuelle continue de débuter très tôt, avant même 14 ans pour 12 % des jeunes filles. Le sida se propage toujours, malgré un léger ralentissement du taux de progression de la pandémie. Le taux de mortalité chez les jeunes de 30 à 35 ans a augmenté de 220 % en dix ans. Quant à la qualité des services de santé, elle se dégrade nettement. L’ancien vice-ministre de la Santé, qui avait dénoncé l’état pitoyable de certains établissements de province, a été remercié sans ménagement en 2007.

Le pays traverse aussi une sérieuse crise de l’énergie et le déficit de production d’électricité ne sera pas comblé avant au moins cinq ans (voir encadré). En revanche, le secteur privé, encore dominé par la minorité blanche, se porte bien malgré une baisse de la confiance dans le milieu des affaires. L’une des priorités du gouvernement reste le BEE, aujourd’hui rebaptisé BB-BEE, pour Broad Based Black Economic Empowerment. La première phase du BEE a en effet été très sévèrement critiquée pour avoir essentiellement contribué à enrichir un petit groupe d’hommes d’affaires noirs, proches de l’ANC. Dans sa nouvelle version, le BEE ne se contente plus du transfert de capital et mise désormais largement sur le recrutement, la promotion interne des Noirs, la formation continue et la sous-traitance. Il est ainsi demandé à toutes les entreprises, privées comme publiques, de favoriser les petites et moyennes entreprises appartenant à des Noirs (le terme désigne ici également les métis et les Indiens).

Le gouvernement promet en outre de clarifier la législation : avec la prolifération de textes sur le BEE ou la discrimination positive, certaines lois deviennent en effet contradictoires.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires