Crispation politique, blocage diplomatique

Publié le 28 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Le Darfour au cœur de l’actualité soudanaise, toujours et encore. Les multiples initiatives lancées par la communauté internationale en 2007 n’y ont rien fait : la paix dans la province occidentale du Soudan paraît toujours introuvable. Pire : depuis le début de 2008, ce conflit qui a fait plus de 200 000 morts et 2,5 millions de déplacés en cinq ans menace, plus que jamais, de s’étendre au Tchad et à la Centrafrique.

Les 6 et 7 janvier 2008, N’Djamena, qui accuse Khartoum d’abriter au Darfour des groupes armés hostiles au président Idriss Déby Itno, a ainsi mené, pour la première fois, un raid aérien sur des positions rebelles en territoire soudanais… Une « agression » à laquelle le Soudan, qui reproche lui aussi à son voisin d’offrir l’hospitalité à des mouvements de dissidents soudanais, s’était dit prêt à répondre, faisant craindre un embrasement de toute la région. Après avoir joué la carte diplomatique en début d’année, la communauté internationale compte surtout sur le déploiement de la force militaire de l’Union européenne (Eufor) dans l’Est du Tchad et sur celui de la Mission hybride des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (Minuad) pour empêcher la situation de dégénérer.

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Créée par la résolution 1769 du Conseil de sécurité de l’ONU du 31 juillet 2007, la Minuad a pris la relève de la Mission de l’Union africaine au Soudan (Amis), Khartoum s’étant résolu au principe de son déploiement. Elle doit assurer la sécurité des populations que n’arrivait pas à protéger l’Amis, faute d’argent, dans l’attente d’un règlement politique du conflit qui oppose, au Darfour, le gouvernement central à des mouvements rebelles locaux. Mais sur le terrain, la situation ne connaît aucune amélioration.

De fait, les troupes déployées par l’ONU n’ont pour l’heure guère plus de moyens que celles de l’UA auparavant. Seuls 9 000 casques bleus sur les 26 000 attendus étaient en poste au début de 2008. Toujours dans l’attente des 18 hélicoptères de transport et des 6 hélicoptères de combat qui doivent leur permettre d’assurer leur mission, ils étaient réduits à faire de la figuration.

De leur côté, en revanche, les belligérants n’ont pas fait taire les armes. En 2007, pas moins de 270 000 civils auraient encore été déplacés dans la province. Le 29 septembre, à Haskanita, dix soldats de l’Amis ont trouvé la mort dans une attaque menée par un groupe armé non identifié, tandis que, trois mois plus tard, la Minuad était à son tour prise pour cible, une semaine seulement après son entrée en fonction. « Douze travailleurs humanitaires ont été tués l’an dernier », ajoutait enfin la Save Darfur Coalition, une organisation qui rassemble 35 ONG, dans un rapport publié en décembre 2007.

Sur le plan politique, également, le blocage paraît total. Bien que les émissaires de l’ONU et de l’UA répètent à l’envi que « le processus de Syrte est irréversible », celui-ci pâtit de la division croissante des mouvements rebelles darfouris. Lancées le 27 octobre 2007 en Libye sous l’égide du Guide de la Jamahiriya, Mouammar Kadhafi, après deux premières réunions organisées en juin, à Paris, et en juillet, à Tripoli, les négociations de Syrte étaient censées rassembler le gouvernement soudanais et ses opposants qui n’avaient pas signé l’accord de paix d’Abuja du 5 mai 2006. Mais le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) et le Mouvement de libération du Soudan (SLM), deux des plus importantes factions, ont refusé d’y participer, faisant du rétablissement de la sécurité au Darfour un préalable à toute négociation. La défiance qui persiste depuis plus d’un an entre le chef de l’État, Omar el-Béchir, et son vice-président sudiste, Salva Kiir Mayardit, ne contribue pas à améliorer la situation, loin de là.

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Entre le 10 octobre et le 27 décembre 2007, les ministres issus de l’ex-rébellion sudiste ont en effet « suspendu » leur participation au gouvernement d’unité nationale, accusant le Congrès national (NC), le parti du président Omar el-Béchir, de ne pas respecter les accords de paix signés en janvier 2005. Si les rebelles du Darfour y ont vu la preuve que Khartoum faisait peu de cas de la parole donnée, le NC s’est pour sa part inquiété d’un possible rapprochement des populations soudanaises « marginalisées » : le 15 octobre, les différentes factions darfouries se réunissaient à Juba, la capitale du Sud-Soudan, pour tenter d’unifier – en vain – leurs revendications à la veille de la réunion de Syrte.

Aujourd’hui, toutefois, le régime de Khartoum et les dirigeants sudistes ont annoncé avoir résolu la plupart de leurs différends. Reste à savoir combien de temps ils parviendront à s’entendre… Les deux parties sont certes tombées d’accord pour renforcer la démocratie, créer une force commune de protection des zones pétrolières et mieux collaborer dans le financement des organismes chargés du recensement général de la population sudiste, en vue du référendum qui doit se dérouler dans la région en 2011 – ses habitants devront alors choisir s’ils veulent rester unis à la République ou devenir indépendants. Mais une question de taille reste à trancher : celle du statut de la zone pétrolière d’Abiye. L’or noir demeure en effet la pomme de discorde entre les deux têtes de l’exécutif. Et pour cause : la production d’hydrocarbures constitue aujourd’hui la principale richesse du pays, celle sur laquelle le Nord et le Sud comptent s’appuyer pour financer leur développement, en même temps que rembourser la dette colossale du Soudan, qui s’élève à 27 milliards de dollars.

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Khartoum a extrait près de 400 000 barils/jour de brut en 2006, permettant à son produit intérieur brut de faire un bond de 13 % cette année-là. Une tendance qui semble se confirmer en 2007, avec un taux de croissance atteignant 11,2 %. Et, si l’on en croit les premières projections du Fonds monétaire international pour l’année en cours, la croissance devrait encore dépasser 10 % en 2008.

La crispation autour de la question pétrolière est d’autant plus marquée que l’activité économique reste insuffisamment diversifiée. En dehors du pétrole, le pays ne dispose d’aucune matière première. Quelques campagnes d’exploration minière ont été lancées, mais elles sont encore très limitées et n’ont pour l’instant rien donné. Le pays ne fait guère mieux du côté de l’industrie. Les usines se concentrent dans la zone située au nord de Khartoum, où s’est ouvert, en 1996, le complexe industriel GIAD. Une demi-douzaine d’unités de production spécialisées dans l’électroménager, l’électronique et, plus récemment, dans l’assemblage de voitures de luxe, de matériel agricole et de véhicules militaires y opèrent.

En fait, l’alternative aux hydrocarbures réside dans l’activité agricole, qui reste le plus gros employeur (80 % de la population active) et réalise toujours près de 30 % du PIB grâce, notamment, à la culture du coton, du sésame, des arachides, du sucre et de la gomme arabique. Principales céréales cultivées dans le pays, le sorgho, le millet et le blé sont surtout destinés à la consommation intérieure. Mais la culture pluviale reste la norme, les rendements faibles et l’importance des précipitations déterminante.

Des tentatives de diversification des filières apparaissent, mais elles restent encore timides. Elles témoignent cependant d’une prise de conscience, par les autorités, de la vulnérabilité de leur économie, la communauté internationale pouvant se servir de la rente pétrolière comme d’un moyen de pression. Dans la perspective des jeux Olympiques d’été qui se dérouleront à Pékin en août 2008, les associations favorables à une intervention des puissances occidentales au Darfour ne cessent d’appeler à faire pression sur la Chine, qui achète aujourd’hui les deux tiers du pétrole soudanais. En vain jusqu’à présent. 

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