La présidentielle en ligne de mire ?

Publié le 26 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

La fin de la crise ? C’est depuis longtemps le vœu le plus cher des Ivoiriens, et dorénavant, semble-t-il, celui des ex-belligérants, qui sont liés par la feuille de route contenue dans l’accord de paix signé le 4 mars 2007 à Ouagadougou entre le président Laurent Gbagbo et le représentant des Forces nouvelles (FN), Guillaume Soro, actuel Premier ministre. Ce document prévoit l’identification des nombreux sans-papiers vivant dans le pays, la délivrance de cartes d’identité et la mise à jour des listes électorales en vue d’une « élection présidentielle démocratique et transparente ». Initialement prévue en janvier 2008, celle-ci a été reportée sine die, en raison des lenteurs inhérentes à la constitution du nouvel attelage gouvernemental en avril 2007, à l’apathie d’une administration sclérosée par le conflit et aux bisbilles entre le chef du gouvernement et les ministres du Front populaire ivoirien (FPI, parti présidentiel) sur la conduite du processus. Pour pimenter le tout, les bailleurs de fonds versent leur aide au compte-gouttes en fonction des progrès accomplis.

L’agenda établi à Ouagadougou connaît donc des réaménagements importants. Mais la bonne volonté des protagonistes de la crise reste intacte. Et les progrès suivent : la libre circulation des biens et des personnes est effective, quelque 222 magistrats ont été redéployés, les trois cours d’appel (Abidjan, Daloa et Bouaké) rouvertes, un centre de commandement intégré a été mis en place à Yamoussoukro et les premières brigades mixtes sont constituées. En septembre, les audiences foraines ont débuté dans le calme. Au 10 mars 2008, elles avaient délivré 376 000 jugements supplétifs – actes tenant lieu de certificats de naissance. Prévue en avril, la clôture des opérations pourrait être repoussée en raison des retards accumulés.

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Une phase capitale débutera prochainement : la reconstitution des registres de naissances perdus ou détruits, l’émission des cartes d’identité nationale et, surtout, le recensement électoral. Un programme confié à l’entreprise Sagem sécurité et aux autorités ivoiriennes qui prendra au moins neuf mois. La multiplicité des intervenants – différentes commissions et institutions pilotées par le camp présidentiel, les FN et l’opposition – et des bailleurs de fonds ne fait que compliquer la tâche. Restait, début avril, à prendre un certain nombre de décrets d’application. Par ailleurs, la mise en place de la nouvelle armée piétine, les ex-rebelles attendant des garanties (notamment sur les grades et les salaires) avant de réintégrer les forces loyalistes.

Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion a été relancé à la fin décembre 2007 par Laurent Gbagbo et Guillaume Soro. Selon les estimations du gouvernement, environ 45 000 combattants –  33 000 rebelles et 12 000 supplétifs aux troupes loyalistes – seraient concernés. Ceux qui retourneront dans la vie civile pourront bénéficier d’une aide financière et du passage par un « service civique » afin de se former et de trouver un emploi.

Prise entre son désir de ne pas enrayer les efforts déployés et sa volonté d’interpeller les ex-belligérants sur les lenteurs constatées, l’opposition peine à se faire entendre. L’idylle entre le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix et le camp de Guillaume Soro s’est achevée aux lendemains de la signature des accords de Ouagadougou et des rumeurs de deal secret passé entre le représentant des FN et le président, le premier étant censé aider le second à conquérir électoralement le nord du pays.

Quoi qu’il en soit, le Front populaire ivoirien chasse actuellement sur les terres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et du Rassemblement des républicains (RDR). Il multiplie aussi les visites en pays baoulé et sénoufo. Au grand dam des leaders de l’opposition, qui ont du mal à digérer le « lâchage » des FN et se désespèrent de leur marginalisation ainsi que de la passivité d’une communauté internationale qui a fortement relâché son étreinte sur les protagonistes de la crise. Dans ce contexte, les prochains mois vont être décisifs.

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Sur le plan économique, la Côte d’Ivoire a bénéficié de la confiance engendrée par la signature des accords de Ouagadougou et a connu une croissance de 1,7 % en 2007. L’envolée des cours du pétrole a largement profité au pays, et la hausse des prix du café robusta (+ 30 % en un an), du caoutchouc (+ 10 %) et du cacao (+ 20 %) a permis d’augmenter les revenus des producteurs, négociants et transformateurs. Entre 2004 et 2006, la production de caoutchouc est passée de 136 000 à 169 000 tonnes, celle de noix de cajou de 140 000 à 210 000 tonnes et celle de bananes de 280 000 à 363 000 tonnes. La récolte de cacao a en revanche stagné à 1,37 million de tonnes en 2006, tandis que celle du coton est passée en dessous des 100 000 tonnes.

Bénéficiant de la pacification, les secteurs de la construction et de l’hôtellerie renouent avec les bénéfices. Ainsi, un peu partout dans Abidjan, les immeubles poussent comme des champignons, mais souvent dans la plus grande anarchie et sans véritable stratégie d’urbanisation. L’économie profite également de la hausse des commandes publiques. Parallèlement, la modernisation des régies financières a permis aux autorités d’accroître les prélèvements publics, même si les opérateurs se plaignent de harcèlement fiscal et d’une progression de la corruption. La Côte d’Ivoire a ainsi engrangé 892,2 milliards de F CFA (1,36 milliard d’euros) de recettes d’impôts en 2007, contre 767 milliards de F CFA en 2006.

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Autre bonne nouvelle : le pays normalise peu à peu ses relations avec les bailleurs de fonds, en remboursant ses arriérés de paiement auprès de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la Banque africaine de développement, lesquels ont repris leur appui financier. Les institutions de Bretton Woods ont demandé la mise à jour du Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) pour le troisième trimestre 2008. Un travail qui permettra d’amorcer le processus d’allègement de la dette, estimée à 6 340 milliards de F CFA.

Mais avant cela, les autorités devront assainir les finances publiques et faire preuve de plus de transparence dans la gestion des revenus des hydrocarbures et du cacao. Plus de 400 milliards de F CFA ont été distribués aux organes de régulation de la filière café-cacao depuis 2001, sans que l’on sache ce que sont devenus la plupart de ces fonds. Les revenus des hydrocarbures sont également gérés dans la plus grande opacité, les députés n’ayant pas accès aux rapports annuels des sociétés publiques qui en ont la charge. Pour l’US Energy Information Administration (EIA), la production ivoirienne de pétrole brut s’est élevée à 89 000 barils/jour en 2006 et pourrait atteindre 110 000 barils/jour en 2008. Mais, selon les autorités ivoiriennes, les extractions dépassent à peine 50 000 barils/jour.

Dans le nord du pays, les Forces nouvelles prélèvent toujours des taxes sur le transport terrestre et ferroviaire. Les négociants doivent leur verser pas moins de 600 000 F CFA par camion pour faire transiter leurs noix de cajou vers le sud. Pour échapper aux prélèvements publics, une partie du cacao et du coton ivoirien transite par la zone des FN à destination des ports du Ghana, du Togo, du Bénin ou encore du Sénégal. L’ONG britannique Global Witness estime que les chefs rebelles ont empoché 15 milliards de F CFA sur le négoce du cacao de 2004 à 2006. Ceux-ci sont aussi impliqués dans la production de diamants et d’or, dont le trafic est alimenté par des acheteurs maliens, très actifs dans la région diamantifère de Séguéla. Toutes ces activités parallèles constituent aujourd’hui un frein au redéploiement des services douaniers et du Trésor, particulièrement dans les zones frontalières. Mais les ex-seigneurs de guerre ne sont pas prêts à laisser la place à l’administration sans obtenir de contreparties financières.

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