Yar’Adua va devoir convaincre

Publié le 26 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Pour la première fois dans l’histoire du Nigeria, un civil a transmis le pouvoir à un civil. C’était le 29 mai 2007. Après deux mandats passés à redorer le blason de son pays sur la scène internationale, Olusegun Obasanjo a laissé le fauteuil d’Aso Rock à Umaru Yar’Adua. Membre du People’s Democratic Party (PDP) comme son prédécesseur, discret, voire falot, cet ancien professeur de chimie, ex-gouverneur de l’État de Katsina (Nord), a été désigné le 21 avril au terme d’élections générales (désignant les représentants des assemblées locales, 36 gouverneurs, 109 sénateurs, 350 députés et le chef de l’État) entachées d’irrégularités. Au cours de cette parodie sanglante de démocratie, près de 200 personnes ont trouvé la mort, les urnes et les listes ont été ostensiblement truquées par le parti au pouvoir comme par ceux de l’opposition, les électeurs ont été intimidés et les résultats contestés par les perdants, dont certains – notamment l’ancien vice-président Atiku Abubakar et l’ancien président Mohamed Buhari (au pouvoir de 1984 à 1985) – ont porté plainte devant des tribunaux électoraux.

Si le Nigeria a évité le traditionnel piège du traficotage de la Constitution pour permettre au chef de l’État sortant de briguer un troisième mandat – Obasanjo a bien essayé mais il en a été empêché par le Sénat –, il est en revanche retombé, comme en 2003, dans celui de la violence politique. Trop préoccupée par la stabilité du premier producteur de pétrole africain à l’heure où le baril frôlait les 100 dollars, la communauté internationale a très discrètement condamné le processus. Précision : les États-Unis, qui avaient envoyé des observateurs, réalisent 10 % de leurs achats de pétrole brut au Nigeria, et le stock des investissements français y est équivalent à celui totalisé dans le reste des pays de l’Afrique de l’Ouest. Européens et Américains se sont aussi probablement souvenus que le moindre soubresaut dans le pays le plus peuplé du continent – 134 millions d’habitants – pouvait avoir des conséquences dans toute la sous-région.

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Dépourvu de la légitimité des urnes, Yar’Adua, 55 ans, s’est glissé dans ses habits de président dès le lendemain de son investiture. Effets de boubou ou volontarisme, il s’est montré omniprésent sur la scène politique, s’exprimant sur tous les sujets brûlants. La crise dans le Delta du Niger qui fait fuir les investisseurs étrangers et baisser la production pétrolière (de 25 % en 2007, à 1,8 million de barils par jour) ? Il annonce qu’il sollicitera le concours de l’ONU. La corruption et la délinquance en col blanc qui privent les Nigérians de recettes considérables ? Il se dit favorable à la « tolérance zéro », précisant qu’aucun des gouverneurs sortants ne doit être épargné par la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers. La grogne de l’opposition ? Il rétorque qu’il en a tenu compte en formant un gouvernement « de large ouverture ».

Sur la scène internationale aussi, ce nouveau venu en diplomatie tente de s’affirmer : il se montre au sommet du G8 en juin, s’entretient avec Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, et impose ainsi au reste du monde le Nigeria comme puissance incontournable du continent. Soupçonné d’avoir obtenu l’investiture du PDP sous la pression d’Obasanjo, qui espérait tirer les ficelles de sa marionnette, il s’est révélé plus indépendant que prévu à l’égard de son père spirituel. Deux des quatre raffineries du pays, en cours de privatisation, devaient être attribuées à des proches de son prédécesseur : Yar’Adua a suspendu le processus d’adjudication dès le premier mois de son mandat. Le fermier d’Otta a prévu une hausse conjointe de la taxe sur la valeur ajoutée et des prix de l’essence qui doit entrer en vigueur en juin, juste après son départ d’Aso Rock : Yar’Adua annule une mesure particulièrement impopulaire au pays de l’or noir. Les députés contestent les dépenses somptuaires (5 millions de dollars pour l’achat de mobilier et de douze voitures) de la présidente de la chambre basse du Parlement, Patricia Etteh, ancienne esthéticienne proche d’Obasanjo : Yar’Adua laissera faire la justice, et la présidente sera contrainte de démissionner, le 30 octobre.

Pour autant, le nouveau chef de l’État n’a pas encore fait entrer le Nigeria dans l’ère de la transparence. Le pays reste parmi les plus corrompus de la planète. Le 1er janvier, le limogeage de Nuhu Ribadu, directeur général de la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC) et fidèle serviteur d’Obasanjo, est intervenu moins de trois semaines après l’arrestation par l’EFCC d’un proche de Yar’Adua. La coïncidence est étrange, et l’opinion n’a pas manqué de le remarquer.

Le gouvernement affiche en revanche sa bonne volonté pour éviter que le Delta du Niger ne s’enlise dans la violence : par l’intermédiaire du vice-président Jonathan Goodluck, lui-même natif de l’État de Bayelsa, Yar’Adua a tenté de nouer un dialogue avec les milices qui, à coups d’enlèvements et de sabotages, réclament un meilleur partage des ressources pétrolières. Il a également accédé à l’une de leurs requêtes en faisant libérer Mujahid Asari-Dokubo, personnage emblématique de la lutte des Ijaws, l’une des principales ethnies locales. Insuffisant, du point de vue du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND), le principal groupe activiste de la région : en guise de vœux pour la nouvelle année, il a promis, début janvier, une « lutte sanglante en 2008 ». Fin 2007, la violence dans la zone avait déjà empiré : plusieurs attaques meurtrières ont été lancées à Port-Harcourt, capitale de l’État de Rivers ; pendant les nuits de Noël et du nouvel an, sept policiers ont été tués par des activistes.

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Le problème de la répartition des richesses ne se cantonne pas au sud du pays. Grâce à la flambée des cours de l’or noir, la Banque centrale a engrangé, en 2007, plus de 51 milliards de dollars de réserves de change. En 2006, elle en avait amassé 43 milliards. L’année 2008 promet une aussi bonne moisson. Mais pendant que les caisses se remplissent, chaque jour, plusieurs heures durant, les coupures de courant perturbent la vie des habitants et l’activité des entreprises. Des immeubles s’écroulent dans Lagos, capitale économique et deuxième ville du continent avec ses 15 millions d’habitants, que le mauvais état et la désorganisation des transports collectifs contraignent à se déplacer à pied ou en voiture, dans les interminables embouteillages. Au Nigeria, producteur de pétrole depuis les années 1960, premier du continent et onzième de la planète, plus de 70 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour. Le pays figure au 158e rang (sur 177) du classement du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) selon l’indice de développement humain.

Dans son discours d’investiture, le nouveau chef de l’État avait promis de prendre à bras-le-corps le problème de l’électricité, et même de déclarer le secteur en « état d’urgence ». Urgence toute relative puisque, près d’un an plus tard, il n’en est toujours rien. À la même occasion, il s’était également engagé à lutter contre le sida et le paludisme (l’espérance de vie atteint à peine 44 ans), à fournir un logement décent à chacun des 134 millions de Nigérians, à combattre le chômage (qui touche l’essentiel des habitants), ou encore à augmenter le taux de scolarisation (près d’un tiers de la population est analphabète). Autant de vœux que la population a appris à considérer avec circonspection.

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