Tripoli courtisé, Kadhafi réhabilité

Publié le 25 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Traité en paria durant des décennies, le régime libyen a franchi en 2007 les dernières étapes de sa réintégration au sein de la communauté internationale. L’ultime crise diplomatique a pris fin en juillet avec la libération des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus depuis 1999 et accusés d’avoir volontairement inoculé le virus du sida à des enfants libyens. De l’aveu même de Seif el-Islam, le fils du colonel Kadhafi, les infirmières étaient des boucs émissaires. Leur détention était une réplique au « chantage » qu’aurait subi la Libye dans le règlement des contentieux consécutifs aux attentats contre le Boeing de la PanAm au-dessus de Lockerbie en 1988 et contre le DC-10 d’UTA en 1989. Le récit des tortures subies et des procès rocambolesques successifs, relatés par les infirmières après leur libération, a donné une image peu flatteuse du système judiciaire libyen.

Cette face cachée de la Libye, les immigrés africains la connaissent également. De nombreuses allégations de recours à la torture et à des traitements inhumains et dégradants dans les centres de rétention pour migrants ont été rapportées par Human Rights Watch. Soucieuse de réglementer son marché du travail, mais aussi de répondre aux attentes européennes en matière de contrôle de ses frontières, la Libye expulse depuis le 16 janvier 2008 tous les migrants irréguliers présents sur son territoire. Sur 2 millions d’étrangers, 60 000 seulement sont en possession d’un permis de travail et de titres de séjour. Et les autorités ne semblent pas faire de différence entre immigrants et demandeurs d’asile. Cette dernière catégorie est d’ailleurs inexistante en droit libyen.

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Malgré un bilan désastreux en matière de droits de l’homme, le colonel Kadhafi est donc redevenu fréquentable. Il a même bénéficié d’un accueil en grande pompe à Paris en décembre 2007, lors de sa visite d’État controversée de cinq jours, puis à Madrid. La visite effectuée début janvier aux États-Unis par le chef de la diplomatie libyenne, Abderrahmane Chalgham, a scellé la normalisation des relations bilatérales entre Washington et Tripoli. Son homologue américain, Condoleezza Rice, a émis le souhait de se rendre en Libye prochainement, ce qui serait la première visite d’un secrétaire d’État depuis 1953. Autre signe de cette nouvelle respectabilité : l’attribution à la Libye de la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU, en janvier 2008, après son élection comme membre non permanent pour deux ans.

La Libye négocie peu à peu son passage vers une économie de marché. Les fortunes privées, favorisées par la très faible fiscalité, sont réinvesties et deviennent plus apparentes. L’initiative individuelle est particulièrement visible au niveau des petits commerces, qui changent le visage des villes libyennes. La capitale se transforme à vue d’œil. À chaque coin de rue, on construit, profitant de crédits immobiliers à taux bonifiés. Parallèlement, l’État investit massivement dans les infrastructures : nouvel aéroport de Tripoli (d’une capacité de 9 millions puis de 20 millions de voyageurs, contre 3 millions actuellement) pour un montant de 1 milliard d’euros, extension des aéroports de Benghazi et Sebha, achat d’une quarantaine d’Airbus par les compagnies Libyan Airlines et Afriqiyah Airways, construction de ports en eau profonde, projet de chemin de fer reliant les frontières tunisienne et égyptienne, nouvelles centrales électriques à cycle combiné, stations de dessalement d’eau de mer, extension des réseaux de téléphonie, réalisation d’une liaison en fibre optique de 7 000 kilomètres, autoroute est-ouest, réseau d’universités, équipements de défense… Sans oublier le projet d’achat d’un réacteur nucléaire nouvelle génération pour la production d’électricité et le dessalement.

Le budget d’investissement est passé de 8 milliards à 12 milliards de dollars en 2007, en plus de la dotation du plan 2008-2012 qui s’élève à quelque 130 milliards de dollars. À cela s’ajoutent les projets de méga-cités réalisés par de grands constructeurs émiratis, les nombreuses tours de bureau et des hôtels de luxe. Le délai imposé pour la majorité des projets est le 1er septembre 2009, date de la célébration du quarantième anniversaire du coup d’État de Mouammar Kadhafi : les milliers de visiteurs attendus doivent tous pouvoir être accueillis ! Ces projets sont accompagnés par les consultants internationaux, à l’instar de Booz Allen Hamilton, Cera et, surtout, l’américain Monitor, qui accompagne la « Nouvelle stratégie économique » du pays. Ce dernier a notamment participé à la création, en février, du Libyan Economic Development Board, élaboré à l’image d’une institution singapourienne.

Forte de ces investissements permis par le niveau élevé des recettes pétrolières et des réserves en devises – plus de 60 milliards de dollars, soit près de cinq ans d’importations –, la Libye a connu une croissance économique systématiquement supérieure à 5 % depuis 2003. Celle-ci est estimée à 9,2 % pour 2007, et le FMI table sur 8,8 % pour 2008. Mais l’augmentation des dépenses de l’État aurait également contribué à alimenter une inflation à deux chiffres, estimée à près de 11 % en 2007.

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La Libye se voit déjà comme un hub international, à l’instar de Dubaï, mais son économie est encore trop dépendante des hydrocarbures (95 % des exportations). Les indicateurs de la Banque mondiale témoignent en outre d’une mauvaise gouvernance. La politique économique demeure floue, tandis que les luttes d’influence au sein du pouvoir opposent les partisans de l’économie libérale aux tenants du Livre vert, que le régime se refuse de désavouer.

D’autre part, les rumeurs sur l’état de santé du colonel Kadhafi relancent la question de sa succession. Ses enfants détiennent déjà une partie des leviers du pouvoir. Seif el-Islam, qui apparaît comme le leader de la rupture, occupe le devant de la scène et sert de gage de modernité. Si Béchir Salah gère les actifs libyens en Afrique, Seif garde la main sur les investissements en Europe et à l’intérieur du pays. Seif el-Islam joue toutefois une partie serrée face au chef du renseignement militaire, Moussa Koussa. En fait, son influence, réelle ou supposée, varie d’un jour à l’autre. Certains spéculent sur un passage de témoin du père au fils durant les festivités du quarantième anniversaire, mais d’autres imaginent une succession bicéphale, avec Seif comme « gouverneur civil » et son frère Motassem à la tête de la sécurité. Ce dernier, aussi ambitieux que Seif et aussi violent que Saadi, a pris en 2007 la tête du Conseil national de sécurité. Associé au nouvel holding financier libyano-américain Phoenicia, il a également la confiance de son père et l’appui d’une partie de la vieille garde.

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Quant à Saadi, il s’est vu confier la future zone de libre-échange de Zhara-Abu Kamash et commande, comme ses frères Hannibal et Khamis, une unité d’élite de l’armée. Enfin, Aïcha Kadhafi, la fille du Guide, dirige la Fondation Wattasimo, qui joue un rôle social, et participe aussi à de nombreux salons et conférences internationales.â©Le gouvernement demeure pour beaucoup une équipe de figurants, qui masque les véritables circuits décisionnaires. L’optimisme affiché n’empêche pas le mécontentement de la population, d’autant que les projets de construction entraînent de nombreuses expropriations. Mais les opposants sont toujours incarcérés et la presse toujours muselée.

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