Ben Ali, vingt ans après

Publié le 25 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Le président Zine el-Abidine Ben Ali a célébré le vingtième anniversaire de son arrivée au pouvoir, le 7 novembre 2007. Et, si l’on en croit les slogans régulièrement scandés par les militants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) ou les confidences des ministres qui sillonnent déjà le pays pour promouvoir sa candidature, le chef de l’État s’apprêterait à briguer un cinquième mandat de cinq ans en 2009.

Répliquant aux critiques faites au régime pour sa rigidité vis-à-vis de l’opposition ou des médias, Ben Ali fait déjà des promesses : la censure et les interdictions de publications seront « du seul ressort de la magistrature » et le « contrôle administratif » sur les publications et les œuvres artistiques sera supprimé. Autre mesure annoncée, l’amendement du code électoral, qui abaissera l’âge minimum de l’électeur de 20 ans à 18 ans et permettra à l’opposition de briguer 25 % des sièges de la Chambre des députés et des conseils municipaux (contre 20 % actuellement) ; parallèlement, le nombre de bureaux de vote sera réduit pour accroître le nombre d’observateurs. Enfin, le montant des subventions budgétaires allouées aux partis représentés au Parlement sera doublé, et celles octroyées aux journaux vont sensiblement augmenter.

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Mais que reste-t-il de cette presse et de ces partis politiques qui émergeaient dans les années 1980 ? En fait, ce sont surtout les organisations affiliées au régime qui se sont développées, alors que l’hégémonie du RCD sur le paysage politique paraît incontestable. Avec ses deux millions d’adhérents, il rassemble à lui seul 20 % de la population. Face au rouleau compresseur de la majorité présidentielle, les adversaires du régime ont bien du mal à se faire entendre. Toutefois, la création d’un syndicat de journalistes, le 13 janvier 2008, dont la direction affiche son indépendance à l’égard du pouvoir, laisse entrevoir une meilleure défense des intérêts de la profession et du pluralisme des médias. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) entend bien multiplier les prises de position en faveur de l’amélioration des conditions de travail de ses membres ainsi que de leur liberté d’expression. D’ailleurs, lors du congrès constitutif, les ténors proches du pouvoir ont été recalés, la majorité des congressistes ayant préféré voter pour des professionnels indépendants.

De l’aveu même des détracteurs du régime, le bilan est globalement positif sur le plan économique. Le pays jouit d’une relative paix sociale et la bonne santé économique ne cache pas de misère sociale. Avec une croissance de 6 % en 2007, la Tunisie a presque atteint son objectif de 6,1 %. Entre 1995 et 2006, le PIB a augmenté de 4,8 % par an en moyenne ; et de 5,2 % en 2006. La tendance est à la hausse.

Cette croissance s’explique d’abord par le dynamisme de la consommation intérieure, alimentée depuis 2002 par les crédits à la consommation. Près de 80 % des Tunisiens sont propriétaires de leur logement. La plupart possèdent une automobile et sont équipés en électroménager. Certes, la classe moyenne tunisienne, contrairement à d’autres pays voisins, vit au-dessus de ses moyens. Mais cette consommation joue un rôle primordial pour la vigueur de l’économie. Et le taux moyen d’endettement, qui avoisinerait 40 %, reste raisonnable comparé à celui de nombreux pays riches ou à revenu intermédiaire, parfois supérieur à 200 %.

La croissance est également stimulée par les services, notamment les télécommunications (centres d’appels), et surtout par les exportations. L’industrie textile (un quart des exportations) a retrouvé une meilleure ­compétitivité, tout comme les composants pour automobile et les équipements aéronautiques. La Tunisie a joué très tôt la carte d’entreprises offshore totalement exportatrices (2 703 sociétés, dont plus de la moitié sont 100 % étrangères) dans un environnement défiscalisé. L’arrimage du dinar à l’euro et la dépréciation contrôlée de 5 % par an ont contribué à la bonne résistance des exportations. Le déficit commercial se réduit, avec un taux de couverture proche de 80 % en 2007. Depuis le 1er janvier 2008, la Tunisie constitue en outre une zone de libre-échange avec l’Union européenne pour les produits industriels.

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Deuxième source de recettes après le textile, le tourisme a rapporté 1,7 milliard d’euros (+ 3 %) avec 6,7 millions de visiteurs en 2007. La clientèle est composée essentiellement de Libyens (1,5 million), de Français (1,34 million) et d’Algériens (950 000). Le secteur touristique offre toutefois un panorama contrasté, trop centré autour du balnéaire, trop saisonnier et très dépendant des tour-opérateurs, qui vendent principalement des packages peu lucratifs pour le pays. L’État essaie actuellement de rénover et de diversifier l’offre tunisienne autour de projets haut de gamme – thalassothérapie, golf, désert – et pourvoyeurs de devises.

Plus généralement, les équilibres financiers externes de la Tunisie sont maîtrisés. La privatisation partielle de Tunisie Télécom, en 2006, a rapporté environ 2,3 milliards de dollars et permis de faire passer les réserves en devises de trois à plus de cinq mois d’importations, tout en remboursant une partie des dettes publiques. La Tunisie a en outre réussi à réduire pour quelques années sa dépendance énergétique en remettant en service certains gisements pétroliers dans un contexte de hausse des prix.

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Fort de sa crédibilité financière, qui lui donne accès au marché financier international, le gouvernement lance de nouveaux projets, comme la création d’un marché boursier dédié aux petites et moyennes entreprises et, surtout, la construction d’un nouvel aéroport d’une capacité d’accueil de 5 millions à 7 millions de passagers à Enfidha (75 km au Sud de Tunis). La ville d’Enfidha est appelée à devenir un pôle industriel et commercial. Le gouvernement s’est en effet engagé à investir 380 millions de dollars pour la première phase d’un gigantesque port situé à proximité : un terminal à conteneurs d’une capacité annuelle de 5 millions de conteneurs (3 600 m de quais) et un terminal polyvalent d’une capacité de 4,5 millions de tonnes sur 1 400 m de quais. L’année 2008 sera donc celle du démarrage de plusieurs grands projets, dont une majeure partie repose sur des investissements provenant du golfe Persique.

Quant au secteur privé, il reste dominé par une vingtaine de groupes, souvent familiaux et constitués en conglomérats hétérogènes (industrie, distribution, banque…), qui peinent à se concentrer sur une activité dominante. Parmi eux, les trois « champions » nationaux que sont Poulina, Mabrouk et Utic (Ulysse Trading and Industrial Companies) tiennent la corde, suivis de holdings plus modestes comme Bayahi, One Tech, Mzabi, Bouricha, Ben Yedder, Chakira ou encore Med Business Holding, de Imed Trabelsi. Présentes depuis des décennies, ces familles jouent un rôle crucial dans l’économie tunisienne.

Le pays étant faiblement doté en ressources naturelles, l’incontestable réussite du modèle économique tunisien doit beaucoup à l’investissement constant des autorités dans la formation. La Tunisie exporte d’ailleurs de la main-d’œuvre qualifiée (électronique, ingénierie, informatique). Sur le plan social, on ne peut reprocher à l’État de s’être désengagé, bien au contraire. Au-delà du fameux Fonds social de solidarité 26-26, dont la dotation est évaluée à 1 % du PIB, le pays investit près de 20 % de son PIB dans le social. Ainsi, la Tunisie consacre 8,1 % de son PIB à l’éducation, et près de 90 % de la population bénéficie d’une couverture sociale. Le taux de chômage reste cependant très élevé, avec plus de 14 % de la population active sans emploi, notamment chez les jeunes diplômés. En outre, quand ces derniers trouvent du travail, il s’agit souvent de postes subalternes et mal rémunérés.

Bénéficiant largement des dépenses publiques, le niveau et la qualité de vie de la population tunisienne sont indéniablement plus élevés que dans les pays voisins. Toutefois, plutôt déçus par l’évolution de leur environnement politique, les Tunisiens se concentrent sur leur vie privée. Et se réfugient parfois dans la sphère religieuse, ce qui ne manque pas de susciter l’inquiétude des défenseurs de la laïcité, un point sur lequel le pays s’est longtemps montré à l’avant-garde dans le monde arabe.

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