Pas de gouvernement islamiste

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

C’était la grande inconnue de l’année 2007. Les législatives du 7 septembre allaient-elles se solder par une victoire des islamistes, voire par leur entrée au gouvernement ? Ce ne fut pas le cas : le Parti de la justice et du développement (PJD) s’est finalement incliné devant le Parti de l’Istiqlal (voir encadré). Les socialistes de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) ont, quant à eux, reçu une véritable gifle électorale. Arrivés premiers aux législatives de 2002, ils se retrouvent désormais au second plan de l’échiquier politique. La gauche, grande perdante du scrutin, ne contrôle plus aucune région. En fait, le véritable vainqueur de ces élections a été l’abstentionnisme, qui a atteint le record de 63 % !

C’est donc au patron de l’Istiqlal, Abbas El Fassi, personnalité peu charismatique du monde politique, qu’est revenue la charge de former un gouvernement. Malgré les difficultés rencontrées pour réunir un consensus, l’équipe a pu être constituée sur la base d’une majorité composée de quatre partis : l’Istiqlal, le Rassemblement national des indépendants (RNI, centre droit), l’Union socialiste des forces populaires et d’anciens communistes ralliés de longue date à la monarchie, le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Parmi les nouveautés : un nombre accru de femmes – on en compte sept au total –, qui occupent cependant des postes traditionnellement considérés comme « féminins » (éducation, santé, jeunesse, culture, famille…). Seule exception : Amina Benkhadra, nommée ministre de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement, qui a déjà fait ses preuves sous Hassan II. Quant au programme, il reprend intégralement le discours du trône de Sa Majesté, a indiqué le nouveau Premier ministre… Dans les rangs de l’opposition, on retrouve, aux côtés du PJD, le Parti travailliste, le Parti socialiste unifié (PSU) et, pour la première fois, le Mouvement populaire.

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Si tremblement de terre il y eut, ce fut au sein des partis politiques. Trois dinosaures devenus impopulaires ont été plus ou moins poussés à la sortie. Mohamed El Yazghi, 72 ans, actuellement ministre d’État sans portefeuille, a quitté provisoirement la tête de l’USFP. Sa succession pourrait être assurée par l’ancien ministre des Finances, Fathallah Oualalou. Après l’échec électoral de septembre 2007, Mahjoubi Aherdane, 94 ans, a rendu les clés du Mouvement populaire. Son exemple a été suivi par Ahmed Osman, 77 ans, ex-leader du RNI. Ces démissions suffiront-elles à régler les crises internes et à faire un peu de place à une jeunesse jusqu’ici confinée au monde associatif ? Autre signe d’un changement d’époque : le décès, en août, de Driss Basri, inamovible ministre de l’Intérieur et bras droit de Hassan II durant les années de plomb. Avec lui sont désormais enterrés tous les secrets d’État qu’il menaçait de révéler depuis son exil parisien.

L’un des défis du nouveau gouvernement pour l’année 2008 est celui de la sécurité et de la lutte contre les mouvements islamistes armés. Les services de renseignements travaillent à plein régime, appuyés par un maillage policier très efficace. Le 11 mars 2007, un kamikaze s’est fait exploser dans un cybercafé de Sidi Moumen, à Casablanca. Le 10 avril, la police abattait dans la même ville un kamikaze qui s’apprêtait à commettre un attentat. Six autres suivront, qui ne feront d’autres victimes qu’eux-mêmes et un officier de police.

Enfin, le 18 février 2008, un coup de filet a permis l’arrestation de 35 personnes, dont Abdelkader Belliraj. Ce dernier est présenté par les autorités marocaines comme le chef d’un réseau criminel. Les prévenus ont été poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’État et constitution de bande criminelle en vue de commettre des actes terroristes. Si la candidature de Tanger à l’Exposition internationale de 2012 a été rejetée à la fin de l’année au profit de la sud-coréenne Yeosu, la dynamique engagée par la ville ne devrait pas retomber, et les travaux d’infrastructures déjà budgétisés seront menés à leur terme (port de plaisance, espaces verts, réseaux de transport, etc.). Le nord du pays (essentiellement Tanger-Tétouan) connaît d’ailleurs un nouvel essor. L’inauguration du complexe portuaire intégré TangerMed, en chantier depuis 2002, ajoutée au lancement d’un TangerMed 2 avec un port à conteneurs encore plus important que le premier y sont pour beaucoup. Le projet modifie les équilibres du commerce maritime régional tout en s’appuyant sur de nouvelles zones franches. Et la demande est réelle, comme le confirme la décision annoncée en septembre par le groupe français Renault d’implanter une usine près de Tanger. Le constructeur prévoit de produire 200 000 voitures par an sur un site de 300 hectares. Représentant un investissement de plus de 600 millions d’euros, ce projet fait d’ores et déjà de TangerMed un succès, puisque près de 200 sous-traitants auraient manifesté leur intérêt pour la zone.

La future ligne de TGV Tanger-Casablanca-Marrakech ajoutera à cette dynamique en fluidifiant les transports. Longtemps laissée à l’abandon et à la culture du cannabis, la région nord se découvre enfin de nouvelles perspectives. Mais déjà, les prix de l’immobilier flambent, comme ils le font d’ailleurs sur l’ensemble du pays. Même si les autorités marocaines refusent encore de la nommer ainsi, c’est bien une bulle qui semble se former. Les constructions se poursuivent sans répit à la grande joie des cimentiers et des banquiers, qui distribuent des crédits immobiliers. Alors que le prix du mètre carré peut atteindre jusqu’à 4 000 euros, les laissés-pour-compte n’ont plus qu’à s’en remettre aux programmes de logements sociaux.

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Avec la concrétisation des grands chantiers (autoroute Casa-Marrakech, première marina du Bouregreg, extension de l’aéroport de Casablanca, tramway Rabat-Salé…), les raisons d’investir se multiplient. Alors que, quelques années auparavant, les investissements directs étrangers se résumaient à des privatisations, leur niveau se renforce (5,2 milliards de dollars en 2007) alors que les privatisations se tarissent. Une forme de confiance s’installe parmi les opérateurs étrangers, qui apprécient la réforme bancaire, le Plan Azur (qui vise à dynamiser le tourisme) et le Plan Émergence (industrie). Même si la conjoncture demeure fragile et que le montant des investissements rapporté au PIB reste très éloigné des niveaux atteints par les dragons d’Extrême-Orient, les choses bougent au Maroc, qui prend pour la première fois des allures de pays émergent.

Les lacunes n’en sont pas moins réelles. Des réformes essentielles peinent à voir le jour : celle de l’agriculture, qu’il faut rendre plus productive, moins centrée sur les céréales, et plus indépendante de la pluie ; celle de la justice (formation des magistrats) ; ou encore celle du système foncier, soumis à une superposition compliquée de régimes anciens. Reste aussi, et surtout, les secteurs sociaux, dans un pays qui connaît 45 % d’analphabétisme. Autre point négatif : le creusement du déficit commercial. Les exportations ont bien moins augmenté que les importations et, pour la première fois en sept ans, les transferts financiers des Marocains résidant à l’étranger et les revenus du tourisme ne suffiront pas, malgré leur bonne tenue, à équilibrer la balance courante. Plus de 7 millions de touristes ont pourtant visité le Maroc en 2007, rapportant plus de 4,4 milliards d’euros. Quant à l’inflation (2,1 % en 2007, contre 3,3 % en 2006), elle devrait être mieux contrôlée en 2008. Enfin, la mauvaise campagne agricole a lourdement pesé sur la croissance 2007, qui s’est établie à 2,5 %, contre plus de 7 % en 2006. Une évolution de taille se dessine cependant au Maroc : alors qu’une mauvaise récolte se soldait systématiquement par une véritable récession, les contre-performances de l’agriculture n’entraînent plus aujourd’hui qu’un tassement de la croissance. La diversification progressive de l’économie marocaine commence à porter ses fruits.

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