Abidjan donne le tempo

L’Afrique danse sur des airs ivoiriens. Depuis cinq ans, coupé-décalé, zouglou et reggae occupent le haut de l’affiche. Sans partage…

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Exit les Koffi Olomidé, Papa Wemba, Werrason, et autres Extra Musica ? Quand on parle de musique africaine, les Ivoiriens sont à la fête. Discothèques, concerts, radios et télévisions sont submergés par une déferlante, dont la crête n’est autre que le coupé-décalé. Plus que jamais, les DJ venus d’Abidjan sont incontestablement les maîtres du son : Erickson le Zulu, Lewis, Maréchal, Francky DiCaprio, Rodrigue, TV5 et la Dream Team occupent le haut de l’affiche, catalyseurs d’un mouvement né en réponse aux bruits de bottes qui ont ébranlé la Côte d’Ivoire un certain 19 septembre 2002.

Le coupé-décalé a été créé et ramené de France par une bande de jeunes Ivoiriens qui ont voulu tenter l’aventure hexagonale dans les années 1990, avec, à leur tête, Stéphane Doukouré, dit Douk Saga (décédé le 12 octobre 2006). Autoproclamé « président de la Jet-Set » ivoirienne à Paris, Douk Saga emmène sa clique sur les bords de la lagune Ébrié. « Je suis arrivé comme un messie, avec mon lot de joie et de gaieté, pour enjailler [de l’anglais enjoy, amuser, repris dans l’argot ivoirien, NDLR] le peuple ivoirien qui a trop pleuré et souffert de la guerre », relate-t-il dans une de ses dernières chansons. Avec d’autres jeunes, ils s’enferment dans les bars et boîtes de nuit à l’heure du couvre-feu, pour n’en sortir qu’au petit matin. Sous les atalaku (éloges chantés) faits par les DJ aux clients les plus fortunés, le champagne coule à flot, les billets de banque – euros et dollars de préférence – changent de poches et les danseurs rivalisent d’endurance autant que d’imagination. « On a vu la chose venir, mais cela nous a très vite dépassés, se souvient Claude Bassolé, directeur commercial de Showbiz, la plus importante maison de distribution en Côte d’Ivoire. Comment croire que le fait de sampler les beats congolais, couplés à une animation et des paroles qui frisent l’à-peu-près, aurait pu devenir un tel phénomène musical ? »

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Quoi qu’il en soit, le succès est tel qu’il a propulsé sur le devant de la scène une nouvelle génération d’artistes, dont la réussite a éclipsé les ténors de la musique ivoirienne que sont Meiway, Aïcha Koné ou Gadji Celi. Mieux, dans les autres pays d’Afrique, les nouveaux venus ont supplanté les Koffi Olomidé, Papa Wemba, Werrason et tout le gotha congolais qui donnaient le rythme au continent depuis une trentaine d’années. Oubliés le soukouss et le ndombolo, fondus avec d’autres rythmes pour donner le coupé-décalé, qui a permis aux artistes ivoiriens de réussir là où les congolais avaient échoué : se faire adopter par les mélomanes d’autres continents.

Comme un ressac, la vague coupé-décalé est en effet revenue en France, où elle a été rapidement adoptée par la diaspora afro-caraïbéenne. « Avant, la musique congolaise dominait le continent avec le ndombolo et le soukouss, explique Mokobé [rappeur français d’origine malienne, membre du groupe 113, NDLR]. Aujourd’hui, c’est le coupé-décalé qui fait danser les Africains. » C’est d’ailleurs Mokobé qui contribuera à ancrer définitivement ce rythme en France, avec ses nombreux featurings associant des musiciens ivoiriens. Côté format, « cette musique est plus accessible, confie le directeur d’une station radio parisienne. Nous avons toujours eu un problème avec les chansons congolaises et leurs six, sept, voire dix minutes de durée. Cette façon de s’étaler en longueur les a toujours desservis. »

Les Ivoiriens ont une boutade : « Abidjan n’a plus dix communes, mais plutôt douze… avec Ouagadougou et Cotonou ! » Et au-delà, à Bamako et Lomé, Erickson le Zulu et ses compères sont de véritables stars. Désormais, on trouve aussi de l’atalaku yorouba (Bénin et Nigeria), du coupé-décalé wolof, et même du décalé chinois…

Arnold Sènou, écrivain et journaliste béninois, s’en émerveillait déjà en 2005 : « Mon respect tout entier va vers ces chanteurs et groupes ivoiriens. Oui, avec leur coupé-décalé, ils ont tout “saccagé” sur leur chemin, en ce sens que nombre de nouveaux groupes béninois qui se créent aujourd’hui ne jurent plus que par cette musique… » Claude Bassolé avance une explication à cet engouement qui frise parfois l’hystérie : « C’est une affaire de génération. À chacun sa façon de consommer. L’ancienne école était rumba, paroles et mélodies, la nouvelle mise sur le look et le style, elle en jette. Les chanteurs de coupé-décalé font rêver, avec leurs beaux vêtements, leur allure sur scène. Côté spectacle, ils assurent ! Maintenant, tout le monde fait comme eux, les Congolais autant que les grands artistes ivoiriens. Même les chanteurs de zouglou ont été fouettés dans leur orgueil par les nouveaux DJ. »

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Le zouglou, rythme – et philosophie revendiquée – imposé par les étudiants et devenu un exutoire de tous les maux de la société, est l’autre élément de la vague musicale ivoirienne qui domine l’Afrique. Ses ténors actuels, Yodé et Siro, Espoir 2000 et les Magic System, ont bénéficié et profité de la popularité du coupé-décalé pour s’imposer complètement en Afrique, puis en Europe et petit à petit au sein de la diaspora des États-Unis. Mais ils restent fidèles au genre qu’ils pratiquent et ne manquent aucune occasion de marquer leur différence. « On nous demande encore quel genre de musique nous faisons et nous répondons inlassablement : c’est du zouglou. Les gens pensent souvent que c’est du coupé-décalé, alors que le coupé-décalé est un dérivé du zouglou », explique A’Salfo, de Magic System.

Le zouglou tient la dragée haute à la rumba congolaise, à la langueur de laquelle il oppose une rythmique plutôt afro-zouk. À Ouaga, Bamako, Dakar ou Douala, les titres « Je t’aime » d’Espoir 2000 et « L’un pour l’autre » de Soum Bill figurent en bonne place dans les « séquences tendresse » des soirées.

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Dans un autre registre, Alpha Blondy, pape du reggae africain, a cédé à la tentation du coupé-décalé en s’en inspirant explicitement dans « Gbangban », l’un des titres de son dernier album, Jah Victory. Mais, avec Tiken Jah Fakoly, il montre qu’il n’y a pas que le coupé-décalé qui soit apprécié au rayon de la musique ivoirienne. Grâce à Jah Victory et L’Africain, sortis à la fin de 2007, Alpha Blondy et Tiken Jah s’imposent une fois de plus comme les maîtres de cette musique universelle et intemporelle qu’est le reggae. Ils restent des valeurs sûres de la musique ivoirienne, même s’il faut rendre au coupé-décalé le mérite d’avoir montré au monde la créativité de la jeunesse en enrichissant le registre musical ivoirien. Quant aux grands musiciens congolais, ils n’ont, pour l’instant, trouvé d’autre parade au raz-de-marée que de s’y associer, comme c’est le cas pour Koffi Olomidé.

Les inconditionnels de la musique congolaise misent sur l’entrée en scène de Fally Ipupa. L’ancien chef d’orchestre du Quartier Latin, de Koffi Olomidé, a donné plusieurs concerts à guichets fermés au cours des derniers mois dans la salle surchauffée du Palais de la culture d’Abidjan, haut lieu des grand-messes dédiées au coupé-décalé ! Son producteur, l’Ivoirien David Monsoh, y voit un signe : « Lorsque Fally a fait un concert à Abidjan, j’ai été heureux de voir comment il a rempli la salle : près de 6 000 personnes chantaient de la rumba. Grâce à lui, la musique congolaise revit. Il y arrive parce qu’il fait preuve d’un véritable esprit d’ouverture. C’est un artiste qui n’a pas peur de travailler avec les autres communautés. »

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