Le nouveau paysage audiovisuel panafricain
Plusieurs chaînes de télévision développent des stratégies continentales en mettant l’accent sur le sport et les divertissements.
Le paysage audiovisuel africain est en pleine mutation. Après le boom de la radio FM dans les années 1990 – qui a accompagné celui de la presse privée –, les années 2000 ont été marquées par l’émergence de nouvelles chaînes de télévision, qui ont profité du démantèlement du monopole du secteur public. Dans de nombreux pays francophones, des groupes spécialisés dans les médias, qui étaient souvent déjà propriétaires de journaux ou de radios, ont investi dans la télévision. C’est le cas, en RD Congo, du groupe Raga, propriétaire du réseau de radios FM le plus important du pays, qui a lancé Raga TV à la fin des années 1990. Au Cameroun, Séverin Tchounkeu, le patron du quotidien La Nouvelle Expression, a d’abord lancé avec succès la radio Équinoxe FM, avant de poursuivre avec la création d’une télé éponyme. Même stratégie pour le groupe Wal Fadjri au Sénégal, où Sidy Lamine Niasse a démarré par la presse écrite, poursuivant son développement avec une radio, puis avec la chaîne Walf TV.
Certaines de ces nouvelles chaînes de télévision ont été créées par des câblo-distributeurs de chaînes internationales en Afrique. C’est le cas, en RD Congo, de RTVM, ou de Canal Kin 1 et Canal Kin 2. Au Cameroun, le groupe Spectrum est aujourd’hui propriétaire de STV1 et STV2, lancées en 2003, et la principale chaîne concurrente, Canal 2 International, est elle aussi issue d’un câblo-distributeur. Bref, le paysage audiovisuel s’est diversifié, sans que, toutefois, la nouvelle offre d’images ait véritablement réussi à satisfaire le public.
L’Afrique anglophone n’est pas restée à l’écart de cette révolution, bien au contraire. L’illustration la plus saisissante de la renaissance de la télévision africaine nous vient d’ailleurs d’Afrique du Sud. Dans ce pays, le marché est structuré selon les standards des pays développés, avec un important réseau public animé par SABC et un réseau privé dynamique, constitué notamment de M-Net et du bouquet de chaînes payantes Multichoice, filiale du géant mondial de l’audiovisuel Naspers. La dernière évolution a concerné l’offre payante. En septembre 2007, l’autorité de régulation de l’audiovisuel sud-africain a octroyé cinq nouvelles licences pour exploiter le réseau de la télévision par abonnement, mettant un terme au monopole de Multichoice. Désormais, cette première plate-forme doit compter avec celles de l’opérateur de téléphonie fixe Telkom, du groupe Hosken Consolidated et de deux petits opérateurs, On Digital Media et Walking on Water.
C’est dans ce contexte marqué par une ouverture des marchés nationaux au privé que des projets d’envergure panafricaine commencent à voir le jour. Y compris en Afrique francophone, où, pourtant, le marché de l’audiovisuel privé est loin d’avoir trouvé son équilibre entre les coûts liés à l’achat des droits d’images ainsi qu’à la production et la diffusion, d’une part, et les revenus – essentiellement publicitaires –, de l’autre. On ne peut d’ailleurs pas considérer que les opérateurs du secteur, à l’exception de l’Afrique du Sud, ont encore trouvé le point d’équilibre entre une offre de programmes de qualité et la rentabilité financière. Plusieurs chaînes se sont néanmoins positionnées sur le marché en tant que panafricaines. On peut actuellement les classer en trois catégories : les chaînes lancées hors d’Afrique, qui visent aussi bien la diaspora africaine que le public du continent ; les chaînes lancées depuis un pays du continent, mais avec pour objectif de conquérir une audience au-delà du pays d’origine ; et enfin, les chaînes lancées par des groupes multinationaux qui proposent une déclinaison africaine de leur identité initiale.
3A Télésud est l’exemple type des chaînes de la première catégorie. Lancée à Paris en 1998 par des journalistes et des professionnels de l’audiovisuel africains, 3A Télésud peut être considérée comme la première antenne panafricaine francophone. Le projet a été conçu par la journaliste camerounaise Élise M’Pako, à laquelle se sont associés Constant Némalé et Pierre Bedou, les fondateurs de la chaîne, rejoints dans l’aventure par Sylvie de Boisfleury et Yves Bollanga. Mais dès l’origine, le projet, sous-capitalisé et souffrant d’un cahier des charges trop flou, a rencontré bien des difficultés. Pas de stratégie commerciale et publicitaire, pas de visibilité programmatique, encore moins de ligne éditoriale… Surtout, de nombreux conflits entre actionnaires, gérants et producteurs ont miné un projet qui n’a pas réussi à inspirer confiance aux diffuseurs TPS et Canal Satellite. En 2002, après avoir traversé une grave crise entre associés, 3A Télésud accède à la diffusion satellitaire, mais n’est visible que dans les pays riverains de l’océan Indien. En 2004, elle trouve une place sur le satellite Hot Bird et devient accessible au public d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Et en 2006, elle fait son entrée sur le câble en France et trouve sa place sur le bouquet de Canal Satellite en Afrique. Désormais visible, il lui faut plus de moyens pour enrichir son contenu, qui reste très sommaire. La crise que la chaîne traverse encore actuellement est symptomatique des limites de ce projet sous-financé.
Autre panafricaine, Africable progresse modestement, sans faire de tapage, mais commence à se faire un nom. Née d’un projet soutenu par des intérêts maliens et lancée au départ en France, la chaîne est domiciliée à Bamako. Sa stratégie est fondée sur la diffusion de programmes musicaux, de dramatiques et de journaux des différentes télévisions nationales. Africable a choisi d’être présente sur les bouquets des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Elle est visible dans treize pays et propose des émissions qui intéressent la communauté malienne des pays d’Afrique de l’Ouest, mais aussi du Cameroun, du Congo et du Gabon.
On ne peut pas vraiment la définir comme une chaîne panafricaine. Mais Trace TV, la chaîne musicale black de référence, a une incontestable identité afro-antillaise, du fait des origines de deux de ses fondateurs, le Martiniquais Olivier Laouchez et le Togolais Claude Grunitzky. Lancée avec 3 millions d’euros en 2003 sur les décombres de MCM Africa, elle démarre sur le bouquet de Canal Satellite, ce qui lui permet d’être visible en Afrique et aux Antilles. En 2004, la version en anglais de Trace TV est mise sur orbite et, très vite, la chaîne se tourne vers l’Afrique anglophone. Trace TV, comme la définit son directeur général, Olivier Laouchez, est une chaîne spécialisée dans « les musiques urbaines, les musiques noires et les musiques tropicales ».
Parmi les chaînes anglophones panafricaines, on peut ranger dans la première catégorie The Africa Channel. Cette chaîne panafricaine a été créée en 2005 aux États-Unis par le Zimbabwéen James Makawa, avec le soutien d’Andrew Young, ancien ambassadeur Américain à l’ONU, à travers sa société Goodworks International, et le basketteur de la NBA d’origine congolaise, Dikembe Mutombo. The Africa Channel possède des bureaux à Los Angeles et à Johannesburg et diffuse plus de 1 600 heures de programmes, souvent achetés à des chaînes africaines. Autres chaînes anglophones tournées vers la diaspora, Obe TV et Ben TV, à Londres, ciblent les Africains installés en Grande-Bretagne. Elles sont visibles sur le bouquet Sky de l’opérateur BSkyB, propriété du magnat australien Rupert Murdoch. Les africaines anglophones explorent aussi le créneau de la télévision thématique. Nollywood TV, nouvelle chaîne dédiée au cinéma nigérian, est ainsi accessible sous la formule pay per view sur le bouquet Sky. Elle propose, pour un abonnement mensuel de 15 livres, une sélection de plusieurs centaines de films de Nollywood. Elle est accessible par Internet ou avec un décodeur. Nollywood TV s’inspire de l’américaine Africast TV, lancée en 2005 par Africast Global Media, qui offre d’ailleurs la possibilité de recevoir par Internet ou par le câble plusieurs chaînes africaines : GTV (Ghana), NTA (Nigeria), KTN (Kenya), etc.
La deuxième catégorie de chaînes panafricaines regroupe celles proposées par des opérateurs basés en Afrique. Les sud-africains Multichoice et SABC en sont les leaders. Premier fournisseur de programmes du continent à travers son bouquet DSTV, Multichoice touche 1,4 million de Sud-Africains et 450 000 abonnés dans le reste de l’Afrique, dont 140 000 au Nigeria. Multichoice propose aujourd’hui dans son bouquet 70 chaînes numériques, dont plusieurs sont des créations propres : Channel O, spécialisée dans la musique black et africaine, Africa Magic, chaîne de divertissement qui a lancé avec succès le « Big Brother » africain… Multichoice possède également plusieurs chaînes de sport, déclinaisons de SuperSport.
Dans la troisième catégorie de télévisions panafricaines, on trouve des chaînes internationales qui ont lancé une déclinaison spécifique sur le marché africain. CNBC Africa, MTV Africa, mais aussi SABC Africa, qui symbolise les ambitions panafricaines du pays de Thabo Mbeki. Lancée à Johannesburg en juin 2007, CNBC Africa est une nouvelle chaîne d’information financière africaine. C’est une filiale de Consumer News and Business Channel (CNBC), leader américain de l’information financière télévisée. CNBC Africa s’est positionnée sur ce secteur en pariant sur les perspectives de croissance et de développement du continent. MTV Africa a, pour sa part, adapté son contenu de référence en introduisant de la musique africaine et quelques émissions présentées par des animateurs africains. Le fait que ces grands groupes audiovisuels investissent aujourd’hui sur le continent est un signe du réel potentiel de développement du secteur de la télévision en Afrique. Téléspectateurs et annonceurs africains deviennent des cibles objectives. La musique et le sport, des produits attractifs et fédérateurs. Seul manque à ce jour une chaîne « tout info ».
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