Quand le business fait la charité

Bill Gates, Warren Buffett, George Soros… Les hommes les plus riches du monde mettent une partie de leur fortune au service de l’Afrique.

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Il promeut un capitalisme créatif au Forum économique mondial, il est l’invité d’honneur de la réunion du H8, la commission officieuse réunissant les dirigeants des huit agences des Nations unies en charge de la santé de la planète, il a sa place à la tribune des congrès internationaux sur les grandes pandémies, auxquels il participe avec un investissement conséquent. Lui, c’est Bill Gates, fondateur de Microsoft. Après avoir révolutionné le secteur informatique, il donne, avec son épouse Melinda, un nouveau visage à la philanthropie. La Fondation Bill et Melinda Gates possède le budget le plus important de ce type d’institution : 60 milliards de dollars. La moitié de cette somme provient de la fortune personnelle de l’homme le plus riche du monde, et l’autre moitié de celle de l’homme arrivant deuxième au classement des plus grosses fortunes mondiales, Warren Buffett. En 2006, ce dernier a lui aussi décidé de mettre en pratique la philosophie de leur illustre prédécesseur, Andrew Carnegie, qui, à la fin du XIXe siècle, estimait que « ceux qui réussissent dans les affaires sont plus à même de juger de la marche du monde et doivent donc se retirer pour se consacrer à la dépense de leur fortune ». Buffett verse alors 85 % de sa fortune à la Fondation Gates, qu’il sait efficace et bien gérée. D’autant que, peu de temps auparavant, Bill Gates avait annoncé qu’il quitterait Microsoft pour se consacrer à sa tâche de philanthrope, à la fin de l’année 2008. Grâce à l’addition des dons de ces deux hommes, la Fondation Gates, qui a dépensé 1,5 milliard de dollars en 2006, estime qu’elle pourra attribuer 3,2 milliards de dollars de dons par an à l’horizon 2009.

À l’aise dans son nouveau rôle, Bill Gates s’est fendu, lors du Forum économique mondial de Davos, en janvier 2008, d’un discours aux accents humanistes, vantant les mérites d’un renouveau du capitalisme, un capitalisme « créatif » qui profiterait à toute l’humanité. Et le fondateur de Microsoft d’expliquer que cette notion devait associer les « deux principaux buts de la nature humaine : la satisfaction de ses propres intérêts et l’altruisme ». Pas question, en effet, de demander aux rois du business réunis en Suisse de faire une croix sur leurs bénéfices. Mais simplement d’oser la collaboration entre entreprises, ONG et gouvernements pour que « les aspects du capitalisme servant les plus forts profitent également aux plus pauvres ». Et de citer l’exemple de la campagne Red, lancée à l’initiative de Gates et de Bono, le chanteur du groupe de rock irlandais U2. Ce projet illustre parfaitement ce que se veut le capitalisme créatif : sur chaque produit labellisé Red, les sociétés partenaires, parmi lesquelles Gap, Motorola, Dell, Armani ou encore American Express, prélèvent une somme minime et la reversent au Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Bilan : 50 millions de dollars déjà crédités au bénéfice du Fonds, ce qui fait de Red le plus gros contributeur privé.

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Là réside la force de cette nouvelle forme de philanthro­pie : fonctionner comme une entreprise. Le couple Gates ne saupoudre pas ses milliards sans définir des objectifs ambitieux mais réalistes et sans assurer un suivi de la gestion. Leur fortune aidant, ils peuvent engager des sommes suffisamment importantes pour que les initiatives financées aient réellement un impact. Ainsi, avec un don initial de 753 millions de dollars, ils ont permis la création de l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (Gavi) et de son bras financier, le Vaccine Fund. Objectif : développer les campagnes d’immunisation et favoriser l’élaboration de nouveaux vaccins. Lancée en 1999, Gavi obtient de bons résultats puisque, après une décennie de stagnation, le nombre d’enfants immunisés est de nouveau en augmentation. Les meilleurs résultats s’observent pour le DTPolio, que 71 % des enfants dans le monde recevaient en 2000 ; ils sont aujourd’hui près de 80 %. De gros efforts ont aussi été réalisés pour améliorer la couverture en vaccins contre l’hépatite B, la fièvre jaune et l’Haemophilus influenzae B (Hib), une bactérie responsable de méningites et de pneumonies mortelles. Plus de 90 millions d’enfants des pays en développement ont ainsi été vaccinés contre l’hépatite B alors que, depuis vingt ans, seuls ceux des pays riches bénéficiaient d’une telle protection. Les progrès sont plus lents pour la fièvre jaune et l’Hib, mais 14 millions d’enfants ont déjà été immunisés.

Financer des alliances, des partenariats public-privé d’ampleur internationale est une des options les plus couramment choisies par la Fondation, car cela garantit un bon usage des fonds au sein de projets ambitieux dotés des meilleures compétences. Ainsi Gavi, le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, ou encore la Medicine for Malaria Venture. Ce dernier projet, qui implique des gouvernements, des entreprises pharmaceutiques et des structures publiques, a pour objectif l’élaboration de nouveaux médicaments contre la malaria, efficaces, faciles à administrer et peu coûteux : vingt sont actuellement à l’étude. En s’entourant d’experts reconnus qui ont toute légitimité pour déterminer des priorités de santé publique, le couple Gates est devenu un acteur majeur dont l’ambition est de participer à l’élaboration des politiques de développement, souvent en se basant sur les objectifs du millénaire adoptés par les Nations unies en 2000. Ainsi, le groupe d’experts constituant le panel en charge de la stratégie de la Fondation en matière de santé mondiale regroupe un ancien directeur du National Institute of Health (NIH) américain, un professeur de médecine d’Oxford, le président de la Banque de développement d’Afrique australe, un ancien ministre de la Santé du Botswana, un membre de la commission sida du gouvernement indien, ou encore le président du groupe Novartis. Dernière initiative en date, un programme de cinq ans, lancé en novembre 2007 et doté de 100 millions de dollars, destiné à encourager les recherches médicales innovantes. Ce « Grand Challenges Exploration », initié en collaboration avec le NIH, l’Institut de recherche en santé du Canada et le Wellcome Trust – un organisme de charité finançant la recherche pour la santé humaine et animale –, soutient des scientifiques africains et asiatiques travaillant sur des recherches applicables à leur pays, grâce à des bourses de 100 000 dollars.

La santé n’est pas le seul domaine dans lequel s’investissent les philanthropes. La préservation de l’environnement bénéficie également de nombreuses initiatives. L’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), présidée par Kofi Annan et financée par les fondations Gates et Rockefeller à hauteur de 100 millions et 50 millions de dollars respectivement, vise à augmenter la productivité des petits exploitants pour qu’ils s’affranchissent de la pauvreté et de la faim, tout en préservant l’environnement et la biodiversité. Là encore, cette action comble les lacunes des gouvernements, tout en s’appuyant sur les objectifs qu’eux-mêmes ont établis puisque l’Agra suit les recommandations du Programme global de développement agricole pour l’Afrique, élaboré par le Nepad en 2002. Les buts fixés pour 2008 s’orientent autour de la gestion de l’eau.

L’Open Society Institute de George Soros a un objectif plus global : le développement de sociétés démocratiques et modernes. Initialement concentré sur les pays d’Europe centrale et de l’Est, le réseau de fondations du financier d’origine hongroise a étendu son champ d’action à l’Afrique. Soros a d’ailleurs toujours gardé un œil sur le continent : pendant l’apartheid, il a ainsi financé les étudiants noirs de l’université du Cap. Plus récemment, il a alloué 50 millions de dollars à un projet de développement de villages. L’ambition de ce programme « Villages du millénaire » est d’investir de façon modérée mais très ciblée dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’agriculture, dans 33 villages de 10 pays d’Afrique subsaharienne. Il devrait toucher 165 000 personnes.

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Plutôt que d’aligner les millions, certains utilisent leur notoriété pour aider le continent. L’ancien président américain Bill Clinton, à la tête d’une fondation portant son nom, ne se démarque pas par les dons qu’il effectue. Mais plutôt par son action de plaidoyer, aux résultats impressionnants. Ainsi, sur son simple nom et par sa capacité de négociation, la Clinton HIV/AIDS Initiative (CHAI) a permis la réduction drastique des coûts des traitements antirétroviraux dans les pays en développement. L’ancien président américain a également convaincu les dirigeants des États africains d’instituer en échange des programmes de prise en charge thérapeutique à large échelle dans leurs pays, garantissant des volumes de vente importants aux producteurs de médicaments. La CHAI permet de traiter 750 000 personnes grâce à plusieurs réductions de prix consécutives sur les traitements antirétroviraux et les examens biologiques en quatre ans. Depuis le début de cette initiative, 66 pays réunissant 90 % des personnes séropositives dans le monde bénéficient de ces tarifs, qui concernent également les formules pédiatriques des médicaments. Une grande première qui, en moins d’un an, a permis de diminuer le coût de ces traitements de 50 % et de traiter 12 000 enfants. Bill Clinton ne se contente pas d’œuvrer pour la lutte contre le sida. Ses efforts ont aussi permis une réduction du coût des traitements contre le paludisme et l’introduction dans de nombreux pays des thérapeutiques à base d’artémisinine.

Cet activisme se retrouve chez Bono, essentiellement dans la lutte contre le sida, mais aussi chez Bob Geldof, très engagé pour la réduction de la dette des pays en développement. Si les concerts de musique pop facilitent la prise de conscience du public concernant la problématique du surendettement, c’est en coulisses, auprès des dirigeants du G8, que Bob Geldof milite. Avec succès, puisque la dette auprès des institutions financières internationales de 19 pays a été effacée en 2005, avec obligation toutefois d’affecter les sommes normalement utilisées pour le remboursement aux secteurs prioritaires que sont la santé ou l’éducation. En une décennie, les grandes initiatives favorisant le développement du continent se sont multipliées, aidées, pour leur financement, par de riches philanthropes auxquels se joignent des hommes charismatiques qui utilisent leur notoriété pour peser sur des négociations jusqu’alors dans l’impasse. Au service des objectifs définis par les structures internationales, ils constituent un outil puissant et désormais indispensable au développement.

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