Nouveaux horizons

La compétition pour le contrôle du trafic maritime prouve que le continent occupe une place de choix dans la stratégie des opérateurs.

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

En quelques mois, DP World est parvenu à se bâtir une solide réputation d’empêcheur de tourner en rond. Désormais largement connu à travers le monde depuis l’acquisition controversée, puis la cession, de plusieurs ports américains, l’opérateur émirati a fait de l’Afrique l’une de ses priorités à l’international, à coups de millions de dollars et avec de solides appuis politiques. Après avoir massivement investi dans le port de Djibouti ces dernières années, le nouveau géant des opérations portuaires a remporté en 2007 une victoire majeure au Sénégal, longtemps considéré comme le pré carré des Français, en décrochant une importante concession à Dakar. Simultanément, il rachetait dans sa zone d’influence le manutentionnaire Egyptian Container Handling pour 670 millions de dollars. Début 2008, il poursuivait son incursion au Mozambique, ajoutant à sa concession sur le terminal à conteneurs le contrôle de la principale société gérant le port de Maputo, rachetée à des intérêts britanniques. Si, comme il semble de plus en plus probable, il met la main sur le port de Djen-Djen, en Algérie, pour en faire un lieu majeur du commerce méditerranéen, l’opérateur émirati aura quadrillé en quelques mois les principales places maritimes du continent.

Après avoir fait rage sur les principales mers du globe, la bataille des ports gagne peu à peu l’Afrique. Au Nord, bien sûr (voir encadré), où les enjeux sont d’autant plus grands qu’ils touchent au commerce maritime en Méditerranée, première zone de transport au monde, mais aussi au sud du Sahara, principalement sur sa façade occidentale, où des ports plutôt décrépis qui n’ont bénéficié d’aucune mise à niveau depuis des décennies amorcent leur rénovation. Deux phénomènes se sont conjugués pour aboutir à cette révolution. D’un côté, la flambée des matières premières, la croissance du commerce Afrique-Asie, le poids grandissant du continent dans le domaine des mines et du pétrole et la croissance continue de plusieurs pays d’Afrique confèrent au continent une place particulière sur les mers : on y charge un quart du pétrole mondial et plus de 10 % du commerce maritime mondial part de ses principaux ports. D’un autre côté, la croissance spectaculaire du trafic maritime a été portée par l’explosion du trafic en conteneurs, ces grosses boîtes qui permettent de transporter désormais presque tout, sauf le pétrole. Or, à la différence du commerce maritime en vrac, le transport conteneurisé implique des investissements colossaux afin de bâtir des ports aux infrastructures assez sophistiquées : parfois plusieurs centaines de millions de dollars, que seul le secteur privé peut aujourd’hui assumer. Dans le monde, 19 % des ports à conteneurs sont contrôlés par des États, contre 42 % il y a quinze ans, principalement en raison du montant des investissements nécessaires. L’Afrique, où 68 % des ports à conteneurs – en termes d’activité – étaient toujours sous contrôle public en 2006, emprunte aujourd’hui cette voie. Ainsi, les ports nigérians renforcent, via des concessions au privé, leur capacité à desservir l’hinterland d’un pays en plein boom économique. En Angola, le port de Luanda, particulièrement congestionné, a engagé sa modernisation en attribuant une concession de vingt ans à APM Terminals, filiale du groupe AP Moller-Maersk. En Afrique australe, si Durban, en Afrique du Sud, reste le plus grand port africain, une double bataille se joue désormais : il s’agit de capter les flux à destination des pays enclavés de la région et, d’autre part, de jouer le rôle de hub dans cette zone de l’océan Indien. Sur ce dernier point, « Durban se fait rafler une partie de son marché par Maurice », explique Frédéric Avierinos, directeur services maritimes chez Global Insight. Quant à la desserte des pays enclavés, les ports mozambicains de Beira et Maputo figurent parmi les opposants les plus sérieux à l’hégémonie sud-africaine.

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En Afrique de l’Ouest, le principal enjeu est la desserte des pays enclavés de la bande sahélienne, du Mali au Tchad. Le recul du port d’Abidjan entre 2001 et 2004, même si la tendance est aujourd’hui totalement inversée, a ouvert dans la région une vive compétition pour capter ces flux. Dans le golfe de Guinée, des investissements importants sont en cours au Togo, réalisés par l’espagnol Progosa et le français CMA-CGM. Selon des échos parus dans la presse locale, AP Moller-Maersk aurait également un intérêt prononcé pour le site de Lomé. Dakar, pour sa part, profitera de la concession de son terminal à conteneurs début 2007 à DP World, préféré au consortium formé par Bolloré et CMA-CGM : 400 millions d’euros d’investissements sont prévus, qui multiplieront par près de huit la capacité en conteneurs et feront du port sénégalais un acteur de classe internationale dès 2011. Suivant le schéma classique suivi un peu partout et notamment à Tanger, une zone économique attenante au port devrait être développée. L’autre enjeu local est la recherche d’un grand hub régional, où seraient chargées et déchargées des marchandises à destination ou en provenance de ports plus petits. Sur la façade maritime occidentale, Dakar bénéficie d’une position privilégiée. Dans le golfe de Guinée, Pointe-Noire a pour vocation de devenir un grand port de transbordement. Le site congolais, en cours de privatisation début 2008, pourrait être cédé à Bolloré, un temps menacé dans cette conquête par DP World…

Si le secteur maritime africain se voit désormais inondé d’argent, c’est aussi parce que, dans un mouvement inévitable de concentration lié à la mise en service de navires porte-conteneurs de plus en plus grands et de plus en plus coûteux, le nombre d’armateurs s’est très rapidement réduit. L’Afrique en recense aujourd’hui à peine une dizaine, contre une trentaine dix ans plus tôt. Hormis quelques opérateurs de niche comme Baco Liner ou Nile Dutch, deux acteurs mondiaux dominent, désormais : le danois Maersk, filiale du groupe AP Moller-Maersk, acquéreur en 1999 du sud-africain Safmarine, et le français CMA-CGM, qui a racheté en 2006 les armements Delmas et Otal à Bolloré. Aujourd’hui, ces deux armateurs contrôlent environ la moitié des flux maritimes d’Afrique centrale et de l’Ouest et ont fortement renforcé leurs lignes reliant l’Afrique de l’Ouest à l’Asie, profitant ainsi du formidable boom des échanges entre ces deux zones. Historiquement présent en Méditerranée, CMA-CGM a conforté sa position en mettant la main sur la Compagnie marocaine de navigation (Comanav), acquise en mai 2007 pour 200 millions de dollars. Dans le lot, le groupe français a récupéré la gestion de la Société maritime de l’Atlantique (Somat), au Sénégal. Sur demande du président Abdoulaye Wade, la Somat a aussitôt inauguré une ligne de fret entre Dakar et Ziguinchor, qui pourrait préfigurer de futurs développements du groupe vers le Cap-Vert ou la Guinée-Bissau. Désormais incontournables dans le transport, les deux majors ont également développé une présence importante dans la gestion portuaire elle-même. Ainsi, le groupe AP Moller-Maersk a des positions fortes à Luanda, Lagos et Onne (Nigeria), Douala et Abidjan, des villes dans lesquelles il a obtenu les concessions des ports à conteneurs. Si CMA-CGM, dont l’activité portuaire est plus réduite, a maillé un réseau plus restreint entre Pointe-Noire, Lomé et Abidjan, le groupe français a en revanche passé un contrat de dix ans avec la filiale logistique de Bolloré, SDV. Un accord de poids, car la bataille des conteneurs se joue en grande partie sur la desserte efficace des zones enclavées, ce que SDV assure sans conteste. De surcroît, le groupe basé à Marseille a formidablement accru son rôle stratégique en faisant partie du consortium qui a remporté, à la fin de janvier 2008, la privatisation de la société cotonnière Dagris, incontournable en Afrique francophone. DP World, malgré sa réelle volonté de s’immiscer dans le paysage maritime africain, pourra-t-il durablement bouleverser les plans des deux « géants » que sont AP Moller-Maersk et CMA-CGM ? Désireux de s’impliquer systématiquement dans les concessions portuaires afin de contrôler les ports, tant en matière d’équipements que de prix, ils s’inquiètent du poids qu’a pris en quelques mois DP World. Mais, avec 35,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour AP Moller en 2006 et 6,7 milliards pour CMA-CGM, ils ont également les soutes pleines.

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