Les compagnies dans la tourmente
Sous-dimensionnés, sous-capitalisés, les petits opérateurs africains peinent à rentabiliser leurs investissements.
De faillites en liquidations, de projets avortés en espoirs déçus, le transport aérien en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale cherche toujours sa grande compagnie. Six ans après la faillite d’Air Afrique, entreprise détenue par onze États subsahariens francophones et qui a longtemps joué le rôle de porte-étendard du secteur aérien dans la zone, le tableau est sombre. Au cours des dernières années, les créations de petites compagnies ont succédé aux disparitions d’autres transporteurs. « Il y a effectivement beaucoup de compagnies aériennes africaines et peu, parmi elles, sont dotées des moyens financiers suffisants pour réellement conduire leurs opérations dans de bonnes conditions », rappelle Gervais Koffi Djondo, promoteur d’Asky, l’un des seuls projets privés a priori viables en Afrique de l’Ouest.â©Si la plupart des compagnies ouest-africaines se sont ainsi lancées avec moins de 10 millions d’euros de capital, c’est essentiellement parce que leurs agendas étaient plus politiques qu’économiques. « En Afrique, vous avez des compagnies qui ne font que porter l’étendard des États et d’autres qui se consacrent réellement à l’activité aérienne. Les premières sont nettement plus nombreuses », souffle un transporteur aérien. Parfois en dépit du bon sens économique et souvent pour des raisons d’orgueil national, chaque opérateur semble chercher à disposer d’un maximum de lignes, nationales et régionales et même vers Londres ou Paris. « Les volontés des États sont parfois incompatibles avec un business plan solide, explique un expert de l’aviation civile. S’il est normal qu’il existe des exigences de service public en matière de desserte locale, il faut également respecter certains critères de rentabilité. » Une leçon difficile à accepter par des États qui savent pourtant que leur ingérence aura eu raison de nombre de transporteurs, dont Air Afrique.
La situation des pavillons nationaux est aujourd’hui critique. Ceux qui n’ont pas disparu, comme Air Gabon, sont en liquidation, comme Air Mauritanie, en quasi-faillite, comme Cameroon Airlines ou Air Sénégal International, ou perdent de l’argent de manière récurrente, comme Air Burkina. Les vols internationaux, difficiles à amortir mais exigés par les autorités politiques, subissent la concurrence de compagnies internationales aux tarifs élevés mais à la réputation solide. Les majors européennes, qui transportent toujours deux fois plus de passagers en Afrique que les compagnies africaines, en profitent : selon Mark Diamond, du cabinet conseil américain en transport aérien SH & E, « le tarif du Paris-Lagos chez Air France est 34 % plus élevé que celui d’un vol Paris-New York, alors que la distance est 20 % plus courte ». Il ajoute : « La compagnie française a un monopole sur 13 de ses 31 destinations de Paris vers l’Afrique et ne compte qu’un seul compétiteur africain sur 8 autres. De surcroît, sur 17 destinations, Air France est le seul transporteur majeur européen. » Lorsqu’Air Ivoire, initialement détenue à hauteur de 76 % par la compagnie française associée à un partenaire financier, décide, sous la pression de l’État ivoirien, de mettre en place des lignes long-courriers, Air France vit mal la situation. Non seulement parce que la vocation initiale d’Air Ivoire était uniquement régionale, mais aussi parce qu’Air France dispose d’une ligne Abidjan-Paris des plus rentables. Le transporteur français, qui a laissé l’État ivoirien monter à 51 % du capital, n’en possède plus que 39 % et devrait encore réduire sa position prochainement. Pour s’imposer sur le long-courrier, où les transporteurs africains font également face à la concurrence des compagnies « saisonnières », les pavillons nationaux devront faire preuve de patience. À moyen terme, « ces axes peuvent être rentables si le nombre de fréquences est suffisant. Car avec des prix de 30 % à 40 % inférieurs à ceux d’Air France, une clientèle intermédiaire peut être séduite », explique un spécialiste. À plus court terme, toutefois, les pavillons nationaux misent sur le trafic régional pour asseoir leur rentabilité. Mais, là aussi, la situation est rude. « Il y a beaucoup de concurrence sur ces dessertes régionales », souligne Délia Bergonzi, du cabinet de conseil aérien Ectar. De fait, les vols régionaux sont d’autant plus rentables qu’ils se font à partir d’un hub de taille suffisante, comme le sont seulement Lagos, Dakar, Douala ou Abidjan.
Autre sujet d’inquiétude pour les petites compagnies, la croissance rapide du réseau interafricain d’Ethiopian Airlines, de Kenya Airways et de South African Airways. « Depuis la Décision de Yamoussoukro en 2000 (qui a acté le principe du libre accès des transporteurs aériens africains aux liaisons interafricaines), les grandes compagnies africaines sont venues faire du régional », souligne un haut responsable du Groupe Aga Khan, actionnaire d’Air Burkina et de la Compagnie aérienne du Mali. Royal Air Maroc, en pratiquant une politique de prix très agressive, fait actuellement beaucoup de mal aux petits transporteurs du continent. « Je ne peux pas croire qu’il gagne de l’argent », estime le directeur d’une compagnie aérienne. Le groupe marocain a aujourd’hui mauvaise presse au sud du Sahara, où on lui fait également porter le chapeau des difficultés que rencontre sa filiale, Air Sénégal International. Après un départ en trombe et l’ouverture de plusieurs lignes internationales, la compagnie sénégalaise a en effet annoncé 18 millions d’euros de pertes cumulées à la fin de 2006, un niveau somme toute assez modeste, mais bien supérieur à celui de son capital (11 millions d’euros). En multipliant les lignes à destination de l’Afrique subsaharienne, Royal Air Maroc concurrence directement celles d’Air Sénégal, ce qui aurait accéléré la chute d’une compagnie qui avait par ailleurs dépensé sans compter en ouvrant des vols européens sans réelle stratégie.
Pris en tenaille entre les grands transporteurs africains et les majors internationales, les pavillons nationaux peuvent difficilement se replier sur le trafic intérieur. À l’exception des États d’Afrique du Nord, de l’Afrique du Sud et du Nigeria, les pays manquent tout à la fois de flux de passagers suffisants au niveau national et d’infrastructures aéroportuaires étendues. Les compagnies africaines doivent donc se rapprocher. En se greffant, par exemple, à l’une des alliances aériennes mondiales. C’est le cas, notamment, de Kenya Airways, qui s’est associée à SkyTeam en septembre 2007, de South African Airways, membre de Star Alliance depuis 2006, ou d’Egyptair, qui a été invitée à rejoindre Star Alliance en octobre 2007. De tels rapprochements sont porteurs : ils ouvrent en effet à ces compagnies un réseau commercial mondial tout en offrant à leur clientèle une couverture internationale. Faute d’une qualité suffisante pour prétendre intégrer de telles alliances, les autres doivent regarder ailleurs. « Si elles créent des alliances entre elles ou servent de feeders (compagnies nourricières) pour des majors internationales, elles peuvent trouver une rentabilité », suggère Délia Bergonzi. Air Ivoire, Air Burkina et la Compagnie aérienne du Mali ont ainsi mis en commun un Airbus A319, qu’elles utilisent chacune deux jours par semaine. Akfed, l’actionnaire commun d’Air Burkina, de la Compagnie aérienne du Mali et d’Air Uganda, a acheté neuf avions mis à la disposition de ces filiales pour les vols régionaux mais gérés par le même pool et pouvant partager des pilotes. Une réelle avancée, inévitable, mais qui pour l’instant reste isolée. « Il faut une fédération de compagnies qui permettrait de mettre en commun les moyens tout en gardant les symboles de souveraineté nationale », martèle Jean-Louis Hallot, directeur général d’Air Ivoire. Approuvant publiquement cette option, les États s’opposent en coulisses à de tels rapprochements. « Les exemples de regroupement et d’alliance dans le monde du transport aérien sont éloquents et doivent être suivis en Afrique aussi », souligne Gervais Koffi Djondo, président d’Asky, une compagnie en création qui, consciente de la réticence des États africains à jouer le jeu des alliances, n’aura aucun État directement présent à son capital. En tout, Asky entend lever 120 millions de dollars auprès du secteur privé, soit dix à vingt fois plus que le capital social des autres compagnies de la région. Un chiffre qui laisse circonspect – tout en faisant enrager – les transporteurs nationaux comme Air Ivoire.
Avec à peine 1 million d’euros de fonds propres, Air Ivoire est, à l’image de tous les pavillons nationaux, notoirement sous-capitalisée. Gabon Airlines s’est ainsi lancée récemment avec 7,6 millions d’euros, Toumaï Air Tchad avec 2,3 millions d’euros. Un niveau bien trop faible dans un secteur qui requiert des moyens financiers très élevés. « Il y a toujours trop de petits transporteurs, sous-capitalisés, qui ont été lancés par des gouvernements, avec des mécanismes de protection. Actuellement, 63 % des compagnies africaines opèrent moins de cinq aéronefs », souligne Mark Diamond. À terme, la consolidation du secteur est donc inévitable, d’autant qu’elle permettrait de bénéficier d’un service plus fréquent et de meilleure qualité. « Aujourd’hui, le transport aérien en Afrique est caractérisé par des fréquences faibles, avec 45 % des lignes interafricaines assurées moins de trois fois par semaine », ajoute Mark Diamond. Un niveau nettement insuffisant pour attirer une nouvelle clientèle. Les perspectives du continent, qui ne représente aujourd’hui que 4 % environ du trafic mondial, sont pourtant moins mauvaises qu’on pourrait le croire. « Il est prévu que le trafic passager en Afrique croisse rapidement, explique Mark Diamond. Les experts de Boeing Current Market Outlook projettent une croissance annuelle moyenne de 5,7 % entre 2006 et 2026, contre 5 % dans le reste du monde. » Faute d’une réelle intelligence des affaires, la plupart des compagnies existantes en Afrique de l’Ouest et centrale parviendront-elles à profiter à plein de cette croissance ? Ou disparaîtront-elles pour renaître aussitôt sous une autre forme ?
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