Les indépendants
 font de la résistance

Les groupes marocains, nigérians ou sud-africains affichent un intérêt croissant pour les établissements d’Afrique de l’Ouest.

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Les temps changent. Il y a moins de trois ans, Fortis, le géant bancaire européen, lâchait brutalement l’Afrique en liquidant la Belgolaise, un groupe bancaire africain vieux d’un siècle. Le continent ne rentrait pas alors dans les grandes options stratégiques des investisseurs. Que de chemin parcouru depuis ! Les groupes financiers africains sont en effet devenus l’objet de toutes les convoitises. Le plus médiatique des événements bancaires de l’année 2007 aura ainsi été la cession de 20 % du capital du sud-africain Standard Bank, le premier établissement financier africain, au chinois ICBC pour 5,6 milliards de dollars. Un montant faramineux, qui représente l’investissement direct étranger le plus élevé sur le continent. Pour ICBC, l’intérêt est de s’ouvrir à toute l’Afrique, Standard Bank étant l’un des groupes bancaires africains les mieux implantés au sud du Sahara, avec quinze participations, dont certaines très importantes, notamment au Nigeria. Les excellentes perspectives du secteur bancaire africain ont d’ailleurs suscité une multitude d’autres acquisitions récentes. Attijariwafa Bank, le numéro un marocain, a poursuivi sa spectaculaire offensive, ouvrant le bal en janvier 2007 avec l’acquisition de 66,7 % de la Banque sénégalo-tunisienne, mariée quelques mois plus tard avec sa filiale sénégalaise. En novembre, elle a frappé plus fort encore, en reprenant des mains du groupe Mimran la majorité du capital de la CBAO, première banque sénégalaise. Entre-temps, le nom du groupe marocain aura été cité un peu partout en Afrique de l’Ouest, et surtout au Niger, où il n’abandonnait pas, à la fin 2007, son projet de rachat de la BIA Niger jusqu’alors bloqué par le refus d’un actionnaire minoritaire. Peut-être inspiré par son concurrent, un autre géant marocain, BMCE Bank, a également accéléré son développement au sud du Sahara. Mais à sa manière : alors qu’Attijariwafa Bank exige d’être majoritaire au capital des banques qu’elle rachète et semble aujourd’hui préférer les acquisitions locales, BMCE Bank s’implante d’un coup dans une dizaine de pays africains. Comment ? En prenant 35 % du capital d’African Financial Holding, la maison mère luxembourgeoise du groupe Bank of Africa (BOA). La nouvelle a été annoncée en mars 2007 et le reste de l’année a été consacré à la négociation des modalités, notamment en matière de gouvernance. En devenant l’actionnaire de référence de BOA, BMCE Bank s’ouvre résolument aux pays subsahariens, ouverture qui devrait être renforcée par sa montée progressive au capital, puisque BMCE a déjà passé des accords avec un autre actionnaire pour détenir pratiquement 45 % de BOA. Face à ces offensives majeures, le paysage bancaire subsaharien se redessine. Jusqu’alors dominé par les filiales des banques françaises, BNP Paribas, Société générale ou Le Crédit Lyonnais (Crédit agricole), le secteur suscite depuis peu un nouvel intérêt de la part de groupes étrangers. Mais cette fois, la fièvre vient d’ailleurs, du Sud notamment. Dans les prochaines années, elle pourrait également venir du Golfe persique ou de pays du Sud-Est asiatique. La Chine se positionne ainsi progressivement sur le continent. En témoignent les partenariats privilégiés mis en place avec des banques chinoises par le nigérian UBA, puis par First Bank of Nigeria, qui couvriront le financement de grands projets, notamment dans les infrastructures. « La China Development Bank, qui a un total de bilan plus important que celui de la Banque mondiale, pourra accorder des crédits importants », insiste Sruti Patel, analyste chez Renaissance. Fortes des 8,8 milliards de dollars qu’elles ont levés en Bourse, les banques nigérianes semblent se positionner elles-mêmes comme de sérieux acheteurs potentiels : « Elles n’ont pas le choix : elles ont énormément d’argent disponible en raison du boom pétrolier, de l’explosion de leur valorisation boursière et d’importantes levées de fonds sur les marchés internationaux, explique Koffi Klousseh, vice-président de la société de capital-investissement Helios Investment Partners, actionnaire d’établissements bancaires au Kenya et au Nigeria. Tous ces fonds ne peuvent être absorbés par le seul Nigeria. » Résultat : les géants de Lagos lorgnent au-delà de leurs frontières. Au Ghana et en Gambie, où plusieurs groupes sont déjà installés, mais aussi au-delà : en décembre, UBA a ainsi mis la main sur 37,84 % du capital de la Banque internationale du Burkina, cédés par l’État. « Plusieurs banques nigérianes prétendent avoir acquis des licences au Liberia, en Sierra Leone, au Cameroun et en Côte d’Ivoire », énumère Sruti Patel. Et le phénomène pourrait se poursuivre, pour plusieurs raisons : tout d’abord, la plupart de ces banques locales africaines sont bien gérées. Ensuite, compte tenu de la taille des économies nationales et du faible taux de pénétration bancaire, elles restent très peu coûteuses pour des acteurs financiers de poids. Prendre 35 % du capital du groupe Bank of Africa, pourtant implanté dans une dizaine de pays, n’aura ainsi coûté qu’une trentaine de millions d’euros à BMCE.

Reste pourtant plusieurs inconnues. Jusqu’à aujourd’hui, la fragmentation du marché de la zone franc, où le nombre d’acteurs bancaires a progressé de près d’un tiers en cinq ans, rend aisé le développement de groupes étrangers. Mais cette situation va-t-elle durer ? Les autorités semblent avoir pris conscience du problème. Depuis le 1er janvier 2008, le capital minimum requis pour exercer dans l’UEMOA a été relevé de 1,5 million d’euros, à 7,6 millions (5 milliards de F CFA). A priori de bon augure, la nouvelle aura en réalité une portée assez limitée : le niveau reste faible et les banques auront jusqu’à la fin 2010 pour s’y conformer. Dans un second temps, seulement, le capital minimum sera porté à 10 milliards de F CFA. Au-delà du cas des petits établissements, les seuls groupes régionaux encore indépendants, Ecobank d’un côté, BGFI Bank et Afriland de l’autre, finiront-ils dans l’escarcelle de groupes plus gros qu’eux ? Malgré son formidable développement, l’avenir capitalistique d’Ecobank est apparu en 2007 comme des plus incertains. En s’introduisant en Bourse, le groupe financier a en effet involontairement ouvert la voie à un éventuel raid hostile, une pratique encore inconnue dans cette région du monde, mais dont Ecobank pourrait rapidement faire l’amère expérience. La spectaculaire et rapide montée au capital d’un nouveau venu, la banque d’investissement Renaissance, qui a fait fortune en Russie, a suscité de larges inquiétudes et nourri les fantasmes sur le devenir du groupe. En moins d’un an, Renaissance est en effet parvenu à devenir le premier actionnaire d’Ecobank, possédant près d’un quart du capital. Le groupe financier panafricain a bloqué l’offensive en limitant à 25 % la part pouvant être détenue par un actionnaire. Jusqu’à quand ? Pour un opérateur international, capable de mettre sur le tapis plus de 1 milliard de dollars pour devenir l’actionnaire de référence d’un groupe bancaire présent dans une vingtaine de pays, Ecobank est désormais une cible potentielle. Une major nigériane, européenne ou chinoise… la liste des prétendants tient en quelques lignes mais elle existe, chose nouvelle dans un paysage bancaire africain qui, il y a peu, ne comptait pas pour grand-chose. L’avenir d’Ecobank reste de surcroît obscurci par son incapacité à mener à bien des négociations de fusion avec le géant First Bank of Nigeria, ouvertes en novembre 2005, refermées début 2007 puis à nouveau ouvertes quelques mois plus tard. Ce rapprochement protégerait pourtant très certainement Ecobank d’une acquisition forcée et éviterait donc au groupe de voir condamner une stratégie qui lui a permis de se développer avec succès dans une vingtaine de petits pays aux cultures différentes. Le devenir des deux autres grands groupes régionaux francophones encore indépendants, BGFI et Afriland, semble pour l’instant bien plus assuré. En premier lieu, « parce qu’aucun de ces deux établissements n’intéresse réellement des investisseurs qui se méfient des économies d’Afrique centrale, plus orientées politique que business », souligne un banquier. En outre, aucune de ces deux entités n’est cotée en Bourse, ce qui écarte le risque d’un rachat non sollicité. BGFI reste détenu majoritairement par des investisseurs privés et la Compagnie du Komo, liés au pouvoir politique, tandis qu’Afriland est entre les mains d’investisseurs camerounais. Leur développement est assuré, surtout pour BGFI, par les faramineux revenus pétroliers des pays d’Afrique centrale. Leurs besoins en capitaux étant donc faibles, ces groupes ne devraient pas se risquer à ouvrir largement leur conseil d’administration à des actionnaires extérieurs. Qui plus est, le nombre de leurs implantations internationales reste limité. Mais demain ? Il est fort probable que ces deux établissements souhaitent accélérer leur internationalisation, en regardant vers la RD Congo, le Soudan et peut-être des pays d’Afrique de l’Est. Des besoins en capitaux pourraient voir le jour, ainsi que des intérêts de la part d’investisseurs extérieurs. Au début de 2008, Paul Fokam, le principal actionnaire d’Afriland, préparait ainsi la création d’un holding regroupant les participations bancaires du groupe et envisageait l’entrée dans le capital de ce holding d’une agence de développement européenne, voire d’un groupe bancaire de référence. À condition que ce dernier accepte de rester minoritaire…

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« La régionalisation des banques africaines est une réalité, estime Koffi Klousseh. Les marchés les plus avancés, comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou le Maroc, en sont les têtes de pont. Mais les logiques culturelles ne sont pas les logiques économiques, et le Maroc est, à ce titre, mieux positionné pour l’Afrique francophone que les Nigérians qui, à mon avis, ne réussiront pas à cause du manque de lien culturel. » Une impression confirmée par Sruti Patel : « La connaissance des réseaux, des entreprises et l’existence de liens avec le marché français sont fondamentales dans les pays africains francophones. L’argent, dont les banques nigérianes disposent, ne suffira pas forcément. » Le paysage bancaire africain semble donc se dessiner ainsi : aux banques nigérianes l’expansion vers les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest, aux marocaines celle vers les pays francophones, aux banques kényanes les développements vers l’Ouganda, le Rwanda ou le Soudan. Et aux géants internationaux sud-africains, chinois, arabes ou britanniques la supervision de cette immense réorganisation.

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