Quand les États 
renégocient

La flambée des cours conduit les gouvernements à réclamer aux opérateurs miniers une plus juste rétribution de leurs richesses.

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Plusieurs mois de bataille pour décrocher 400 millions de dollars. C’est le bilan de l’aventure retentissante dans laquelle s’est lancé le gouvernement zambien en 2007. Objectif ? Tirer davantage de bénéfices de l’extraction du cuivre que recèle son sous-sol. Mission accomplie : de 31,7 %, les taxes minières devraient en effet grimper à 47 %, ce qui assurera à l’État une plus juste rétribution de l’exploitation des minerais détenus par le pays. À la notable exception de l’Afrique du Sud et du Botswana, il faut dire que les aventures minières africaines ont suscité de sérieuses déceptions : peu de travailleurs locaux employés, des bénéfices publics relativement faibles et limités dans le temps, des dégâts sur l’environnement considérables et des conséquences sociales parfois lourdes. Convaincus que leur générosité fiscale et financière permettait d’attirer les investisseurs, les États africains ont longtemps dévalorisé leurs sous-sols. « Au Ghana, les réductions de taxes et de redevances ont été drastiques », rappelle Bonnie Campbell, professeur à l’Université du Québec à Montréal et leader du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique. « Ainsi, le taux des redevances, qui était de 6 % de la valeur totale du minerai extrait en 1975, a été abaissé à 3 %, en 1987. » Presque partout, les États ont également permis aux investisseurs de surseoir pendant plusieurs années au paiement des redevances, afin de leur garantir le remboursement de leurs investissements initiaux. Ainsi, au Mali, les trois sociétés contrôlées par le sud-africain AngloGold – qui ont engrangé 270 millions de dollars de bénéfices en 2006 – n’ont commencé à payer des taxes qu’après une période d’exemption de cinq ans, soit environ un tiers de l’existence des mines…

Depuis quelques mois, la révision des textes réglementaires et contrats trop favorables aux multinationales redevient d’actualité. Et l’année écoulée aura prouvé que, malgré leurs apparentes faiblesses face à de très prospères multinationales, les États africains peuvent obtenir de sérieuses contreparties. Avant la Zambie, le Liberia avait été le premier à ouvrir le feu, en voulant renégocier un accord signé avec le groupe indien Mittal Steel (aujourd’hui Arcelor Mittal), dénoncé notamment par plusieurs ONG pour son caractère totalement déséquilibré. Dans les derniers jours de 2006, le gouvernement libérien obtenait des modifications sensibles de la concession, en sa faveur. Peut-être inspiré par son voisin ouest-africain, le Niger a également renégocié avec le géant du nucléaire français Areva le contrat qui le liait depuis de longues années. Au final, Areva a affirmé avoir consenti, pour 2008 et 2009, une augmentation de près de 50 % du prix d’achat de l’uranium nigérien, qui constitue 40 % de son approvisionnement. Sous pression depuis l’expulsion de son directeur général au Niger – accusé par l’État de financer les rebelles touaregs –, confronté à une concurrence inédite avec la délivrance de plusieurs permis de recherche et d’exploitation à des sociétés étrangères, Areva a également accepté de lancer le projet d’exploitation du gisement d’Imouraren, l’un des plus importants au monde, dans lequel le groupe investira plus de 1 milliard d’euros. Régulièrement critiqué en Afrique, Areva a également été contraint de renégocier en Centrafrique, dont le gouvernement a jugé irrégulière la reprise de l’exploitation de la mine d’uranium de Bakouma à la suite du rachat, pour 2 milliards d’euros en juillet 2007, de la société canadienne UraMin. Objectif inavoué des autorités : faire monter les enchères.

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Victime depuis plusieurs années de la déconfiture de la société nationale Gécamines et d’un pillage en règle par une multitude d’opérateurs, la République démocratique du Congo a quant à elle décidé de mettre un peu d’ordre dans le secteur minier, en annonçant en juin 2007 la réalisation d’un vaste audit du secteur. Ce dernier, qui représentait plus de la moitié de la production nationale de richesse il y a trente ans, ne rapporte plus, officiellement, que 10 % environ. Les « pertes » liées à la corruption et aux exportations frauduleuses – via les pays voisins – sont immenses. Dès la fin du mois d’août, l’audit faisait ses premières victimes indirectes, avec l’annulation de plusieurs permis de la société Camec, active dans l’exploitation du cobalt. « Le gouvernement a effectivement demandé un audit d’une soixantaine de contrats qu’il a confié à la Commission de revisitation des contrats », explique Bonnie Campbell. Le vice-ministre congolais des Mines, Victor Kasongo, a annoncé le 5 février à la conférence minière d’Indaba, en Afrique du Sud, que, « à la suite de l’audit réalisé pour le gouvernement, tous les contrats miniers seront renégociés ». En revanche, la Tanzanie, après avoir été l’un des tout premiers pays à annoncer sa volonté d’augmenter les bénéfices tirés de l’exploitation minière, a fait marche arrière… jusqu’à ce que, fin 2007, une nouvelle volte-face conduise le président tanzanien à annoncer la création d’un comité chargé de revoir les principaux contrats miniers passés avec des investisseurs étrangers. Une décision similaire a été prise à la même période par la Sierra Leone.

L’un des facteurs expliquant ces négociations et cette montée des revendications est la flambée des prix des minerais sur les marchés internationaux. Le plus fameux d’entre eux, l’or, a ainsi connu en 2007 sa septième année de hausse consécutive, passant de 270 dollars l’once à la fin 2000 à plus de 900 dollars depuis la mi-2007. L’uranium, qui s’échangeait 25 dollars la livre début 2005, en valait 135 deux ans plus tard. Le platine, dont l’Afrique est le premier producteur mondial, a vu son prix progresser de moitié en moins de deux ans. Même si cette envolée ne devrait pas durer pour tous les minerais – certains voient déjà leurs cours se tasser –, quelques-uns devraient continuer à bénéficier de cette embellie : le minerai de fer pourrait ainsi voir son prix augmenter de moitié, porté par la demande des aciéries chinoises, selon certains experts des marchés. La probabilité que de nouveaux pays africains se saisissent de cette hausse pour faire monter les enchères est forte. Il faudra en tout cas compter désormais sur une société civile de plus en plus active sur la question minière pour ne pas laisser les gouvernants s’endormir. Pour mémoire, en Guinée, la colère populaire déclenchée au début de l’année 2007 avait notamment provoqué un processus de révision des concessions minières dans un pays qui, tout en étant le premier exportateur mondial de bauxite (utilisée pour la fabrication de l’aluminium), reste l’un des moins développés du continent. Près de 70 conventions ont été annulées depuis. Contrairement au discours tenu pendant longtemps aux dirigeants africains, cette décision n’a pas provoqué un départ massif des investisseurs. Bien au contraire. Confrontées à la hausse spectaculaire de la demande mondiale en minerais, les sociétés d’exploration et la plupart des multinationales qui prennent leur relais ont un besoin presque désespéré de trouver de nouveaux gisements. Pour y arriver, elles n’ont que deux possibilités : racheter des concurrents, ce qui explique l’incroyable mouvement de concentration observé dans le secteur depuis quelques années, et aller partout où des espoirs miniers se font jour, y compris dans des pays africains où les contrats sont renégociés… « Il faut d’ailleurs rappeler que, s’il y a une histoire à succès en Afrique dans le secteur minier, c’est celle du Botswana, souligne Bonnie Campbell. Et au moins une partie de ce succès peut être attribuée à la renégociation de l’important contrat minier qui liait le pays avec De Beers en 1978. Celle-ci a permis au gouvernement d’augmenter sa participation de 15 % à 50 % dans le capital de la société commune créée avec De Beers. » Une leçon à méditer.

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