Du bon usage du brut

Alors que le baril a franchi la barre des 100 dollars, dirigeants des pays producteurs, majors, traders, raffineurs et distributeurs s’enrichissent. Dans quelles proportions ? Et comment utilisent-ils ces nouvelles ressources ?

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Jamais dans leur histoire les pays producteurs de pétrole n’ont été aussi riches. Avant-hier à 20 dollars, hier à 50, aujourd’hui à 100 et demain – peut-être – à 200 dollars, le prix du baril grimpe en flèche. Cette flambée des cours donne le tournis et pose, une nouvelle fois, le problème de la volatilité des prix et de leur impact sur la vie quotidienne des populations. De Casablanca à Bangui, en passant par Bamako, la hausse des tarifs à la pompe fait mal. Pis, les ménagères africaines subissent l’inflation des prix des produits alimentaires importés, les frais de transport ayant explosé.

Mais cette envolée des cours ne fait pas que des malheureux. Elle profite tout particulièrement aux majors pétrolières, dont les bénéfices frisent l’insolence. Les principaux groupes mondiaux ont accumulé près de 150 milliards de dollars de profits en 2006, plus que la richesse annuelle produite par des pays comme Israël, le Venezuela ou la République tchèque. Le débat sur la taxation de leurs revenus en est relancé. ExxonMobil a déjà annoncé à ses actionnaires 40 milliards de dollars de résultat net pour 2007 : le plus gros bénéfice jamais atteint par une entreprise américaine ! En Afrique, Total Gabon a distribué 202,5 millions de dollars de dividendes à ses actionnaires en 2006, pour 326,4 millions de dollars de résultats. Qu’en est-il des plus-values de l’angolaise Sonangol, de la Nigerian National Petroleum Corporation, de la Société nationale équatoguinéenne de pétrole (Gepetrol) ou encore de la Société nationale d’opérations pétrolières de la Côte d’Ivoire (Petroci) ? Difficile de le savoir étant donné que ces compagnies ne jouent pas vraiment le jeu de la transparence et publient, au mieux, des résultats partiels. Globalement, la répartition des revenus pétroliers est toujours favorable aux grandes compagnies, même si les opérateurs africains apprennent progressivement à mieux défendre leurs intérêts. Selon les contrats, les pays producteurs engrangent généralement entre 15 % et 40 % des revenus pétroliers. Ces ressources représentent l’essentiel des recettes totales de l’Algérie, de la Libye, de l’Angola, du Gabon, de la Guinée équatoriale, du Nigeria et du Congo. Et constituent une part très importante de celles des pays producteurs arrivés à maturité, comme le Cameroun, et émergents, comme la Côte d’Ivoire, la Mauritanie et le Tchad. Dans l’ensemble, les recettes pétrolières se sont accrues d’environ 350 % entre 2002 et 2006, ce qui a permis aux banques centrales africaines d’augmenter fortement leurs réserves en devises, dont le cumul s’élève à 137 milliards de dollars. Un montant qui représente 5,7 mois d’importations pour l’ensemble du continent, au lieu de 3,8 mois en 2000. Les États pétroliers utilisent diversement leurs suppléments de ressources : les autorités algériennes achètent la paix sociale, le Tchad se réarme pour contrer les offensives rebelles, la Guinée équatoriale et l’Angola se lancent dans les grands chantiers, le Gabon et le Congo tentent laborieusement de diversifier leur économie… Malgré la manne des hydrocarbures, tous ces pays restent parmi les moins bien classés au palmarès du développement humain établi chaque année par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Éternelle malédiction de l’or noir et persistance du syndrome hollandais (incapacité des États à sortir de leur dépendance vis-à-vis des hydrocarbures pour développer l’économie du pays) : les vieux clichés restent d’actualité.

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En attendant, l’essor technologique et la hausse des prix permettent d’optimiser les rendements et d’exploiter des gisements de plus en plus profonds dans le golfe de Guinée (jusqu’à 3 000 mètres en dessous du niveau de la mer). Résultat : la production africaine a augmenté de 25 % lors des sept dernières années pour atteindre 10 millions de barils/jour (b/j). Ce qui représente aujourd’hui 12 % des extractions mondiales. Premier producteur du continent avec 2,46 millions de b/j, le Nigeria vit une situation difficile. Les plates-formes pétrolières situées à proximité de Port-Harcourt, dans le Delta du Niger, où se trouve l’essentiel des champs de forage du pays, subissent de multiples attaques. Conséquence directe : une chute de 6 % des extractions en 2006, et d’environ 4 % sur les huit premiers mois de 2007. Pour le secteur, c’est un coup dur : non seulement les dépenses liées à la sécurité augmentent les coûts d’exploitation, mais la baisse de production réduit d’autant la marge de manœuvre de l’État, dont le budget dépend à 80 % du pétrole et du gaz. Toutefois, la situation devrait s’inverser en 2008 et 2009 avec la mise en service de nouveaux puits offshore, qui permettront d’accroître les extractions de 500 000 à 700 000 barils par jour.

Deuxième pays producteur, l’Algérie semble se satisfaire de sa production actuelle (2 millions de barils par jour) au moment où les cours du brut sont au plus haut. Après avoir un temps pensé à libéraliser le secteur des hydrocarbures, les autorités ont réaffirmé la prééminence de la Sonatrach. Cette entreprise publique cherche actuellement à étendre ses activités sur le continent africain. Depuis la levée des sanctions économiques pesant sur le pays en 2004, la Libye revient sur le devant de la scène avec 1,84 million de b/j. Alors que les découvertes s’accélèrent, la production pourrait atteindre les 2 millions de b/j en 2008. Le pays possède 35 % des réserves de brut du continent.

Derrière ce trio de tête, l’Angola, qui a rejoint l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) en janvier 2007, n’en finit plus de monter en puissance. Produisant désormais près de 15 % du brut africain, Luanda affiche un rythme d’extraction soutenu : 1,4 million de b/j. Entre 2004 et 2006, l’extraction pétrolière angolaise a progressé de 44 %, si bien qu’elle représente aujourd’hui le double de ce qu’elle était en 2000. Une performance qui s’explique par la mise en production de nombreux champs en eaux profondes, dont les perspectives ne cessent d’être révisées à la hausse. Selon les analystes, la production angolaise pourrait atteindre un pic entre 2010 et 2012, à plus de 2,5 millions de b/j, avant de retomber à son niveau actuel en 2020.

Du côté des pays dont on attendait beaucoup, les nouvelles n’ont pas toujours été à la hauteur. La Mauritanie, en particulier, a déçu avec une production de seulement 13 000 b/j en 2006, très en deçà des prévisions initiales de 75 000 b/j. Mis en service en février 2006, le gisement de Chinguetti avait pourtant suscité beaucoup d’espoir, mais son exploitation s’avère difficile. En outre, l’opérateur du site, la compagnie australienne Woodside, présente en Mauritanie depuis dix ans, a jeté l’éponge en août dernier.

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Les professionnels portent donc leur attention sur d’autres pays. Sur la Côte d’Ivoire, notamment, même si le pays délivre toujours ses statistiques d’extraction avec parcimonie et que les majors, à l’exception de la compagnie russe Lukoil, arrivée en juillet 2006, n’y sont pas encore très nombreuses. En 2007, la production ivoirienne de brut aurait dépassé le seuil de 100 000 b/j, après avoir atteint, en 2006, entre 80 000 et 90 000 b/j, et 57 000 b/j en 2005. Un décollage que le pays doit, entre autres, à la mise en exploitation de son plus important champ off-shore, baptisé Baobab. La Côte d’Ivoire n’est pas la seule à faire l’objet de convoitises. Onshore, le Soudan présente un très grand potentiel, que les opérateurs chinois sont bien placés pour exploiter. Le Ghana, le Mozambique, le Kenya, São Tomé et l’Ouganda suscitent également un vif intérêt.

L’Afrique profite, comme toutes les autres régions productrices, de l’essor de la consommation mondiale d’or noir (+ 13,8 % au cours des dix dernières années). Historiquement réservée aux Européens et aux Américains, la production continentale attire dorénavant les Chinois. Entre 2002 et 2005, les importations chinoises de brut sont passées de 100 000 b/j à près de 1 million de b/j. Cherchant à réduire sa dépendance envers le Moyen-Orient, où l’instabilité politique crée des incertitudes sur la régularité des exportations, les États-Unis ont également augmenté leurs achats pétroliers africains de 90 % depuis 2002. L’Europe, quant à elle, importe 61 % de ses besoins d’Afrique du Nord, pour un volume d’achats équivalent à celui de la Chine. 

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