Les biocarburants sèment le doute

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Présentés à leurs débuts comme la solution aux problèmes énergétiques de la planète, voire comme une réponse « verte » à la question de l’après-pétrole, les biocarburants font désormais l’objet de critiques de plus en plus vives. Partisans et détracteurs fourbissent leurs armes, les seconds brandissant la crainte de voir la demande des fabricants de biocarburants entrer en concurrence avec la demande alimentaire. Plus de 800 millions de personnes restent sous-alimentées et la population de la planète va augmenter de 3 milliards d’habitants d’ici à 2050. Peut-on raisonnablement demander à la terre de satisfaire des besoins énergétiques alors que les besoins alimentaires s’accroissent toujours et que les surfaces cultivables se réduisent avec la désertification et l’urbanisation ?

L’actuelle flambée des cours des huiles végétales et des céréales est la première manifestation de la concurrence naissante entre besoins alimentaires et énergétiques. La demande en matières premières nécessaires à la filière des biocarburants a brutalement explosé, sans que l’offre ait eu le temps de s’adapter. Crise passagère, rétorquent les partisans des biocarburants, qui assurent que l’offre peut rapidement répondre à cette demande supplémentaire, générant au passage des emplois et des revenus dans le monde rural, particulièrement dans les pays en développement. Pour cela, il suffira de mettre en culture de nouvelles terres dans les régions qui en disposent.

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Sauf que les besoins se comptent en centaines de millions d’hectares : rien qu’en France, la satisfaction des besoins nationaux en biocarburants nécessiterait 20 millions d’hectares exclusivement consacrés à leur production, soit 3 millions de plus que l’ensemble des terres cultivables que compte le territoire français.

Les États-Unis et l’Europe, qui sont les plus gros demandeurs en biocarburants, songent donc à se tourner vers les pays en développement pour assurer leurs besoins futurs, qu’ils ont chiffrés dans des programmes ambitieux. L’Union européenne s’est ainsi fixé pour objectif de remplacer 10 % de sa consommation d’essence et de diesel par des biocarburants d’ici à 2020. Elle convoite donc les quelque 400 millions d’hectares de terres disponibles et adaptées à ces cultures énergétiques sur le continent africain. Et veut saisir l’occasion que lui offre la remise en cause des régimes commerciaux préférentiels dont bénéficient les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) pour leur proposer cette nouvelle option. C’est notamment le cas pour les producteurs de canne à sucre, durement frappés par la réforme de la politique sucrière européenne, à qui l’on propose désormais de se recycler en producteurs et exportateurs de biocarburants. Mais le développement d’une monoculture vorace en engrais et en eau sur de vastes superficies est-elle souhaitable pour l’agriculture africaine ?

Sans oublier que, plus on produira de biocarburants, plus les cours des produits nécessaires à leur fabrication augmenteront, ce qui tirera notamment à la hausse les prix du maïs ou encore du manioc, qui pourraient bondir respectivement de 40 % et 135 % dans les dix ans à venir. Conséquence directe, certains pays « structurellement déficitaires en matière alimentaire ne pourront plus payer la facture », ainsi que le souligne Jean Ziegler, rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation.

Ce problème à la fois environnemental et socio-économique conduit à une autre interrogation : l’agriculture africaine doit-elle produire pour nourrir ses habitants et réduire ainsi sa dépendance et sa facture alimentaires, ou doit-elle se cantonner à son rôle de fournisseur de matières premières pour les industries du Nord, comme elle le fait avec le coton, l’arachide, le café ou le cacao ? Des monocultures oléagineuses intensives et mécanisées auraient en outre pour effet d’accroître l’exode rural.

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Une autre option consiste à penser d’abord à soi, en commençant par produire des biocarburants pour les besoins du marché intérieur. Le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui se veut le champion africain des biocarburants, estime ainsi que ces derniers constituent une solution pertinente pour réduire la facture énergétique de son pays, qui s’est fortement alourdie avec la flambée des cours du brut. À la fin de l’année dernière, il a inauguré dans la vallée du fleuve Sénégal la première usine sénégalaise de production d’éthanol à partir des résidus de la canne à sucre, d’une capacité de 12 millions de litres par an. Il a même prédit à cette occasion que le pétrole ne serait bientôt plus un problème pour son pays.

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