À qui profite la hausse ?

Les prix des céréales, des produits laitiers et des oléagineux flambent, et les agriculteurs en bénéficient de façon inégale.

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 8 minutes.

Le blé se vend à prix d’or. Un importateur africain qui payait la tonne de blé aux alentours de 120 dollars il y a trois ans la paie aujourd’hui entre 400 et 450 dollars, alors que les stocks mondiaux ont atteint leur plus bas niveau depuis 1960. Quant au riz, son prix a pratiquement doublé depuis 2002. La liste est longue des produits alimentaires dont les prix flambent, et le coup est particulièrement rude pour les pays du Sud, dont la population consacre une grande part de son budget à l’alimentation. À tel point que cette envolée des prix figure parmi les principales préoccupations des organismes internationaux chargés du développement. Ceux-ci y voient en effet un risque majeur de déstabilisation de l’économie mondiale et un possible détonateur de crises sociales dans les pays les plus pauvres.

En Afrique, les États les plus touchés sont ceux qui dépendent le plus des importations. Pour Françoise Gérard, économiste et chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), « le Mali, qui consomme des céréales traditionnelles, est moins touché que le Sénégal, où même les pauvres consomment beaucoup de riz importé ». C’est aussi le cas en Guinée ou à Madagascar, traditionnellement gros importateurs de riz.

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Les gouvernements africains ont pris des mesures pour limiter l’impact des hausses de prix qui se sont accélérées tout au long de l’année 2007, afin de prévenir toute flambée de violence sur le front social. Au Sénégal, le gouvernement a renoncé, à la mi-juillet 2007, aux 7,5 % de droits de douane prélevés sur le blé. Il a ensuite accordé des subventions aux minotiers pour qu’ils ne répercutent pas la hausse de leurs coûts de production sur les boulangers et, donc, sur les consommateurs. Au total, ces suppressions de taxes et ces subventions ont coûté 5 milliards de F CFA au Trésor sénégalais en quelques mois. Mais une fois le ramadan terminé, le gouvernement s’est résolu à autoriser une augmentation de 25 F CFA de la baguette de pain, qui est alors passée à 175 F CFA, provoquant des mouvements de colère et de protestation dans la population déjà durement touchée par la hausse des produits pétroliers et des produits laitiers. Un peu partout en Afrique de l’Ouest, la baguette de pain a subi des hausses de prix (ou des diminutions de poids) au cours du second semestre 2007. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) relève qu’au cours des derniers mois de 2007, des émeutes de la faim ont éclaté au Maroc, en Guinée, en Mauritanie et au Sénégal.

Cette hausse du prix des céréales sur les marchés mondiaux a été notamment causée par des incidents climatiques qui ont réduit les récoltes, alors que la demande ne cesse de progresser. La sécheresse a ainsi frappé l’an dernier plusieurs grands pays producteurs comme l’Australie, l’Ukraine ou l’Argentine, s’ajoutant aux sécheresses des années précédentes aux États-Unis et en Europe. Les besoins grandissants de la filière des biocarburants ont par ailleurs entraîné une flambée des cours des oléagineux et du maïs qui, par réaction en chaîne, a accentué la hausse des cours du blé et d’autres céréales. De leur côté, les fabricants d’aliments pour bétail ont largement contribué à cette évolution à la hausse en se reportant massivement sur les produits les moins chers. Tous ces facteurs sont bien entendu à mettre en relation avec la progression de la demande alimentaire liée à la croissance démographique – la population mondiale progressant de 28,5 millions d’individus par an – et avec l’urbanisation. Les pays importateurs subissent également la flambée des prix du fret, qui ont doublé en un an à cause du manque de disponibilité des capacités de transport – les délais d’attente d’affrètement ne cessent de s’allonger – et du niveau élevé des cours des produits pétroliers. La cherté des produits importés pourrait profiter aux agriculteurs locaux, dont les produits deviennent plus concurrentiels. Au Mali, pour atténuer la hausse du prix du blé, des boulangers ont lancé sur le marché une nouvelle variété de pain, à base de 65 % de blé et de 35 % de céréales locales (mil, sorgho et maïs). Une réaction qui rappelle ce qui s’était passé au lendemain de la dévaluation du franc CFA, en 1994, quand les appels à « consommer local » avaient permis aux populations des villes de redécouvrir des produits locaux, favorisant la relance de l’agriculture vivrière. Cependant, le phénomène a du mal à se généraliser. L’exemple du lait est éloquent. Depuis la mi-2006, le prix de la poudre de lait est monté en flèche sur les marchés internationaux, conséquence indirecte des mauvaises récoltes céréalières qui ont entraîné une hausse du prix du fourrage et une baisse de la production laitière. Résultat : en Afrique de l’Ouest, le prix du lait en poudre a doublé au cours des douze derniers mois, le sac de 25 kg passant de 40 000 à 80 000 F CFA. Pourtant, au Mali, grand pays d’élevage, le lait local ne fait aucune percée significative chez les consommateurs des grandes villes : à Bamako, le lait en poudre importé continue à couvrir 80 % à 90 % des besoins. Si le lait produit localement ne parvient pas à s’imposer, cela tient aux nombreux handicaps dont souffre l’élevage sahélien en général, et malien en particulier. La production laitière est d’abord saisonnière, rythmée par la saison des pluies et l’abondance des pâturages, alors que c’est durant la saison sèche que la demande est la plus forte. Ensuite, le pays ne dispose pas des équipements indispensables à la collecte, au conditionnement et à la conservation (upérisation, réfrigération) qui permettraient de transporter le lait sur de longues distances et de le conserver dans de bonnes conditions. Faute d’être soutenue par de véritables politiques agricoles tournées vers la satisfaction de la demande urbaine, la production laitière locale se trouve pratiquement incapable de profiter de la conjoncture actuelle. « La hausse des cours des produits laitiers importés est une condition favorable pour le développement du lait local, mais ce n’est pas suffisant », résume Amadou Diallo, responsable d’un réseau de mini-laiteries, pour qui « il faut accompagner le développement des capacités locales de production par la formation des producteurs ».

Plus généralement, constate Françoise Gérard, « au cours des vingt dernières années, on a convaincu les pays en développement que ce n’était pas la peine de continuer à produire des céréales locales et qu’il valait mieux cultiver des fleurs ou d’autres produits d’exportation ». Et Philippe Chalmin, professeur à l’université Paris-Dauphine, de conclure que, dans la situation actuelle, « une aide internationale pour financer des politiques agricoles du Sud serait sans doute nécessaire, plutôt qu’une aide alimentaire au caractère pernicieux ».

Certains agriculteurs africains devraient tout de même profiter de la hausse des cours, puisqu’elle se répercute sur le café, les oléagineux et l’hévéa. Pour le café, elle touche particulièrement le robusta, variété la plus cultivée en Afrique. Son prix, qui a progressé de 20 % en 2007, a triplé en cinq ans. Il est vrai qu’il était tombé à des niveaux historiquement bas, provoquant l’abandon de nombreuses plantations par des producteurs totalement découragés. Aujourd’hui, les dégâts de cette sombre période restent visibles : la part du café africain dans la production mondiale est passée de 29 % en 1985 à 11 % actuellement, les grosses exploitations plus productives du Brésil et du Vietnam ayant mieux résisté à la chute des prix que les plantations familiales africaines. La remontée des cours semble durable, avec un déficit de production qui devrait persister en 2008, et incite à prendre des mesures de relance. Il s’agit d’abord de renouveler le verger, qui a vieilli faute de moyens pour planter de nouveaux arbres. Ce qui a provoqué une chute des rendements. Selon Daniel Duris, spécialiste du café au Cirad, « c’est plus de 75 % du verger qui devrait être replanté en Angola, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et en RD Congo ». Ce serait l’occasion d’introduire des variétés modernes, plus productives et plus résistantes aux maladies.

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Des investissements sont aussi nécessaires pour améliorer la qualité du café africain, qui souffre souvent de décotes sur le marché pour cause de mauvaise conservation. Mais la hausse durera-t-elle assez longtemps pour que les investissements en vaillent la peine ? L’hévéa, pour sa part, semble avoir un bel avenir sur le continent. Son principal débouché est l’industrie automobile, où il est peu concurrencé par les caoutchoucs de synthèse tirés du pétrole – aux performances nettement inférieures. Or la demande alimentée par la Chine, l’Inde et le Sud-Est asiatique a explosé ces dernières années avec le développement rapide de leur parc automobile. L’augmentation du prix du caoutchouc synthétique, aligné sur celui du pétrole, a également soutenu les cours à la hausse. En cinq ans, l’hévéa a fait pratiquement aussi bien que le pétrole, avec une multiplication par cinq de son prix. La production ne suit plus la demande et l’Afrique n’a jamais été aussi bien placée pour réagir à cette conjoncture. Le continent dispose en effet de terres non exploitées alors que les gros producteurs et exportateurs asiatiques d’hévéa (Thaïlande, Indonésie et Malaisie) ont déjà surexploité leurs terres en détruisant des millions d’hectares de forêts, provoquant de véritables désastres écologiques. Le diagnostic est similaire s’agissant du palmier à huile. La très forte demande de la part des filières alimentaires et de celle des biocarburants fait flamber les prix (en 2007, l’indice des prix des graines oléagineuses et des huiles et matières grasses végétales a progressé de 70 %), alors que les principaux producteurs asiatiques (Malaisie et Indonésie), qui ont pratiqué une culture intensive au prix d’une déforestation massive, sont à bout de souffle. L’Afrique est donc, là encore, très bien placée pour répondre à la demande supplémentaire. C’est donc assez logiquement que deux puissants groupes de Singapour, Olam et Wilmar (l’un des leaders mondiaux du traitement de l’huile de palme), ont annoncé, à la fin 2007, leur intention d’investir 200 millions de dollars dans la filière du palmier à huile en Afrique de l’Ouest afin de créer des plantations et des unités de transformation en Côte d’Ivoire et dans les pays voisins. Ils ont pour cela fait alliance avec l’un des plus grands groupes de la région, l’ivoirien Sifca, qui détient les deux plus grandes entreprises de la filière palmier à huile et hévéa en Afrique de l’Ouest.

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