Problèmes de voisinage

Le 15 novembre 1884, les puissances européennes réunies à la conférence de Berlin se partageaient l’Afrique, dessinant leurs nouveaux territoires sans tenir compte des spécificités de chacune de leurs « possessions ». Cent vingt ans plus tard, les limites des empires coloniaux font toujours office de frontières et nourrissent bien des contentieux.

Publié le 24 novembre 2008 Lecture : 9 minutes.

BURKINA Les vertus du dialogue

Le pays des Hommes intègres connaît encore des litiges frontaliers avec plusieurs de ses voisins. Territoire enclavé de 274 000 km2, l’ancienne Haute-Volta partage plus de 3 000 km de frontières avec le Mali, le Niger, le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Son démembrement au profit de ses voisins en 1932 par la métropole française – qui la reconstituera en 1947 – est directement à l’origine de ses problèmes frontaliers. Ces derniers peuvent être lourds de conséquences : un contentieux sur la frontière avec le Mali a ainsi dégénéré en conflits meurtriers entre les armées des deux pays (en 1974 et 1985), avant que le différend soit tranché par la Cour internationale de justice (CIJ) en 1986. En revanche, si Ouagadougou s’oppose aussi à Niamey au sujet de leur frontière commune, un règlement pacifique semble se dessiner. Une rencontre bipartite sur les modalités d’administration des localités frontalières a eu lieu le 22 novembre 2007 dans la capitale burkinabè. D’un commun accord, les deux pays ont sollicité l’arbitrage de la Cour internationale de justice de La Haye. En attendant que le verdict tombe, la zone concernée fait l’objet d’une administration concertée entre le Burkina et le Niger, et les deux gouvernements se sont engagés à s’abstenir de tout acte de souveraineté et de toute incursion dans la zone litigieuse. Autre différend que le Burkina Faso veut soumettre à la CIJ, celui qui l’oppose depuis plusieurs décennies au Bénin. Le problème entre les deux pays porte sur une portion de terre de 68 km2 abritant la localité de Koualou, où des rixes éclatent souvent entre les habitants de l’est du Burkina et ceux du nord du Bénin. Afin de trouver une issue diplomatique, les deux États ont créé, en 1980, une commission qui a permis de parvenir à un consensus sur l’ensemble des 285 km de frontière commune. À l’exception de Koualou, dont le sort reste toujours en suspens.

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ÉRYTHRÉE-ÉTHIOPIE Impasse totale

Parmi les différends territoriaux issus des découpages imposés par l’Histoire, celui qui oppose l’Éthiopie à l’Érythrée se distingue par l’ampleur des dégâts qu’il a provoqués. En mai 1998, cinq ans après son accession à l’indépendance, l’Érythrée d’Issayas Afewerki revendique certaines zones frontalières sous contrôle éthiopien. Très vite, le ton monte, et Asmara entre en guerre contre Addis-Abeba. Le conflit fera près de 80 000 morts. Le 12 décembre 2000, un accord de paix est signé à Alger entre les belligérants. Une zone tampon protégée par des Casques bleus est créée et, en avril 2002, la Cour internationale de justice de La Haye attribue le village de Badme, symbole de la guerre, à l’Érythrée. Mais l’Éthiopie conteste toujours l’attribution de la localité à Asmara, ce qui provoque une tension persistante entre les deux pays. La Mission de l’ONU en Éthiopie et en Érythrée (Minuee) qui s’est déployée dans la région depuis la fin de la guerre ne peut que constater l’échec des pourparlers. Chargés de surveiller la zone tampon large de 25 km qui s’étend sur un millier de kilomètres de frontière entre les deux pays, les 2 000 Casques bleus signalent régulièrement des mouvements de troupes dans cette portion de territoire prétendument démilitarisée. À la fin de novembre 2007, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a d’ailleurs mis en garde l’Éthiopie et l’Érythrée contre le renforcement de leurs dispositifs militaires autour de la zone contestée, alors que les opérations de bornage de la frontière sont totalement bloquées. Depuis, les relations, déjà tendues, entre l’ONU et l’Érythrée se sont encore dégradées, le Conseil de sécurité ayant condamné, le 15 février 2008, l’attitude hostile d’Asmara à l’égard de sa force de paix. Dans une déclaration au ton très ferme, le Conseil a déclaré qu’il tenait « le gouvernement érythréen responsable de la sécurité de la mission ». Le possible retrait de la Minuee ferait craindre un nouveau conflit entre les deux voisins, qui ont récemment multiplié les déclarations belliqueuses.

CHAGOS En attendant 2016

Autre dossier post-colonial dont on devrait reparler dans les années à venir, celui qui concerne les îles Chagos, petit archipel situé à seulement 500 km des Maldives. Colonisées par les Français à partir de 1776, ces terres furent rattachées aux territoires français de l’océan Indien, qui regroupaient Maurice, les Seychelles et la Réunion. Avant de devenir officiellement britanniques en 1814 en même temps que Maurice, d’où sera administré l’archipel. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Royal Air Force se sert des Chagos comme base contre les sous-marins japonais qui croisent dans l’océan Indien. Après 1945, les îles conservent une vocation militaire, suscitant un intérêt croissant de la part des États-Unis, qui lorgnent cet emplacement stratégique. En 1965, avec la création du Territoire britannique de l’océan Indien, Londres concède à Washington un bail de cinquante ans, renouvelable pour vingt ans – donc allant jusqu’en 2016 –, sur l’île de Diego Garcia – la plus grande de l’archipel – pour l’installation d’une base militaire. Six ans plus tard, seuls les soldats anglais et américains seront autorisés à séjourner dans l’archipel et les quelque 1 100 Chagossiens autochtones se verront contraints à l’exil, vers les Seychelles et surtout Maurice, où ils peuplent les bidonvilles de Port-Louis. En 2000, la Haute Cour de justice du Royaume-Uni donne raison aux 8 500 descendants des Chagossiens expulsés. Et leur accorde le statut de citoyen britannique, ainsi qu’une indemnisation financière. Mais le dossier n’est pas clos pour autant : à l’heure actuelle, les îles Chagos sont toujours réclamées par Maurice, qui dénonce avec constance l’accord de 1965, qu’elle juge illégal. Et la prochaine expiration du bail américain sur Diego Garcia risque de relancer le débat. D’ores et déjà, une coalition d’ONG appelle Port-Louis à faire preuve de détermination en ce qui concerne la souveraineté de l’archipel. Le Premier ministre mauricien a d’ailleurs discuté du dossier avec son homologue britannique, Gordon Brown, lors du sommet du Commonwealth de novembre 2007. Car, pour Port-Louis, outre la revendication des îles par les populations concernées, la question des droits de pêche dans les eaux situées autour des Chagos revêt un intérêt économique majeur.

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MAYOTTE La dernière île de la Lune

Toujours dans l’océan Indien, l’Union des Comores et la France s’opposent au sujet de Mayotte depuis la partition de l’archipel. Lors du référendum d’autodétermination organisé par Paris aux Comores, en décembre 1974, Mayotte est la seule île à voter pour son maintien dans le giron français. Mais cette spécificité mahoraise ne fait pas l’unanimité, et l’Union des Comores, qui regroupe les trois autres îles depuis 1975, revendique toujours Mayotte. De son côté, l’Union africaine considère ce territoire comme occupé par une puissance étrangère. De même, l’Assemblée générale de l’ONU a plusieurs fois condamné la présence française à Mayotte mais, depuis 1995, la question mahoraise a disparu de l’ordre du jour. Le gouvernement d’Ahmed Abdallah Sambi a annoncé qu’il voulait relancer le débat sur la souveraineté de l’île, mais privilégie le maintien de relations cordiales avec Paris. Il est vrai que Moroni, qui traverse une crise économique et institutionnelle majeure, n’a aucun intérêt à engager un bras de fer avec l’ancienne métropole.

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GOLFE DE GUINÉE L’odeur du brut

Le golfe de Guinée est le théâtre de conflits plus ou moins larvés entre États riverains. Les contentieux sont d’autant plus sensibles qu’ils concernent souvent des zones potentiellement riches en pétrole, comme l’illustre le cas de la péninsule de Bakassi. L’armée nigériane a enfin évacué Bakassi le 21 août 2006, quatorze ans après que le général Sani Abacha a eu lancé les troupes fédérales à l’assaut des îlots de cette péninsule disputée au Cameroun depuis un demi-siècle. Quatorze ans de combats sporadiques, de trêves et d’attaques surprises, d’échanges de prisonniers, de bataille judiciaire et de médiation internationale. Le 10 octobre 2002, pourtant, la Cour internationale de justice (CIJ) avait rendu un arrêt en faveur du Cameroun. Mais le Nigeria avait ensuite multiplié les manœuvres dilatoires. Entre rendez-vous manqués et promesses non tenues, il s’efforçait de différer l’exécution de cette décision. C’est seulement grâce à une forte pression internationale que Yaoundé a pu retrouver sa souveraineté sur cette zone de marécages et de mangroves potentiellement riche en ressources halieutiques et pétrolières. Abuja a dû céder à l’insistance du secrétaire général de l’ONU et du département d’État américain, devenu le véritable gendarme du golfe de Guinée. Les réserves en hydrocarbures y sont estimées à 24 milliards de barils d’un brut de bonne qualité et d’accès facile, si bien que cette zone s’inscrit, très logiquement, dans la stratégie énergétique américaine. Alors que la CIJ devrait, au cours du mois d’août 2008, attribuer définitivement à Yaoundé la souveraineté sur l’ensemble de la presqu’île, Bakassi n’est toutefois pas sortie d’affaire. Le 12 novembre 2007, vingt et un militaires camerounais ont été tués dans une attaque menée par des assaillants non identifiés à Issangele. Il pourrait s’agir de bandits armés ou bien de rebelles sécessionnistes, membres de la galaxie politico-mafieuse qui gravite autour du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger. Autre zone délicate, celle qui englobe les eaux territoriales contiguës à Mbanié. Les négociations entre Libreville et Malabo concernant cet îlot sous souveraineté gabonaise revendiqué par la Guinée équatoriale sont au point mort. Les discussions entre les deux pays devaient reprendre sous l’égide de l’ONU à la fin de l’année 2006, mais elles ont été reportées sine die. La partie gabonaise serait décidée à porter le différend devant la Cour internationale de justice en s’appuyant sur la convention signée à Bata, le 12 septembre 1974, entre Omar Bongo et son homologue de l’époque, Francisco Macias Nguema. De moins en moins feutrée, la rivalité entre Libreville et Malabo, vieille d’une trentaine d’années, a été relancée par la course aux hydrocarbures, Mbanié étant situé dans une zone potentiellement riche en or noir. Lors d’une rencontre en mai 2003, les deux pays avaient envisagé un moment d’exploiter conjointement les ressources de cet îlot. Mais cette proposition n’est plus du tout à l’ordre du jour.

SAHARA Un cas si particulier

Peu de progrès en ce qui concerne le règlement du conflit sahraoui. Alors que la République arabe sahraouie démocratique et le Maroc se disputent depuis plus de trente ans la souveraineté sur cette région désertique, les protagonistes de la crise se sont rencontrés à trois reprises à Manhasset, près de New York, entre juin 2007 et mars 2008. Dix ans après les dernières discussions de ce type, Marocains, Algériens et représentants du Front Polisario ont à nouveau dressé le constat de leurs divergences. Mais dans un cadre qui a évolué : la résolution 1754 adoptée par l’ONU en avril 2007 prend désormais en compte la proposition marocaine de large autonomie interne, laquelle semble faire son chemin. Pour preuve, le rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG), publié en juin 2007, reconnaît l’inapplicabilité au Sahara des règles classiques de droit international qui régissent les décolonisations et recommande de négocier l’autonomie, « ou tout autre compromis sur lequel le Maroc, le Polisario et l’Algérie se seront mis d’accord ». En échange de l’abandon du référendum pour l’indépendance, l’ICG estime que le royaume chérifien doit reconnaître le Front Polisario en tant que parti politique. Mais ce dernier a réitéré son refus du plan d’autonomie interne proposé par Mohammed VI. Quant à l’envoyé du secrétaire général de l’ONU au Sahara occidental, Peter Van Walsum, qui a dirigé les quatre rounds de négociations, il a déclaré en février 2008 : « Je n’ai pas encore trouvé de solution. » 

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